Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner le projet relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. Vaste programme !Parce que nous devons nous mettre en conformité avec nos obligations européennes et que la transposition aurait dû intervenir au plus tard le 18 juillet 2015, le texte qui nous est présenté vise à transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, modifiant la directive du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public dite « directive ISP ».

Par le biais de la directive de 2003, la France s’était dotée d’un véritable droit à la réutilisation des informations publiques, ce qui lui permettait d’être en pointe dans le domaine du numérique par rapport à nombre des autres États de l’Union européenne.

Déjà, la France, par la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, ainsi que diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, reconnaissait à toute personne le droit d’obtenir communication des documents détenus dans le cadre de sa mission de service public par une administration, quels que soient leur forme ou leur support. Dès son titre IEr, les principes de la liberté d’accès aux documents administratifs et de la réutilisation des informations publiques étaient posés.

Cette loi a aussi mis en place la Commission d’accès aux documents administratifs – la fameuse CADA – en ses articles 20 et suivants. Cette commission publie chaque année un rapport sur l’évolution de l’accès aux documents publics détenus par l’administration.

Le rapport d’activité de la CADA pour 2013 fait état d’une augmentation d’activité de plus de 15%, ce qui porte à 5 486 le nombre de dossiers de demande d’accès à un document instruit. Aussi, l’activité de conseil auprès des administrations s’est accrue. La CADA réalise 2 600 réponses écrites et plus de 4 000 consultations téléphoniques pour les administrations.

En vertu de ce mouvement d’ouverture des données publiques, il faut permettre la mise à disposition d’office des documents au public, en dehors même de toute demande d’information formulée à l’administration.

La CADA, prenant acte de ce mouvement, précise en effet que l’« exigence de démocratie participative, d’efficacité administrative et de développement économique se conjugue pour justifier que soient prises au profit de tout un chacun les mesures propres à restituer aux informations publiques, au-delà de leur statut juridique, les usages effectifs d’un bien commun qui est la conséquence de leur essence. »

L’ouverture des données publiques est une chance pour l’administration, dans le contexte de la recherche d’efficacité, d’effectivité et de rentabilité. Ouvrir les données ne comportant pas d’informations à caractère personnel ou protégées en application de la loi de 1978 permet de les offrir à tous, avant même qu’une demande ne soit formulée, ce qui permettra à l’administration de s’épargner la répétition des opérations de communication individuelle et par là même limitera leur coût pour le contribuable.

Ainsi, le Gouvernement, souhaitant changer la législation française en matière numérique, nous présente un texte qui constitue le premier acte d’un ensemble cohérent de trois textes sur l’open data, les deux suivants étant le projet de loi sur la République numérique, qui sera présenté par la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire, puis le projet de loi sur l’écosystème numérique, qui sera présenté par le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique Emmanuel Macron.

Ces trois textes permettront de mettre en place une réutilisation automatisée des données publiques, dès le recueil et la production des informations, afin de permettre la fluidité de la circulation de l’information entre son collecteur, son producteur et son réutilisateur.

Dans ce cadre, la Commission d’accès aux documents administratifs devra jouer un rôle déterminant et central de contrôle et de facilitateur d’accès aux informations.

Par ces textes, le Gouvernement vise trois buts : ouvrir le champ des dérogations afin de recourir en majorité aux données ouvertes ; encadrer la possibilité de signature d’accord d’exclusivité de la diffusion de données, limitée à cinq ans avec un réexamen tous les trois ans ; introduire la gratuité de diffusion des données, alors que la directive invite seulement, dans le cadre de la réutilisation de documents soumise à redevances prélevées par des organismes du secteur public, à limiter ces redevances aux coûts marginaux.

Mais revenons à l’objet du texte, qui s’intéresse à toutes les données issues, détenues et produites par l’administration, ce qui relève d’un champ très large. Il s’agit de tous les documents produits ou reçus par l’État, les collectivités territoriales, ainsi que les autres personnes de droit public ou de droit privé dans le cadre de l’exercice de leur mission de service public administratif.

Ne sont donc pas concernés les informations ou documents produits ou reçus par l’administration dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public industriel et commercial, les documents sur lesquels des droits de propriété intellectuelle sont détenus, les documents sur lesquels un droit d’exclusivité a été attribué, les documents qui ne font pas l’objet d’une autorisation de communication en application de la loi du 17 juillet 1978, soit notamment toutes les informations à caractère personnel et individuel.

Le projet de loi vise à permettre la réutilisation de ces informations du secteur public, cette réutilisation s’entendant comme l’utilisation à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle elles ont été produites ou perçues. Il en va ainsi de la rediffusion de documents produits par l’administration ou de l’utilisation d’informations en vue d’élaborer d’autres produits pour le développement d’une activité économique.

Cette vague de diffusion des données de l’administration a été de plus en plus utilisée, avec notamment l’ouverture de toutes les données relatives aux listes électorales, à la cartographie et à la géolocalisation avec le service Etalab, ou encore l’ouverture des données publiques en matière de géographie pour les handicapés moteurs avec le service Handimap à Lille ou à Montpellier.

Mais la pierre angulaire du texte est l’inscription dans la loi du principe de la gratuité de l’accès aux données numériques publiques. Ce principe se justifie d’autant plus qu’en réalité, la redevance n’est pas forcément rentable, compte tenu de ses modalités de perception et des conséquences qui en résultent.

Les documents conservés dans les bibliothèques, musées ou archives font parties de ces informations, et leur rediffusion doit être gratuite, en application de la loi de 1978, afin de permettre au plus grand nombre d’accéder à l’information.

Enfin, certains ont pu considérer que ce texte n’était pas nécessaire, alors même que la secrétaire d’État chargée du numérique vient de lancer un chantier d’auditions et d’appels à contribution sur internet, dans le cadre de la République numérique. Mais, les délais de transposition de la directive de juin 2013 étant dépassés, ce qui expose la France au paiement d’indemnités pour défaut de transposition, le Gouvernement a souhaité examiner ce texte au plus vite, en recourant d’ailleurs à la procédure accélérée.

Nous pouvons déplorer l’absence d’un projet global sur le numérique, pourtant prévu de longue date. Cependant, nous savons que le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2015-719 DC du 13 août 2015 a censuré, dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, toutes les dispositions introduites par le Gouvernement qui n’avaient pas de lien direct avec l’objet des dispositions à transposer.

Le Conseil constitutionnel a ainsi précisé qu’un texte de transposition devait se contenter de transposer les dispositions européennes concernées ou les mesures en lien direct avec celles-ci, et ne pouvait servir de prétexte pour adopter d’autres mesures.

Cette décision a sensiblement réduit la marge de manoeuvre des parlementaires qui souhaiteraient insérer des dispositions nouvelles dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de transposition.

Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera ce projet de loi.

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