Intervention de Pascal Brice

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides :

Je vous remercie, madame la présidente, de cette invitation qui me donne l'occasion de rendre compte de l'action de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. C'est un grand honneur pour le diplomate que je demeure que de m'exprimer devant votre commission dans ce moment particulier pour l'asile en France et en Europe.

La situation de l'asile dans notre pays est paradoxale, surtout si on la compare à celle de notre voisin allemand : le débat français donne l'impression que nous serions confrontés à un afflux massif de demandeurs d'asile en France alors qu'en réalité la demande, qui représente entre 60 000 et 65 000 dossiers par an, est à peu près stable dans notre pays depuis un an et demi, après avoir doublé entre 2007 et 2013. Cette stabilisation se confirme : au cours des huit premiers mois de l'année 2015, l'OFPRA a enregistré à peu près le même nombre de demandeurs d'asile qu'au cours de la même période en 2014 – soit quelque 40 000. Nous avons certes connu une légère augmentation du nombre de demandes au mois d'août mais elle s'explique par l'un des effets de la réforme de l'asile : la mise en place du guichet unique dans les préfectures qui permet l'enregistrement des demandeurs d'asile en trois jours et non plus en plusieurs mois comme c'était trop souvent le cas auparavant. En conséquence, les préfectures ont commencé à « déstocker » les demandes qui étaient en attente. Cela étant, la stabilisation de la demande d'asile se poursuit bel et bien au premier semestre 2015.

Il convient de considérer ces indications avec prudence car la demande d'asile telle que nous l'enregistrons à l'OFPRA ne rend que partiellement compte de la réalité des migrants présents sur notre territoire : ainsi par exemple, ceux d'entre eux qui sont en transit, notamment à Calais ou dans les campements parisiens, ne sont pas comptabilisés dans la demande d'asile même si l'on assiste en la matière à une évolution sur laquelle je reviendrai. Il n'y en a pas moins un décalage très puissant entre la situation de la France et celle de l'Allemagne en la matière, ce qui suscite des interrogations évoquées par Mme la présidente et de multiples interprétations dans le débat public.

Depuis deux ou trois ans, comme d'ailleurs dans un passé plus ancien, c'est l'Allemagne qui, du point de vue de l'asile, est en situation exceptionnelle, bien plus que la France. Outre-Rhin, la demande d'asile est massive, ce qui ressort par effet de comparaison avec la France qui accueille cependant bien plus que l'Espagne, le Royaume-Uni et les pays d'Europe centrale et orientale. Je souhaiterais donc apporter à la représentation nationale quelques éléments de réponse aussi objectifs que possible à la question de savoir pourquoi les demandeurs d'asile se rendent plutôt en Allemagne qu'en France. Ce débat a en effet des connotations particulières pour les patriotes que nous sommes : d'aucuns s'étonnent que des réfugiés ne veuillent pas venir chez nous.

La situation s'explique selon moi assez aisément. L'afflux massif de réfugiés en Allemagne depuis trois ans correspond à un phénomène cumulatif. Nous savons en effet que les refugiés se rendent souvent là où leurs compatriotes sont d'ores et déjà installés. Or, on recense depuis les années 1970 en Allemagne de nombreux travailleurs syriens, kurdes notamment, en particulier dans l'industrie automobile. C'est pourquoi, dès le début du conflit en 2011, certains Syriens ont été tentés d'aller rejoindre les leurs dans ce pays. Les réfugiés que les officiers de protection de l'OFPRA ont rencontrés à Munich il y a quelques semaines sont la manifestation de cet exode face aux persécutions de l'État islamique, après d'autres vagues correspondant aux persécutions du régime de Bachar el-Assad. La fuite de ces personnes venues rejoindre leurs compatriotes crée un effet de masse. Certains migrants ont dès le départ un parcours très précis, souhaitant rejoindre des proches dans telle ville, tel village ou tel quartier de France, d'Allemagne ou d'ailleurs. Mais la plupart d'entre eux n'ont pas d'idée précise de l'endroit où ils veulent se rendre : au cours de ces parcours chaotiques, ils reçoivent en permanence sur leur téléphone portable des informations de toutes sortes de la part de leurs compatriotes. Ces informations sont répercutées, amplifiées et déformées par les passeurs aux fins que l'on imagine. C'est pourquoi tout le monde est parti en Allemagne, d'autant plus que la situation favorable de l'emploi et de l'économie y est bien connue.

