Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2011, le Premier ministre, François Fillon, a lancé Etalab, le portail d’accès aux données publiques ouvertes. À compter de cette date, l’open data a pris son envol en France. Petit à petit, le mouvement s’est développé, entraînant toujours plus d’administrations dans son sillage. Tout est allé très vite et, comme vous aimez à le rappeler, monsieur le rapporteur, a permis à la France de se classer parmi les pays les plus avancés en la matière. Le gouvernement socialiste s’est inscrit depuis 2012 dans cette même ligne, ce qui est heureux, car ce sujet doit mobiliser toutes les forces politiques. Il faut dire que les opportunités offertes par la libération des données publiques en termes d’innovation, d’économie et d’efficacité ne sont plus à prouver. On ne compte plus les développeurs, seuls ou au sein de start-up, qui ont pu développer des applications spécifiques et faciliter ainsi la vie des usagers.
Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, j’en profite pour ouvrir une petite parenthèse : l’article 4 de la loi Macron sur l’ouverture des données de transports mériterait sans doute d’être revu pour coller à cet objectif. Issu d’une initiative parlementaire, cet article a malheureusement vu sa portée atténuée par le Gouvernement, et me semble dès lors contradictoire avec ce projet de loi. Je clos la parenthèse.
Avant tout cela, la France avait posé de premières bases par la loi du 17 juillet 1978, socle de nos travaux actuels, qui affirmait la liberté d’accès aux documents administratifs. Puis l’Europe nous a permis d’avancer avec la directive Public Sector Information – PSI –, qui consacrait en 2003 le droit de réutilisation des informations publiques. C’est cette directive que nous sommes appelés à modifier aujourd’hui en y ajoutant des précisions et en l’encadrant, notamment en ce qui concerne la mise en place de redevances.
Mes chers collègues, nous voilà donc à la croisée des chemins. La libération des données est un train à grande vitesse auquel nous avons su accrocher des wagons depuis 2011. Deux choix s’offrent maintenant à nous : nous en tenir à la transposition de cette directive modificative de 2013 ou faire accélérer la locomotive. Chez les Républicains, nous préférons la seconde solution, car c’est le bon moment pour finir de lancer le mouvement et faire tomber les barrières ; en effet, si on les maintenait, elles risqueraient de se pérenniser.
Le Gouvernement semblait sur la même ligne. Le projet de loi numérique, dans l’une de ses versions de travail, qui a fuité pendant l’été, prévoyait une réforme importante de la loi de 1978, avec l’ouverture des données par défaut. Le projet de loi, en consultation depuis une dizaine de jours, contient toujours une partie entière sur l’ouverture des données publiques mais, entre-temps, ce projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de réutilisation des informations du secteur public nous a été présenté. Il faut dire que nous avons été surpris de le voir débarquer sur le bureau de l’Assemblée en plein été. Ce choix est surprenant car, encore une fois, il déshabille le projet de loi numérique et ne se concentre que sur la transposition de la directive ; on a bien compris que vous ne souhaitiez pas aller au-delà. Nous aurions pourtant eu tout à gagner à transposer la directive en même temps que de réviser notre politique globale sur ce sujet. En l’occurrence, même si on l’attend depuis maintenant plus de deux ans, le projet de loi numérique ne devrait pas tarder à arriver, et il aurait sans doute été possible de recouper les agendas.
Vous avez même eu le culot d’appliquer la procédure accélérée, alors que le délai de transposition de la directive – qui, je le rappelle, expirait le 18 juillet – était déjà dépassé au moment du dépôt du texte. J’ai lu, comme tout un chacun, dans la presse – vous l’avez d’ailleurs dit en commission – que c’était une manière de rassurer Bruxelles. Je crois que ce débat méritait mieux. Comme je l’ai dit en commission, cela laisse songeur quant à l’organisation du temps de travail parlementaire par le Gouvernement ; nous avons tous, quel que soit le banc que nous occupons à l’Assemblée, beaucoup de mal à nous y faire.
Au milieu de tout cela, il y a tout de même un point positif, que j’ai relevé en commission et sur lequel je souhaite à nouveau insister : je veux parler de l’esprit d’ouverture du rapporteur, y compris à l’égard des membres de l’opposition, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Il aurait été encore plus appréciable de travailler en amont – on l’a tous souhaité –, en prenant le temps nécessaire, mais l’urgence, là encore, a contraint la phase de dialogue et la qualité de nos travaux.
Bref, en choisissant cette voie, vous avez opté pour une solution minimaliste : transposer la directive, sans aller trop au-delà. Résultat, ce projet de loi ne contient, à l’évidence, aucun bouleversement. En effet, affirmer la gratuité de l’utilisation des données publiques est une chose, mais il faut savoir que, dans le droit actuel, l’usage de redevances fait déjà figure d’exception. Rappelons en effet que le principe selon lequel la gratuité est la règle, la redevance l’exception, était déjà affirmé dans la circulaire du 26 mai 2011, qui a donné naissance à Etalab.
