Intervention de René Dosière

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’idée que l’activité de l’administration doit être connue du public n’est pas nouvelle, puisque l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Il faudra cependant attendre le septennat de Valéry Giscard d’Estaing pour que ce principe se concrétise. Plusieurs lois concomitantes assurent une transparence accrue de l’action publique, en particulier la loi du 17 juillet 1978 qui reconnaît aux citoyens « la liberté d’accès aux documents administratifs » et créé une autorité indépendante chargée de sa mise en oeuvre : la CADA.

Désigné membre de la CADA par le président de l’Assemblée nationale, je tiens à souligner l’importance du travail accompli par cette autorité indépendante qui examine 5 000 affaires par an, avec le souci constant de veiller au respect du droit d’accès aux documents administratifs.

Ainsi, la CADA a permis que soient communiqués à une association citoyenne les sondages réalisés par la présidence de la République durant le mandat de Nicolas Sarkozy. Le fait que certains d’entre eux n’aient pas de rapport évident avec les prérogatives de la présidence et les modalités des contrats afférents a abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire, qui est en cours.

La CADA a également rendu possible la communication des factures des candidats lors de la dernière campagne présidentielle.

Mais, si certains connaissent parfaitement les possibilités offertes par les textes sur le libre accès aux documents administratifs, je dois constater qu’il subsiste encore de multiples réticences à répondre favorablement aux demandes des citoyens, en particulier parmi les collectivités territoriales.

C’est pourquoi je crois utile de rappeler que sont communicables au public tous les documents produits ou reçus par les administrations et les collectivités locales – communes, communautés de communes, syndicats, conseils départementaux et régionaux –, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, et qu’ils se présentent sous forme écrite, visuelle, sonore, numérique ou informatique.

Constituent de tels documents communicables, les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, correspondances, avis, décisions, factures, etc.

Notons toutefois que les actes et documents produits et reçus par les assemblées parlementaires, ainsi que les documents des juridictions liés à la fonction de juger sont exclus du droit d’accès, en vertu de la séparation des pouvoirs.

Pour autant, l’Assemblée nationale n’hésite pas à rendre publics certains de ses documents. Ainsi, depuis trois ans, les comptes financiers intégraux de l’Assemblée sont disponibles sur son site internet. La présidence de la République pourrait heureusement imiter cet exemple.

Cependant, la transparence ne doit pas porter atteinte au respect de la vie privée dont le Conseil constitutionnel est un gardien vigilant. Ainsi, ne sont communicables qu’aux seuls intéressés les documents dont la publication porterait atteinte à la vie privée ou au secret médical, ou ferait apparaître un comportement dont la divulgation pourrait porter préjudice à la personne concernée.

Pour respecter cette disposition, les documents administratifs communicables occultent les données personnelles. De fait, notre législation reconnaît que la transparence ne saurait être absolue et se voit limitée par le respect de la vie privée, ce qui est la marque d’un régime démocratique.

C’est pour ce motif que le Conseil constitutionnel a refusé la publicité sur les déclarations de patrimoine des élus locaux et des fonctionnaires concernés.

D’autres limites, plus administratives celles-là, sont prévues, en particulier le fait que, pour être communicable, le document doit exister. De même, pour préserver la sérénité de l’action administrative, ne sont pas communicables les documents inachevés, c’est-à-dire en cours d’élaboration, et préparatoires à une décision tant que celle-ci n’est pas prise.

Je rappelle ces données en quelque sorte élémentaires, car je constate parmi les maires et conseillers municipaux, une méconnaissance trop fréquente des dispositions législatives concernant le libre accès aux documents administratifs détenus dans leur mairie.

L’accès s’exerce, au choix du demandeur, par consultation gratuite sur place sauf si la préservation du document ne le permet pas, par la délivrance d’une copie à un tarif faible fixé par décret ou par courrier électronique sans frais si le document est disponible sous forme électronique.

En cas de refus, il importe de saisir la CADA, gardienne vigilante de la liberté de communication, dont les avis sont suivis dans la proportion de 85% par les administrations concernées.

En 2005, une nouvelle étape a été franchie avec le principe nouveau de la libre réutilisation des informations publiques disponibles.

Autrement dit, toute personne physique ou morale peut utiliser les données publiques à des fins commerciales ou non commerciales. Ainsi a-t-on vu se multiplier les palmarès scolaires ou médicaux mis en forme par des sociétés privées à partir des données disponibles auprès des administrations concernées et publiés dans les magazines d’information.