À cela s'ajoutent l'évolution du système de l'asile que nous avons connue dans notre pays au cours des années passées, avant que nous n'engagions la réforme dont je vais vous parler, et de la dérive des délais d'instruction des demandes jusqu'en 2013. Mme la présidente a rappelé qu'il fallait, il y a peu encore, deux ans en moyenne à un demandeur d'asile en France pour obtenir une réponse. Cela a effectivement eu un « effet de réputation », souvent amplifié encore par les passeurs. Lorsque nous rencontrons des demandeurs d'asile syriens à Calais, que nous leur demandons pourquoi ils veulent absolument passer en Grande-Bretagne et que nous les incitons à demander plutôt l'asile en France, ils nous répondent que cela va prendre trois ans. Or, en réalité, sauf cas particuliers liés soit à une complicité avec le régime de Bachar el-Assad, soit à l'implication dans des actions terroristes ou nécessitant un examen spécifique, l'OFPRA met aujourd'hui trois mois maximum pour traiter les demandes des Syriens. Il est certain que la dérive des délais qu'a connue la France pendant plusieurs années et jusqu'en 2013 a contribué à un déplacement des demandeurs vers l'Allemagne. Cela étant, vous constaterez bientôt la saturation du système de l'asile allemand qui provoquera une dérive des délais d'instruction dans ce pays.

J'évoquerai un dernier élément plus anecdotique, mais qui semble avoir été en partie à l'origine de ce débat dont la dimension affective me paraît décalée au regard de l'exigence d'accueillir des hommes, des femmes et des enfants dans la détresse. À la suite de la mission menée par l'OFPRA à Munich, des journalistes se sont demandés pourquoi seules quelques centaines de personnes partaient vers la France alors qu'il en arrivait des dizaines de milliers dans la ville bavaroise. Prenons par conséquent le temps de l'analyse. Le Président de la République ayant souhaité répondre à la demande de la Chancelière fédérale dans ce moment extraordinaire qu'a connu l'Allemagne, en accueillant jusqu'à mille réfugiés syriens, irakiens et érythréens en France, le ministre de l'intérieur nous a demandé de nous rendre immédiatement sur place, ce que nous avons fait. À la demande des autorités allemandes, nous nous sommes installés dans un centre de transit munichois, dans le cadre d'un dispositif organisé – admirablement – par les Allemands dans un objectif : faire en sorte que les réfugiés ne restent pas à Munich mais soient immédiatement répartis sur l'ensemble du territoire allemand. Sachant que les personnes auxquelles nous nous sommes adressés dans ce centre n'y sont restées que deux à trois heures maximum, la difficulté que nous avons eue à dialoguer avec elles, leur surprise de voir que la France – et elle seule, hormis l'Allemagne – était présente, et la nécessité de disposer de temps pour que nos officiers de protection vérifient que ces personnes relevaient bien d'un besoin de protection manifeste, ont fait que nous avons pu accueillir 600 personnes jusqu'au moment où l'Allemagne a réorganisé son dispositif.

Dans ce contexte de très forte mobilisation sous l'égide du Premier ministre et du ministre de l'intérieur, mais non de crise comparable à celle que vit l'Allemagne, il revient à l'OFPRA et à l'ensemble du système français de l'asile de relever simultanément trois défis. Il nous faut tout d'abord aller au bout de la réforme que nous avons engagée afin de consolider notre système d'asile – et j'ai la faiblesse de penser que si une intuition a été la bonne, c'est bien celle qui a conduit l'État depuis trois ans à réformer ce système sans attendre. Dans le même temps, il nous faut répondre aux urgences. Enfin, nous devons préparer l'arrivée des 30 000 réfugiés annoncée par le Président de la République dans le cadre européen. Voilà les trois chantiers dans lesquels s'est engagé l'OFPRA comme l'ensemble des acteurs du système de l'asile.

Premier chantier : aller au bout de la consolidation du système de l'asile engagée depuis trois ans. Nous ne pouvons en effet oublier les 60 000 demandeurs d'asile qui arrivent chaque année dans notre pays. Leurs demandes doivent bénéficier d'une instruction adéquate, de délais d'instruction réduits et d'un accueil digne dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). La réforme sera finalisée l'an prochain lorsque nous aurons atteint un délai moyen d'instruction de neuf mois pour l'ensemble de la procédure, ce qui suppose que l'OFPRA réduise de plus de moitié son délai d'instruction, aujourd'hui de plus de six mois, pour le faire passer à trois mois.

