Intervention de Luc Belot

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Belot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la révolution numérique a eu lieu, et la France est plutôt passée à côté de sa première vague, celle des Apps, des réseaux sociaux, de la création de valeur autour des données personnelles. La négociation, à la fin des années 90, du Safe Harbor, d’actualité tout particulièrement aujourd’hui, est la plus cinglante démonstration de l’incapacité de l’Europe à se projeter à cette époque dans ce nouveau monde économique.

Pour la deuxième révolution, autour du Big Data, des objets connectés, la France est plutôt en pointe, et nous devons faire preuve d’une vraie vigilance pour ne pas reproduire les mêmes erreurs d’analyse et de prospective. Au début des années 90, bien des gens se demandaient pourquoi ils ouvriraient un site internet. J’entends actuellement des personnes demander pourquoi elles devraient faire de l’open data.

Il y a trois enjeux.

C’est d’abord une réelle opportunité économique, prouvée par bien des exemples. J’en prendrai d’abord un européen. Lorsque le Danemark lance, en 2012, basic data for everyone, il se projette dans un schéma d’ouverture des données publiques, et il prévoit cette année que, dans les cinq ans qui viennent, il y aura un bénéfice net de plus de 34 millions d’euros pour l’État et de plus de 66 millions d’euros pour l’économie. Pour prendre un exemple beaucoup plus français, l’IGN, en 2011, décide d’ouvrir son référentiel à grande échelle – les cartes que la plupart d’entre nous connaissent. Cela rapportait avant 6 millions d’euros de redevance, qui ont été compensés par le budget de l’État, 6 millions qui ont disparu des caisses de l’IGN, mais l’on a constaté que ce référentiel était utilisé vingt fois plus. Le rapport Trojette, qui fait référence depuis 2013 sur l’ensemble de ces sujets, estime que le gain à la fois sociétal et économique est certainement supérieur à 100 millions d’euros.

Ensuite, évidemment, il y a un enjeu de transparence. La donnée publique c’est pour les associations citoyennes, pour les organismes citoyens qui veulent pouvoir contrôler l’activité de l’État – je sais que René Dosière est particulièrement sensible à ce sujet – un moyen de vérification, de contrôle, de comparaison, et c’est un enjeu démocratique.

Il y a enfin un enjeu d’amélioration du service public lui-même. Selon Henri Verdier, « Il faut peut-être que l’État réussisse sa révolution numérique pour que l’économie tout entière réussisse la sienne. » L’open data, c’est aussi un enjeu pour maintenir et améliorer la qualité des informations publiques, voire pour garantir la pérennité du service public comme il est indiqué dans le rapport Trojette.

Nous y reviendrons plus longuement lors de la discussion des articles, notamment à l’occasion de l’examen des amendements nos 21 et 31 rectifié à l’article 3, qui posent la question des redevances. Celles-ci représentaient en 2012 35 millions d’euros, dernier chiffre complet dont nous disposons. Depuis, on a constaté que la baisse de 20 % entre 2010 et 2012 avait tendance à se perpétuer, et que l’on devrait envisager l’avenir des données avec la perspective de telles baisses.

Nous devons garder à l’esprit la réalité de l’apport de la donnée ouverte, publique et gratuite. Certes, au moment où l’on supprime une redevance, on subit une perte de recettes. Pourtant, très rapidement, il y a un gain pour le service public. Le retour sur les usagers, sur les produits qu’ils peuvent mettre à disposition et sur les données permet déjà, en lui-même, d’améliorer non seulement la production de l’État, mais également l’analyse prospective de ce que l’État pourra produire. En outre, la création de valeur par des entreprises externes est à elle seule un gage de création de richesse dans notre pays, donc de gains. Toutes les études, qu’elles soient nationales ou internationales, montrent qu’il y a bien, à terme, un retour pour l’État.

Ce retour, bien entendu, n’est plus directement lié à l’organisme public qui ne touche plus la redevance, d’où le problème que nous traiterons lorsque nous aborderons l’article 3.

