Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, ce projet de loi ne comporte que très peu de mesures législatives nécessitées par la transposition de la directive européenne. Nous ne pouvons que nous en réjouir : cela signifie que notre législation est déjà d’un très bon niveau par rapport aux objectifs de la directive, et cela sans avoir attendu le texte européen.
On peut néanmoins regretter que le Gouvernement n’ait pas respecté le délai de transposition, qui s’achevait le 18 juillet 2015. Pourquoi ce qui est devenu urgent dans le calendrier parlementaire ne l’a-t-il pas été dans le calendrier gouvernemental ? Je me refuse à imaginer que le Gouvernement considère le Parlement comme une variable d’ajustement, mais je déplore que nous ayons disposé d’aussi peu de temps et que l’on n’ait pu inclure ce texte dans le projet de loi relatif au numérique, de manière à consacrer un débat global à la politique numérique de notre pays.
Le retard à transposer les directives européennes me semble dommageable à deux égards.
D’abord, on sait bien que, dans le domaine du numérique, les textes sont rapidement obsolètes, « technodégradés », si je puis dire. Plus on les transposera tard, moins on aura de temps pour en profiter avant la révision suivante.
Ensuite, ce retard fragilise la crédibilité de la France au plan européen. Nous savons que nous ne sommes pas les meilleurs élèves en la matière ! En revanche, nous sommes tous convaincus ici que c’est bien l’Europe qui constitue la meilleure chance de faire avancer une régulation de l’internet au plan international fondée sur les valeurs que nous partageons et que nous voulons voir respectées.
Il y a de multiples raisons de pousser le plus loin possible l’ouverture des données publiques.
Une de ces raisons, essentielle, se résume par l’adage : « Avoir plus de données, c’est avoir de meilleures données. » C’est d’autant plus exact que, contrairement aux données que l’on choisit de poster sur Facebook, les données collectées par la puissance publique retracent notre vrai comportement.
Le Conseil national du numérique – CNN – a remis au Premier ministre, en juin dernier, un excellent rapport intitulé Ambition numérique – Pour une politique française et européenne de la transition numérique. Ce travail très approfondi, issu de la concertation la plus large, doit guider nos initiatives en faveur du numérique. C’est pourquoi il me semble difficilement compréhensible – même si vous affirmiez tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, qu’il fallait s’en tenir à la transposition et ne pas faire de surtransposition – que le présent projet de loi ne reprenne pas un certain nombre de ses propositions. J’espère que celles-ci seront prises en compte dans les prochains textes, voire, pour partie, dans les ordonnances prévues à l’article 9 du présent projet de loi.
Le CNN souligne par exemple la nécessité d’aller le plus loin possible dans l’application du principe d’ouverture aux collectivités territoriales, et d’étendre cette ouverture aux données collectées ou produites dans le cadre de l’exécution d’un marché public.
Il prône également la reconnaissance d’un droit à « l’autodétermination informationnelle » sur les données personnelles détenues ou collectées par l’administration, droit qui ne peut être un droit absolu de modification, suppression ou autorisation de réutilisation, mais qui emporterait plusieurs conséquences importantes : un droit d’accès et de visualisation des données ; un droit de demander, le cas échéant, la correction des données sous réserve de justification ; un droit d’autoriser certains flux de données entre les administrations ; un droit éventuel à demander l’effacement de certaines données dans le cadre d’une procédure spécifique ; à terme, une fonctionnalité permettant à chacun de suivre et de contrôler l’usage qui est fait de ces données personnelles.
Il faudra aller encore plus loin, comme le CNN nous y invite, pour assurer la qualité de la mise à disposition des informations publiques sous des formats libres et interopérables, et mettre en place de fortes garanties pour l’anonymisation des données publiques, notamment celles qui présentent un caractère « réidentifiant ».
Face à l’objectif général de gratuité des données publiques, la redevance doit vraiment rester l’exception. Il est clair que plus la redevance existe, moins l’accès aux données est utilisé : peut-être est-ce une lapalissade, mais il faut le rappeler. Paradoxalement, la redevance est un obstacle au rayonnement maximum du service public, voire un obstacle à l’accomplissement même de la mission de service public de certains organismes.
La redevance constitue aussi un obstacle à l’accès aux données permettant à tous les citoyens de contrôler, de critiquer ou de valider le fonctionnement des services publics. C’est une limitation de la démocratie participative, indéfendable au regard des recettes marginales qui pourraient justifier cette redevance. Le CNN propose de prévoir, au cas par cas, des contreparties non financières pour la réalisation des données publiques, moyennant un système de double licence.
Il ne faut pas s’occuper uniquement des « consommateurs » de données ouvertes, il faut aussi prendre en compte les « producteurs ». Le CNN souligne la nécessité de bâtir une infrastructure informationnelle nationale en se dotant, pour les bases de données pivots, de référentiels faisant autorité à l’échelle internationale. S’il s’agit de réduire les coûts et de supprimer les redondances, il s’agit aussi d’un enjeu de souveraineté, celui de la préservation, pour notre pays, de la capacité de donner une description numérique du réel et de produire une information d’autorité.
Je souhaite donc savoir si le Gouvernement s’engage à traduire dans notre législation ces propositions du CNN, ainsi que quelques autres que l’on connaît bien, soit sous forme d’amendements au présent projet de loi – mais j’ai bien compris que l’on n’irait pas plus loin –, soit dans le cadre du projet de loi sur le numérique, soit dans le cadre des ordonnances qu’il publiera après y avoir été habilité par l’article 9 ?