Cette dynamique comporte trois volets.

Le premier consiste en la réforme de l'OFRA que j'ai engagée à la demande du Premier ministre, alors ministre de l'intérieur, il y a maintenant trois ans. Je remercie les parlementaires de leur appui, dès le départ, à cette démarche qui nous a permis de réformer nos méthodes d'instruction, de réorganiser en profondeur nos services, de mettre en place des missions foraines et de réaliser des gains de productivité, conformément à l'accord que nous avons passé avec l'État dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de performance. De tels gains ne s'étaient pas produits à l'Office depuis des années. En 2014, nous avons augmenté de 13 % l'activité de l'OFPRA par rapport à 2013 et, au premier semestre 2015, nous avons à nouveau enregistré des gains de 13 % par rapport à la même période en 2014 – pour moitié grâce aux recrutements que vous avez autorisés, et pour l'autre moitié grâce à des gains d'efficacité que l'OFPRA a réalisé.

Le deuxième volet de cette réforme s'appuie sur les moyens supplémentaires que le Parlement a bien voulu, sur proposition du Gouvernement, mettre à la disposition de l'OFPRA. Ce sont, depuis 2012, près de 100 agents supplémentaires qui ont rejoint l'Office, et il vous est proposé d'autoriser, en loi de finances pour 2016, le recrutement de vingt agents supplémentaires dans le cadre du plan « migrants » annoncé par le ministre de l'intérieur au mois de juin dernier afin de répondre à notre besoin de disposer d'agents qui puissent enregistrer les demandes d'asile, les numériser, notifier les accords ou les rejets et surtout établir l'état civil des personnes protégées – soit à peu près à 30 % des demandeurs. La subvention de 1,4 million d'euros supplémentaires qu'il vous est proposé de voter en faveur du plan « migrants » doit nous permettre de mener à terme la consolidation de l'Office. Une fois que, d'ici à un an, nous aurons complètement résorbé le stock de demandes d'asile accumulé depuis quelques années – et que nous avons déjà réduit de 15 % en douze mois – parallèlement au traitement des nouvelles demandes, nous parviendrons à instruire celles-ci dans un délai moyen de trois mois, conformément à l'objectif qui nous a été fixé. Vous pouvez d'ailleurs d'ores et déjà constater dans vos circonscriptions qu'il n'y a plus, sauf exception, de demandeurs d'asile russes, guinéens, syriens, kosovars ni albanais en attente depuis plus de trois mois.

Le troisième élément nous permettant d'atteindre cet objectif réside dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, qui a pour l'Office des implications de deux ordres.

D'une part, des garanties et des droits nouveaux ont été institués en application des directives européennes, notamment la possibilité pour des associations ou des avocats d'être présents auprès des demandeurs lors des entretiens à l'OFPRA. Ces dispositions sont en vigueur dans les conditions fixées par la loi, ainsi que par un décret d'application qui a été promulgué le 21 septembre, et ce de manière à ne pas peser excessivement sur la durée des entretiens ni donc sur la productivité des agents. L'Office a en effet souhaité pouvoir appliquer ces garanties nouvelles sans pénaliser le processus de réduction de ses délais d'instruction. Nous y sommes parvenus grâce à nos réformes internes et aux gains de productivité qu'elles ont entraînés, aux effectifs supplémentaires que vous avez autorisés et aux dispositions que vous avez introduites dans la loi encadrant la présence du tiers qui ne peut parler qu'à la fin de l'entretien. Sont également en vigueur les dispositions relatives à la protection des personnes vulnérables telles que les femmes victimes de violences, les personnes victimes de persécutions pour des raisons d'orientation sexuelle ou les personnes victimes de la torture et de la traite des êtres humains. C'est ainsi qu'il y a quelques jours, nous avons fait pour la première fois usage d'une faculté nouvelle offerte par la loi à l'OFPRA de « sortir » une demande d'asile de la procédure prioritaire au vu de la grande vulnérabilité de la personne demandeuse. En l'occurrence, il s'agissait d'une femme victime de réseaux de proxénétisme qui a accepté de déposer plainte contre ses proxénètes. Nous avons de ce fait pu mettre en application la loi dans ses aspects les plus protecteurs.

