Intervention de Luc Belot

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Gratuité et modalités de la réutilisation des informations du secteur public — Article 3

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Belot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Je me permettrai de prendre un peu plus de temps qu’à l’ordinaire pour défendre cet amendement. Nous sommes là au coeur du débat qui a eu lieu non seulement en commission, mais qui a aussi traversé l’ensemble des auditions que nous avons conduites pour préparer le rapport sur ce projet de loi.

Cet amendement propose d’étendre l’application du principe de gratuité de la réutilisation d’informations publiques. Depuis 1988, le Conseil d’État a admis que certains services publics aspirent à se procurer des ressources propres. Déjà, à l’époque, il appelait l’attention du Gouvernement : si la tendance à instituer des ressources annexes, en faisant payer les usagers en contrepartie de la mission naturelle des services, se développait, alors la notion de service public risquerait d’être altérée. Nous sommes au coeur de ce débat sur la mission de service public – que j’ai fait figurer de manière expresse dans cet amendement.

Pour défendre cet amendement, je m’appuierai sur une décision du CIMAP – le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique – datée du 18 décembre 2013. C’est le dernier document de référence concernant l’ouverture des données publiques et le principe de gratuité et de redevance. La décision no 26 de ce CIMAP est ainsi rédigée : « Le Gouvernement précise sa doctrine en matière d’exceptions au principe de gratuité. Aucune redevance ne saurait être exigée sur des données résultant des missions de service public des administrations générales. » Voilà l’esprit de l’open data, auquel nous avons fait référence au cours de la discussion générale.

J’ai particulièrement conscience – comme je l’ai dit tout à l’heure, cela a été l’objet de la plupart des échanges que nous avons eus au cours des auditions – du risque que cela fait peser sur un certain nombre d’organismes. J’en profite pour aborder tout de suite l’amendement no 21 de notre collègue Paul Molac, qui évoque de manière spécifique deux organismes : l’INSEE et l’IGN qui sont concernés par la rédaction de l’amendement no 31 rectifié .

C’est vraiment une question de cohérence vis-à-vis de l’esprit de l’open data. Certes, cet amendement prévoit que les dispositions concernées n’entreront en application que douze mois après la promulgation de la loi ; mais manifestement, son application n’en reste pas moins compliquée pour les services publics et les organismes concernés, voire pour certains services liés aux ministères – je pense à l’INSEE. C’est pourtant bien l’esprit de l’open data.

J’aurais aimé, aujourd’hui, aller au-delà ; j’aurais aimé que nous nous engagions fortement en faveur de la gratuité de la mise à disposition des données, en particulier pour les organismes dont la mission de service public est de produire ou de collecter ces données – car c’est bien eux que je vise par cet amendement. Cela étant, bien que je sois très favorable à l’open data et à la gratuité, je comprends tout à fait qu’il faille mettre à part certains services, dans d’autres ministères, dont la collecte de données n’est pas la mission principale de service public, et qui supportent des coûts élevés liés à l’anonymisation, à la mise à disposition et à la numérisation des données.

J’évoque dès à présent un amendement de repli que je défendrai, au nom de la commission des lois, plus tard au cours de notre discussion : l’amendement no 41 rectifié . Il existe un concept issu du monde numérique, qu’il n’est pas simple à transposer dans la loi : le freemium. Il s’agit d’un usage spécifique qui permet de s’adapter à la réalité de la réutilisation des données – je m’efforce de le décrire dans le français le plus correct possible, car je sais, monsieur le président, que vous y êtes vigilant !

Pour inscrire le freemium dans la loi, il faut tenir compte de la capacité de réutilisation des données par tous les types d’utilisateurs. Je pense, évidemment, à toutes nos jeunes pousses, à nos start-up, que MM. Pancher, Tardy et Molac ont citées : toutes ces sociétés qui sont en cours de création et pour lesquelles le paiement d’une redevance est d’une grande complexité, non seulement du point de vue financier, mais aussi du point de vue administratif. Les délais, notamment, sont difficilement acceptables dans un monde qui va vite, très vite.

Par l’amendement no 41 rectifié , je propose une solution pour l’ensemble des administrations concernées – pour citer les plus importantes et les plus connues d’entre elles : Météo France, l’IGN, l’INSEE et le SHOM, c’est-à-dire le Service hydrographique et océanographique de la marine. Deux fois par an, ces organismes devraient ainsi publier l’intégralité de leur base de données, à titre gratuit. Pour s’assurer que ces organismes puissent appliquer cette solution, l’amendement prévoit de leur laisser un délai de douze mois avant son entrée en vigueur. De la sorte, nous pourrions réellement ouvrir ces bases de données. Il serait possible de conserver un système de redevance pour ceux qui auraient besoin de données actualisées chaque jour ou chaque semaine. Tel est l’esprit de ce que l’on appelle le freemium.

Aucun système de ce type n’existe, à l’heure actuelle, dans notre droit. L’amendement no 41 rectifié propose une telle innovation. Il a été déposé tardivement, mais c’est l’objet principal de nos discussions depuis quinze jours. Nous n’avons pas réussi à aboutir, en commission, à une rédaction satisfaisante à la fois pour ceux de nos collègues qui défendent cette option et pour la réalité de la vie et de l’équilibre économique de ces structures, alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de finances pour 2016.

Je souhaite donc, madame la secrétaire d’État, que vous portiez un regard bienveillant sur l’amendement no 41 rectifié , car il permettrait de satisfaire à la fois l’obligation d’open data rappelée par le CIMAP et défendue par le Gouvernement – particulièrement vous-même – et les enjeux économiques, c’est-à-dire de création de valeur, que nous avons largement évoqués dans la discussion générale. J’aimerais que nous discutions de ce problème de façon approfondie, et je suis prêt à retirer l’amendement no 31 rectifié sous réserve d’un avis bienveillant sur l’amendement no 41 rectifié .

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