Par ailleurs, ce projet de loi continue de définir des exceptions particulièrement larges – trop larges, à mon avis – en ce qui concerne la numérisation des ressources culturelles. Les administrations culturelles faisaient jusqu’ici exception, et ce projet de loi les fait bien entrer dans le droit commun, où la redevance doit être l’exception. En revanche, lorsque la réutilisation des données concerne des documents issus des opérations de numérisation de données culturelles, des accords d’exclusivité potentiellement très larges pourront être signés – nous y reviendrons. Surtout, les redevances pourront être plus élevées que dans les autres cas, puisqu’elles prendront en compte les coûts de conservation et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle. J’en profite pour dire qu’il faudra absolument s’assurer, dans le cadre de l’application de cette loi, que de tels suppléments de redevances ne soient pas appliqués à des oeuvres non soumises au droit d’auteur, ce qui serait bien évidemment très douteux et contraire à l’esprit de ce projet de loi. J’appelle donc votre attention sur ce point, madame la secrétaire d’État.
Pour revenir à l’architecture générale de ce projet de loi, on a l’impression, à la lecture du texte, qu’il est tourné tout entier vers la fixation des redevances, ce qui est précisément l’inverse de ce qu’il conviendrait de faire. Cette drôle d’impression s’est quelque peu estompée, il est vrai, grâce aux amendements que le rapporteur a fait adopter en commission des lois, la semaine dernière. Ils ont permis de faire avancer les choses, mais il reste encore du chemin à parcourir.
À nos yeux, les marges de manoeuvre laissées aux administrations sont encore trop importantes. À l’image des taxes à faible rendement, il y a toujours une bonne raison de maintenir une redevance. Les administrations peuvent se montrer très convaincantes à cet égard, surtout en ces temps de réductions budgétaires. Mais, à partir du moment où l’on considère ces redevances comme une rente, un flux financier permanent, il existe un véritable risque de freiner la libération des données et les conséquences positives dont elle est porteuse.
Le rapport Trojette sur l’ouverture des données publiques, publié en 2013, ne dit pas autre chose. C’est un rapport majeur dont il faut tenir compte, un document très important qui mérite de ne pas finir dans un tiroir, d’abord parce qu’il recommandait très tôt d’inscrire le principe de gratuité dans la loi du 17 juillet 1978 qui a institué la commission d’accès aux documents administratifs – la CADA –, ce que nous allons précisément faire aujourd’hui. Par ailleurs, ce rapport remet en cause l’utilité des redevances en posant cette question : « Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes ? » Le rapport ajoute que « la transition vers de nouveaux modèles économiques […] revêt un caractère d’urgence, pour maintenir et améliorer la qualité des informations publiques, voire pour garantir la pérennité du service public ». Vous l’avez compris, ce rapport est très sévère à l’égard des redevances et met en doute leur pertinence économique en s’employant à contrer un par un les arguments avancés, que vous avez forcément dû entendre.
Voilà un exemple qui doit nous faire réfléchir : en 2012, la direction générale des collectivités locales – la DGCL – a déclaré environ 2 000 euros de coût de collecte et de mise à disposition pour une redevance qui lui a rapporté 24 000 euros.
Oui, en limitant les redevances à la couverture de ces coûts marginaux, la nouvelle directive répond à cette problématique et on ne devrait plus connaître de telles situations. Cependant, est-il encore pertinent de maintenir une redevance à des niveaux si faibles ? On peut fortement en douter. Certains veulent préserver un écosystème existant, mais M. Trojette rappelle que la politique d’ouverture et de gratuité des données publiques a de multiples incidences positives, puisqu’elle vise à « accroître la transparence du fonctionnement de l’administration et, partant, à apaiser les relations entre les autorités publiques et les citoyens ». Cela ne devrait-il pas être notre priorité ? La réponse est bien sûr positive.
Notre crainte, vous l’aurez compris, c’est que votre stratégie, étonnante sur la forme, soit contre-productive quant au fond. Si l’on met de côté le projet de loi pour une République numérique, ce texte ne doit pas nous faire manquer des étapes-clés sous prétexte qu’il s’agit d’une transposition de directive. C’est pourquoi les dix-sept amendements que je présenterai vous inviteront à aller plus loin sans pour autant s’éloigner de cette directive.
L’un d’entre eux est rédactionnel mais particulièrement symbolique de la position que Les Républicains défendent : après le principe de gratuité des données, il propose de rappeler que les administrations ne peuvent établir de redevances que sous certaines conditions. Cette négation permettra peut-être – c’est vous qui en déciderez – de contrebalancer l’impression globale que j’ai évoquée et de rappeler inlassablement un principe – la gratuité est la règle, la redevance l’exception – qui doit absolument s’appliquer dans les faits.
De la même manière, il faut saluer l’idée du rapporteur qui consiste à examiner tous les cinq ans la liste des administrations autorisées à mettre en place des redevances. Mais pourquoi ne pas aller au bout de la logique et faire en sorte que le montant même des redevances soit révisé tous les cinq ans ? Par ailleurs, nous aimerions avoir dès à présent une idée du contenu de cette liste. Notre ambition est de recadrer les choses le plus possible pour que la réutilisation libre sans barrière ait effectivement lieu partout où c’est possible. Je suis sûr que vous partagerez cette vision.
Là où il aurait fallu une révolution nous n’avons aujourd’hui qu’une transposition. Le fait de sauter le pas est-il remis à plus tard ? Nous l’espérons. Dans tous les cas, le mouvement de libération des données est un impératif auquel nous souscrirons. Chaque fois que vous irez dans ce sens, nous vous soutiendrons, sans esprit partisan, mais avec l’exigence qu’il convient d’avoir pour éviter de faire les choses à moitié. Sous réserve de quelques avancées qu’il serait opportun de réaliser, le groupe Les Républicains votera donc ce projet de loi.