Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Création architecture et patrimoine — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, après quatre jours de débat, l’examen du texte relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine s’est achevé vendredi dernier. Cette loi, malgré certaines avancées notables, laisse malheureusement de très nombreux outils de la politique culturelle inadaptés au XXIe siècle.

Avant tout, et outre le manque d’ambition de ce texte, je déplore, tout comme de nombreux parlementaires, l’organisation de notre travail. On aurait voulu signifier le mépris pour la chose culturelle, on ne s’y serait pas pris autrement : des auditions programmées hors ouverture de l’Assemblée, un examen du texte haché, entrecoupé par de nombreux autres débats – M. Piron l’a rappelé à l’instant. Nous réclamons un temps de travail et de préparation pour la deuxième lecture plus important et surtout plus posé. Notre ambition culturelle mérite bien cela.

Outre cette précision, je signale que l’instauration de la « cité historique » m’inquiète, pour le patrimoine et pour les maires. Cette nouveauté place les maires face à deux difficultés. Elle leur fait porter une nouvelle charge juridique et morale, et elle les confronte trop directement aux desiderata des administrés. De plus, le régime de la cité historique crée un déséquilibre dans la protection du patrimoine. Les biens des Français ne bénéficieront plus du même régime partout sur le territoire.

Pour l’archéologie, tout en soutenant les revendications de l’Institut national de recherches archéologiques préventives – l’INRAP –, j’avais clairement demandé que les services archéologiques des collectivités soient considérés à la juste mesure de la qualité du travail et du service rendus. Mon souhait de mesurer l’impact du projet de loi sur les relations entre archéologues amateurs et professionnels visait l’objectif d’une meilleure protection des trésors. Je n’ai pas été suivie ; j’y reviendrai donc en deuxième lecture.

Pourtant, cette loi laisse passer la plus belle occasion du quinquennat de construire un cadre adapté à nos nouvelles façons de créer, à nos espoirs et à nos attentes pour les années à venir. Nous aurions dû garantir le libre accès aux oeuvres qui sont notre patrimoine commun. Avec l’amendement no 351 , je souhaitais l’inscription dans la loi d’une définition positive du domaine public. Malgré le soutien de députés de tous bords, il a été rejeté. C’est dommageable pour les créateurs d’aujourd’hui et de demain, autant que pour nos artistes du passé, dont l’héritage est bien trop souvent confisqué par quelques rentiers opportunistes.

Je profite de cette tribune, madame la ministre, pour vous inciter à vous intéresser au Rijksmuseum d’Amsterdam. Ses dirigeants ont fait le choix de respecter le domaine public en mettant en ligne toutes les oeuvres en très haute définition, gratuitement, sans aucune licence restreignant l’usage. Chacun d’entre nous peut se réjouir d’avoir ainsi accès aux Rembrandt, aux Vermeer et à tous les artistes qui font partie de notre patrimoine européen. Au bout de trois ans, les enseignements sont clairs : le Rijksmuseum a plus de visites, plus de renommée et, cerise sur le gâteau, plus de recettes grâce à l’ouverture de ses oeuvres.

Je cite Martijn Pronk, responsable numérique du Rijksmuseum, qui s’exprimait au musée Guimet le 22 septembre dernier à l’invitation de vos services : « Le Rijksmuseum a très à coeur d’être ouvert. Nous sommes là pour tout le monde. Nous pensons que la collection n’est pas notre propriété personnelle. Elle appartient à tous les Néerlandais, et donc au monde entier. La collection doit par conséquent aussi être accessible au monde entier. Nous devons être ouverts. Pas sous le coup d’une motivation passagère, mais par véritable choix. »

Madame la ministre, l’ouverture des données culturelles, à commencer par les reproductions d’oeuvres, ce n’est ni une perte de contrôle ni une perte financière. C’est la concrétisation de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté ».

Vous nous avez renvoyés vers le projet de loi relatif au numérique de la secrétaire d’État Axelle Lemaire. Nous espérons sincèrement que le Gouvernement ne reculera pas sur ce sujet, et que votre ministère sera en pointe pour protéger notre patrimoine commun contre les prédateurs qui tentent d’en interdire l’accès.

Toutefois, madame la ministre, le groupe écologiste est satisfait de l’adoption en séance de certains de ses amendements, comme l’inclusion des publics dans les concertations concernant la création et la reconnaissance des pratiques amateurs. Il salue le geste du Gouvernement de reprendre notre demande d’élargir la rémunération équitable des artistes interprètes aux web radios.

Je suis heureuse, ainsi que mes collègues Michel Piron, Marcel Rogemont et Michel Herbillon, que ma demande de rapport sur la restitution des oeuvres spoliées, les oeuvres dites « MNR » – Musées nationaux récupération – ait été acceptée. Cela reprend l’une des préconisations de notre mission parlementaire sur ces milliers d’oeuvres d’art volées par les nazis. Mais à qui doit-on restituer ces oeuvres conservées encore aujourd’hui dans les musées français ?

L’amendement vise à la remise d’un rapport au Parlement, avant le 15 octobre de chaque année, établissant la liste des ayants droit. Il précise qu’il faudra effectuer une recherche de provenance approfondie : l’origine de l’oeuvre est-elle douteuse ou non ? Si la réponse est négative, l’oeuvre intégrera officiellement les collections nationales.

Pour ces raisons, madame la ministre, parce qu’il y a finalement plus d’inertie que de mauvaises choses, le groupe écologiste votera ce texte en l’état, mais espère qu’il sera amélioré en deuxième lecture.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion