Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis aujourd’hui pour discuter du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. Son objet devrait donc concerner en particulier l’open data – les « données ouvertes », si l’on préfère –, méthode qui consiste à rendre des données numériques accessibles à tous et à s’affranchir des restrictions sur le droit d’accès et de réutilisation les concernant. Ces restrictions peuvent être imposées par l’usage de formats propriétaires ou de licences restrictives, notamment les licences payantes parfois mises en place sur des données publiques. Le principe de gratuité de la réutilisation des données publiques représente justement le coeur de ce projet de loi.
Néanmoins, devant la crainte exprimée par le Gouvernement et le rapporteur s’agissant du passage sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel, nous regrettons que le texte soit davantage centré sur la question des redevances et ne parle que très peu de l’open data et de la libération des données. En effet, les modifications indispensables à la loi de 1978 instaurant la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et traitant de la liberté d’accès aux documents administratifs et de la réutilisation des informations publiques, sont renvoyées au projet de loi sur le numérique qui, c’est vrai, fait l’objet d’une intense consultation depuis quelques jours. Nous comprenons les contraintes de calendrier ayant amené le Gouvernement à présenter ce texte avant celui sur le numérique : la date limite de transposition de la directive européenne à l’origine de ce projet de loi est fixée le 18 juillet – elle est donc dépassée depuis près de trois mois.
Néanmoins, comprenez notre frustration, car la dissociation de ces deux textes nous empêche de faire une oeuvre législative de plus grande envergure. Le travail parlementaire aurait été facilité et les débats autour des enjeux de l’open data plus profonds, sortant de l’aspect purement technique dans lequel nous enferme la simple transposition d’une directive européenne.
Malgré ces limites, nous avions proposé en commission plusieurs amendements importants visant à élargir l’objet du texte et inspirés, pour certains d’entre eux, du rapport des sénateurs Corinne Bouchoux et Jean-Jacques Hyest. Ces amendements portaient notamment sur la définition d’un format ouvert et réutilisable, et sur la création d’un droit à une publication régulière des données d’intérêt général, dispositions fréquemment réclamées par les citoyens.
Face aux oppositions constitutionnelles, nous avons dû retirer nos amendements, que nous représenterons naturellement lors de l’examen du projet de loi sur le numérique.
Avec ma collègue Isabelle Attard, nous avons toutefois tenu à déposer un amendement tendant à supprimer le droit d’exploitation des oeuvres créées par un fonctionnaire, cette disposition posant de nombreux problèmes pour l’accès à certaines bases de données. Vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, il s’agira surtout, pour nous, de prendre date dès à présent sur cette question importante en vue de nos prochains débats.
L’open data est un défi pour notre société et plus encore pour nos administrations publiques. Vous l’avez dit en commission, monsieur le rapporteur, et réaffirmé au début de ce débat, selon une étude publiée par une association internationale spécialisée, la France se situe au troisième rang mondial pour l’ouverture et la réutilisation de ses données publiques. Ainsi, la législation française satisfait déjà, sur la plupart des points, à la directive de l’Union européenne du 26 juin 2013 qui encadre la réutilisation des informations ainsi que la mise en place de redevances ou la conclusion d’accords d’exclusivité. Le projet de loi va même au-delà de la directive en inscrivant dans la loi de 1978 les principes de l’open data, notamment la gratuité.
Néanmoins, plutôt que de garantir l’abandon progressif des redevances, comme le permettait la directive, le Gouvernement choisit d’entériner celles-ci en y consacrant la moitié de son projet de loi. En compensation, le texte affirme bien un principe de gratuité, mais en lui associant de nombreuses exceptions.
Le projet de loi prévoit également des durées de redevance supérieures à dix ans dans plusieurs cas. Or, le rapport Trojette de novembre 2013 sur les exceptions au principe de gratuité des données publiques montre que les redevances handicapent le bon fonctionnement des services publics producteurs de données.