Le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui précise les conditions économiques de cette réutilisation, en application d’une directive européenne de 2013, adoptée par le Parlement européen puis par le Conseil européen. Le projet de loi présenté par le Gouvernement a pour objet de transcrire dans notre droit les dispositions de cette directive ; comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, le projet de loi est donc limité dans son format, compte tenu de l’état plus favorable de notre législation. Alors que l’objectif de la directive consiste à limiter, à plafonner, à rendre plus transparent le montant des redevances que certaines administrations peuvent instituer en cas de réutilisation de leurs données afin de prendre en compte le coût de production, de reproduction et de mise à disposition de celles-ci, en particulier pour les rendre anonymes, le projet de loi affiche clairement dans son titre le principe de gratuité, ce qui va au-delà du champ de la directive.

Ce faisant, le Gouvernement confirme l’engagement qu’il avait pris dès le premier Conseil des ministres du 17 mai 2012, puisque, dans la charte de déontologie signée par chaque ministre figure – je cite –, l’engagement à « mener une action déterminée pour la mise à disposition gratuite et commode sur internet d’un grand nombre de données publiques ». On constate d’ailleurs – le rapporteur l’a souligné – que la gratuité multiplie le nombre de consultations, ce qui est bénéfique pour le développement économique et l’emploi. L’étude d’impact, jointe au projet de loi, démontre que la gratuité est bénéfique à la collectivité car les utilisateurs créent de nouveaux produits et services. L’exemple du global positioning system – le GPS – illustre bien le fait que la réutilisation démultiplie les effets bénéfiques de la donnée première. Conçu initialement pour les seuls besoins militaires des États-Unis, le GPS sera ensuite étendu aux usages civils par le Président Clinton. Aujourd’hui, il est essentiel au fonctionnement de nombre d’industries, de l’aviation à l’agriculture en passant par les transports. Alors que le coût de sa mise en place par l’armée américaine était estimé à 14 milliards de dollars, la valeur engendrée par son utilisation est estimée, en 2012, à 70 milliards pour le seul territoire américain et trois millions d’emplois, aux États-Unis, dépendent du GPS.

Toutefois, le principe de gratuité comporte deux dérogations, l’une en faveur des établissements culturels, l’autre au profit des administrations qui ont besoin de recettes propres pour accomplir leur mission de service public, comme l’Institut national de la statistique et des études économiques – l’INSEE – ou l’Institut national de l’information géographique et forestière – l’IGN. Notre rapporteur souligne qu’il conviendrait de mettre un terme à ces pratiques en compensant la perte de recettes par une augmentation des dotations budgétaires. C’est un souhait pertinent qui n’en reste pas moins osé, monsieur le rapporteur, en période d’économies budgétaires. Toutefois, si elles sont maintenues, ces redevances verront leur montant plafonné et leurs modalités de calcul seront fixées en fonction de critères transparents. Enfin, la liste des administrations concernées sera revue régulièrement.

Le texte comporte une autre avancée en matière de réutilisation, puisque les données détenues par les bibliothèques universitaires, les musées et les archives seront désormais soumises à la réglementation commune, alors qu’une réglementation spécifique et plus restrictive s’appliquait à elles jusqu’alors.

Ce projet de loi a fait l’objet d’un accord unanime en commission des lois. Toutefois, de nombreux regrets ont été formulés, y compris à l’extérieur de notre assemblée, de la part d’associations citoyennes qui souhaitent aller plus loin en matière d’ouverture des données publiques, ce qui, en bon français, désigne l’open data. Nous n’avons pu satisfaire ces demandes pour deux motifs. En premier lieu, monsieur Molac, lorsque nous transposons dans notre droit une directive européenne, nous ne pouvons pas ajouter des dispositions qui s’éloignent du contenu de la directive au risque de voir celles-ci censurées par le Conseil constitutionnel. En second lieu, l’Assemblée sera amenée à discuter prochainement d’un texte sur l’économie numérique, qui vient d’être rendu public et ouvert à la consultation des citoyens. Ce texte modifiera sensiblement les conditions d’accès aux données publiques ; il est donc préférable d’attendre son prochain examen pour avancer de manière cohérente en ce domaine.

Comme en commission, le groupe socialiste votera ce texte en approuvant les améliorations apportées par notre rapporteur qui, dans des délais brefs, a su mener plusieurs consultations, qui ont inspiré son excellent rapport. On y lit que « la France mène, depuis plusieurs années, une politique volontariste d’ouverture et de partage des données publiques, qui s’est traduite par un cadre législatif […] ambitieux, allant souvent au-delà des exigences du droit de l’Union européenne ». En matière d’ouverture des données, l’action de la France est saluée internationalement puisque notre pays a été classé, en décembre 2014, à la troisième place mondiale. En juillet 2014, la France a été classée par l’ONU quatrième pays au monde – et premier en Europe – en matière d’administration numérique.

L’ouverture des données publiques associée au développement du numérique constitue une révolution, au sens que lui donnait Charles Péguy : « Une révolution est un appel d’une tradition moins parfaite à une tradition plus parfaite, un appel d’une tradition moins profonde à une tradition plus profonde. »

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