Comme vous l’avez souligné dans votre présentation, madame la secrétaire d’État, ce projet de transposition marque une étape importante. Je veux saluer votre engagement personnel dans la réflexion sur la manière dont nous pourrons continuer à avancer sur ces questions et outiller notre pays. Nous avons été classés troisièmes en matière d’open data par une association internationale indépendante, quatrièmes par l’ONU. La France est en pointe, et, pour qu’elle le reste, nous avons des armes à lui donner, y compris dans ce texte !

Vous l’avez dit, le principe de gratuité est l’élément essentiel. Il s’inscrit dans une histoire qui commence par la loi de 1978 instaurant, avec la CADA, le droit d’accès, qui se poursuit avec la transposition de la directive de 2003, traitant des enjeux de la réutilisation, pour en arriver à ce texte instaurant la gratuité. Accès, réutilisation, gratuité : tels sont bien les enjeux de la donnée publique aujourd’hui.

Bien qu’éminemment politique, le sujet n’a pas eu à subir le poids des alternances gouvernementales. Du discours de Lionel Jospin à Hourtin en 1997 à la création de la mission Etalab et du portail data.gouv.fr en 2011 par François Fillon, il existe une continuité de l’ambition de l’État quant à sa politique d’open data. Cette ambition mérite d’être saluée, et je la salue d’autant plus volontiers que la qualité de nos travaux en commission, soulignée par Mme la secrétaire d’État, nous donne à penser que ce consensus peut se poursuivre et que nous avons ici le moyen de doter notre pays d’une arme supplémentaire dans l’économie mondialisée.

Nous posons la première pierre de cette « République numérique » qu’Axelle Lemaire a évoquée lors des questions d’actualité. L’examen de ce texte sera en effet suivi par celui du projet de loi pour une République numérique, qui devrait venir en discussion d’ici à la fin de l’année, et par celui d’un texte « Macron II », qui traitera notamment des écosystèmes numériques et viendra clore les travaux que nous aurons consacrés aux sujets numériques dans l’espace de cette session. Nous compléterons ainsi utilement le dispositif, et je sais que plusieurs personnes ici présentes travaillent déjà à ces sujets.

Nous devons nous garder de toute surtransposition, avez-vous dit. Au-delà, il ne s’agit pas non plus de traiter de l’ensemble des sujets de l’open data. La décision du Conseil constitutionnel du 13 août dernier nous invite à nous en tenir à la seule transposition, ce qui nous a conduits à refuser quelques amendements en commission et à en refuser un autre avant la séance publique – nous aurons l’occasion d’en reparler –, au motif qu’ils étaient contraires à l’article 45 de la Constitution.

Le délai de transposition justifie l’engagement par le Gouvernement de la procédure accélérée – nous avons dû nous conformer à un calendrier d’auditions assez serré. Nous avons néanmoins pu rencontrer non seulement l’ensemble des représentants des producteurs de données – INSEE, IGN, Météo France, pour ne citer que les plus importants, ainsi que la Réunion des musées nationaux et la Bibliothèque nationale de France –, mais aussi les utilisateurs, les réutilisateurs ou leurs représentants – je pense notamment à l’association « Regards citoyens » et au Conseil national du numérique.

J’appelle enfin votre attention sur plusieurs ajouts apportés en commission : un article 1er A pose clairement que la réutilisation des informations publiques constitue un véritable droit ; un article 1er B prévoit que les organismes publics doivent mettre leurs informations à disposition « sous forme électronique et, si possible, dans un format ouvert » – je sais la vigilance de certains de mes collègues à ce sujet – ; à l’article 3, c’est l’instauration d’un principe de révision régulière des catégories d’administrations autorisées à établir des redevances.

Mes chers collègues, la commission vous recommande donc d’adopter ce texte, sous réserve du vote de quelques amendements que nous examinerons après la discussion générale.

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