Le travail de la commission, sous l’impulsion du rapporteur, dont nous saluons le travail et la volonté, a néanmoins permis d’améliorer le texte en matière de redevances : pour les administrations de l’État, l’obligation d’un décret pour chaque nouvelle redevance est réaffirmée dans la loi et bénéficiera désormais de l’avis de la CADA. Ce progrès ne concerne toutefois pas les autres personnes morales de droit public – collectivités territoriales, autorités administratives indépendantes – ni les organismes de droit privé chargés d’une mission de service public, qui peuvent toujours fixer leurs redevances sans contrôle.
Si ce texte est timide, il est néanmoins nécessaire et nous souhaitons encore l’améliorer sur plusieurs points.
Premièrement, nous saluons l’adoption en commission d’un article additionnel 1er B qui prévoit un principe de publication des documents administratifs, sous format ouvert si possible. Nous proposerons un amendement à ce nouvel article, visant à définir précisément ce qu’est un format réutilisable librement.
Quant à l’article 2, qui porte sur les accords d’exclusivité, il exclut de l’exception générale à l’interdiction des droits d’exclusivité les cas de numérisation des ressources culturelles. Toutefois, la période d’exclusivité pourra dépasser dix ans.
Je dois vous avouer que nous sommes gênés par cette dérogation. En effet, même si la directive permet une dérogation supérieure à dix ans, son considérant no 31 indique : « Cette période devrait toutefois être limitée dans le temps et être aussi courte que possible afin de respecter le principe selon lequel le matériel relevant du domaine public doit rester dans le domaine public une fois numérisé. La durée du droit d’exclusivité pour la numérisation de ressources culturelles ne devrait, en général, pas dépasser dix ans ». C’est pourquoi nous proposerons la suppression de cette dérogation ou, à défaut, que ces accords d’exclusivité puissent être prolongés pour une durée maximale de quinze ans.
L’article 3, qui porte sur les redevances, fixe un principe de gratuité de la réutilisation des informations publiques, principe assorti de deux dérogations.
Une première dérogation pour les organismes qui sont tenus de couvrir, par des recettes propres, une part substantielle des coûts liés à l’accomplissement de leurs missions de service public. Le montant de la redevance ne doit alors pas dépasser les coûts de collecte, de production, de mise à disposition et de diffusion.
Une seconde dérogation lorsque la réutilisation porte sur des documents issus des opérations de numérisation des fonds et collections des bibliothèques, y compris des bibliothèques universitaires, des musées et archives, dont ces établissements supportent le coût.
Nous avons là aussi plusieurs améliorations substantielles à apporter au texte, car nous estimons que les services publics chargés de créer de la donnée ne devraient pas établir de redevances sur ces données. Le citoyen se retrouve alors à payer deux fois, pour la production puis pour l’accès aux données.
Il s’agit d’une barrière très lourde pour l’accès à ces informations d’intérêt général, alors que ces redevances ne représentent qu’une part très faible des recettes de ces services publics. Cette part est de 3 % pour l’INSEE et de 5 % pour l’IGN.
De nombreux rapports ont montré l’inconvénient de ces redevances. Une part importante des acheteurs sont des acheteurs publics. Ceux-ci apportent le tiers des revenus que l’IGN tire de ses redevances. La libération des données et leur diffusion peut cependant être source d’externalités bien plus positives que leur maintien sous redevance.
C’est pourquoi nous proposerons qu’il ne puisse pas y avoir de redevances de la part d’administration telles que l’INSEE ou l’IGN. Je note que le rapporteur partage notre volonté.
De même, nous proposerons un amendement visant à rendre impossible les redevances pour des données qui ont préalablement fait l’objet d’un accord d’exclusivité. Leur production ayant déjà été financée, l’établissement d’une redevance ne devrait pas être possible, notamment pour des données produites par un acteur privé.
Telles sont les raisons qui nous amènent à soutenir ce texte de loi, tout en espérant pouvoir effectuer un travail d’amélioration constructive lors de ces débats, et surtout lors de ceux qui accompagneront l’examen du projet de loi sur le numérique, dont nous sommes impatients de nous saisir.