Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi nous permet d’aborder la question centrale de l’ouverture des données publiques, à la fois enjeu de gouvernance et opportunité économique.

Enjeu de gouvernance, car l’open data peut contribuer à changer profondément le rapport entre citoyens et décideurs en assurant une meilleure information de tous et en instaurant un équilibre des savoirs entre tous les acteurs, à la condition, bien entendu, que le dispositif soit structuré. L’open data doit permettre d’alimenter le dialogue entre l’administration et les citoyens, de mieux comprendre l’action publique et de mettre en place des habitudes de coopération au niveau territorial. Il s’agit d’une étape centrale dans la perspective d’une gouvernance ouverte, facteur de confiance entre les citoyens et l’administration, entre les citoyens et les élus.

Opportunité économique, car, à l’ère du numérique, les données constituent une matière première pour développer de nouveaux services dans des domaines aussi variés que les transports, le logement et l’énergie. La réutilisation des données publiques est un levier de croissance et, potentiellement, de création d’emplois. C’est aussi un levier pour réaliser des économies. Lorsque l’on discute avec les représentants d’ERDF – Électricité Réseau Distribution France –, par exemple, on prend la mesure des horizons immenses ouverts par l’installation du compteur Linky, pour peu que l’on mette en place les services afférents.

Encourager les potentialités de l’open data implique nécessairement d’adapter notre législation, insuffisamment contraignante pour les détenteurs de données publiques et reposant essentiellement sur une logique de demande d’accès. Trop peu de collectivités locales et d’organismes publics ont adopté des politiques relatives à l’ouverture des données publiques. Nous devons insuffler une véritable stratégie dans ce domaine.

Pour autant, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’est, reconnaissons-le, qu’un pan de la réforme, puisqu’il s’agit d’une transposition, certes nécessaire, de la directive de 2013, dont l’essentiel des dispositions figure déjà dans la législation française actuelle.

Ainsi que je l’ai indiqué en commission, nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles nous abordons un sujet pourtant majeur, non pas parce que nous ne sommes pas certains de retrouver, après l’examen de ces textes, ce que nous en attendons, mais parce que celles et ceux qui ont été mis à contribution et ont donné leur avis seraient satisfaits d’apprendre ce qui en sortira.

Le sujet du numérique sera traité en trois étapes : le présent texte, le projet de loi pour une République numérique, dit « projet Lemaire », qui fait l’objet d’une consultation en ligne pendant trois semaines, et enfin le futur « projet de loi Macron 2 », consacré aux écosystèmes numériques. J’avoue ne pas comprendre pourquoi le Gouvernement n’a pas tout regroupé en un seul grand texte, mais peut-être a-t-il du mal à gérer les appétits de certains de vos collègues, madame la secrétaire d’État…

En ce qui concerne ce projet de loi, l’exercice est relativement limité puisque, si ce texte va plus loin sur certains points, nous devons suivre la route tracée par la directive du 26 juin 2013, laquelle modifie une autre directive qui se trouve être le texte fondateur de la réutilisation des informations du secteur public, dite « directive ISP ».

En outre, nous sommes une fois encore sous la menace d’une procédure européenne en manquement, contraints dans notre travail de législateur par les délais de transposition qui nous obligent à examiner ce texte selon la procédure accélérée – et nous le regrettons.

Ainsi que le groupe UDI l’a souligné à plusieurs reprises à l’occasion de l’examen de divers textes, la France a encore des progrès importants à faire pour réduire ce déficit de transposition.

Néanmoins, sur le fond, en posant comme principe celui de la gratuité de la réutilisation des informations prôné par le rapport Trojette de 2013, ce texte va indéniablement dans le bon sens.

Alors que le droit actuel prévoit que la réutilisation des informations publiques peut donner lieu au versement de redevances, le projet de loi va au-delà de ce qu’impose la directive en instituant ce principe de gratuité.

Pour autant, comme je l’ai dit en commission, ce texte est perfectible sur plusieurs points.

En premier lieu, certains termes devraient être mieux définis, notamment s’agissant du montant des redevances et des hypothèses selon lesquelles des redevances de réutilisation peuvent être maintenues. En matière de fixation des redevances, le projet de loi prévoit une fixation par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission d’accès aux documents administratifs.

La liste des catégories d’administration autorisées à établir des redevances sera, elle, aussi fixée par décret. C’est normal, mais nous avons souligné lors de l’examen du texte en commission que s’il est prévu une révision de cette liste tous les cinq ans, nous n’avons aucune connaissance du contenu de cette liste. Il en est de même de la liste des redevances.

Nous avons besoin d’éclaircissements sur ces différents points.

En outre, les accords d’exclusivité accordés à un tiers pour la réutilisation d’informations publiques et les redevances accordées aux administrations constituent des exceptions aux principes de gratuité et de mise à disposition publique énoncés par le texte. En ce sens, il convient de permettre aux citoyens l’accès libre à toutes les informations relatives à ces exceptions, ce qui correspond au principe de l’open data. Le citoyen ainsi mis au coeur du système devrait être en mesure de veiller à la bonne application de ces règles. Cela nous rassurerait. C’est la raison pour laquelle je proposerai, au cours de la séance, de préciser les contours de la publication des accords d’exclusivité.

S’il est d’ordre réglementaire de préciser le support sur lequel ces critères devront être publiés, le texte est imprécis quant à la nature des informations qui seront transparentes. Les détails précis des accords octroyés devraient donc être rendus publics dans un format numérique et mis à jour, comme pour l’ensemble des données hébergées, sur le site « data.gouv.fr ». C’est sans doute une bonne idée, mais il s’agit de savoir comment nous allons faire.

Par ailleurs, si le présent projet de loi prévoit que les critères retenus pour fixer le montant de ces redevances sont transparents et vérifiables, et que les bases de calcul sont rendues publiques, il ne prévoit pas la diffusion du montant total des redevances perçues par chaque administration. Je propose donc de préciser la nature des informations relatives aux redevances qui seront rendues publiques et dans un format ouvert. Les montants perçus par les administrations – de l’ordre de 10 millions d’euros pour l’INSEE et 5 000 euros pour la CADA en 2012 – sont très hétérogènes. Il convient de permettre à chacun d’appréhender ces montants ainsi que leur évolution dans le temps.

Enfin, la durée du droit d’exclusivité concernant la numérisation des ressources naturelles devrait être limitée. Selon l’article 2 du projet de loi, lorsqu’un droit d’exclusivité est accordé, la période d’exclusivité ne peut dépasser dix ans, avec un réexamen périodique au moins tous les trois ans.

En revanche, lorsqu’un droit d’exclusivité est accordé pour les besoins de la numérisation de ressources culturelles, la période d’exclusivité peut, par dérogation, être supérieure à dix ans. Dans ce cas, elle fera l’objet d’un réexamen au cours de la onzième année et ensuite, le cas échéant, tous les sept ans.

Sur ce point, le projet de loi va au-delà de la directive ISP révisée puisque cette dernière ne prévoit une limitation à dix ans que pour les droits d’exclusivité concernant la numérisation de ressources naturelles.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué en commission la possibilité d’apporter une modification sur ce point en séance. Nous espérons que votre proposition nous donnera satisfaction.

Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, vous l’aurez compris, en dépit de ces quelques réserves, d’une certaine maladresse dans la présentation, et dans l’attente du prochain projet de loi Lemaire, qui nous permettra d’aborder plus largement la question du numérique sous ses différents aspects, le groupe UDI votera ce projet de loi, surtout si le Gouvernement accepte quelques amendements de bon sens.

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