Cette loi comporte d'autre part des mesures permettant de simplifier l'environnement juridique de l'action de l'OFPRA. Le réexamen, par exemple, est de droit en cas de rejet d'une demande par l'Office et par la Cour nationale du droit d'asile. Si ce droit doit être respecté, il doit également être encadré, sauf à devenir un moyen de contourner le système. Vous nous avez donné les moyens dans la loi d'examiner dans de bonnes conditions, y compris sans entretien faute d'éléments nouveaux, les demandes de réexamen de manière à ce que le système puisse fonctionner de manière protectrice mais aussi efficace.

Tel est le processus à l'oeuvre et que nous devons poursuivre. Encore une fois notre volonté, sous la responsabilité du ministre de l'intérieur, est d'aller au bout de cet engagement, de manière à ce que les délais d'instruction soient réduits non seulement parce que le Gouvernement et le Parlement l'ont voulu mais aussi parce que nous le devons aux demandeurs et que les délais trop longs ont des effets pervers, favorisant les demandes d'asile peu fondées, notamment en provenance des Balkans, et décourageant au contraire celles et ceux qui ont un véritable besoin de protection, comme Syriens.

Dans le même temps, l'OFPRA doit continuer à répondre aux urgences et a la volonté, dans le cadre de sa réforme, de faire preuve d'une plus grande réactivité. Ainsi, par exemple, le ministre de l'intérieur a-t-il souhaité que les réfugiés se trouvant à Calais puissent y déposer des demandes d'asile, ce qui n'était pas possible auparavant : depuis le mois de novembre dernier, près de 1 400 demandes y ont été déposées ; l'OFPRA s'y rend régulièrement ; nous y obtenons des délais d'instruction rapides et le ministre y a accru les moyens de la sous-préfecture et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Je citerai également la situation de celles et ceux qui ont été hébergés alors qu'ils se trouvaient dans des campements parisiens : l'OFPRA a souhaité participer à cette démarche car elle concerne essentiellement des Soudanais relevant largement du droit d'asile. L'urgence caractérise aussi la mission que le ministre nous a demandé de conduire à Munich de même que les missions d'instruction que nous menons dans vos circonscriptions : depuis deux ans, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises à Lyon, à Metz, à Grenoble, à Strasbourg et à Bordeaux et nous allons poursuivre ces missions foraines qui nous permettent de réduire les délais d'examen et d'être au plus près des demandeurs mais aussi des associations, des élus et des préfectures.

La troisième mission que nous devons continuer à conduire dans le même temps consiste à préparer l'arrivée des 30 000 réfugiés dans le cadre du dispositif européen, tel qu'annoncé par le Président de la République. L'Office s'y prépare de plusieurs manières. D'abord, sa réforme, sa réactivité et les missions que nous avons instituées sont de nature à nous permettre de répondre rapidement à ces nouveaux défis. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, le Premier ministre vous a annoncé qu'il vous proposerait dans le cadre du débat relatif au projet de loi de finances le déploiement de moyens supplémentaires, notamment au profit de l'OFPRA. J'ai donc indiqué aux ministres de l'intérieur et des finances quels sont les besoins de l'Office dans cette perspective. Je me permets d'insister, comme je l'ai fait auprès du Gouvernement, sur le fait qu'il importe que les moyens soient donnés à l'OFPRA de mener tous ces chantiers simultanément. Il s'agit non seulement de recruter des officiers de protection mais aussi des agents permettant à la machine de fonctionner. Je suis confiant dans le fait que le Premier ministre et le ministre des finances donneront à l'Office les moyens de mener à bien ses missions dans les meilleures conditions.

Nous allons mener ces actions en recourant à deux types de dispositifs.

Il s'agit d'une part des missions dites de réinstallation, dont a parlé Mme la présidente, et qui sont en réalité des missions d'admission humanitaire, que l'Office conduit depuis la fin de l'année 2013 au Proche-Orient. La première mission a fait suite, à la fin de 2013, à l'annonce par le Président de la République de l'accueil de 500 réfugiés syriens supplémentaires. Depuis lors, les équipes de l'OFPRA se sont rendues à deux reprises en Égypte, à deux reprises au Liban et à deux autres reprises en Jordanie. Et nous repartons au mois d'octobre dans ces deux derniers pays. Nous y entendons des familles enregistrées par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en fonction de critères de vulnérabilité fixés par M. Bernard Cazeneuve et nous permettant d'identifier des familles ayant des profils différents de celles qui viennent nous voir de manière plus spontanée – notamment des familles en grande fragilité telles que les familles palestiniennes de Syrie.

D'autre part, se prépare le dispositif dit de relocalisation. Je laisse au ministre de l'intérieur le soin de vous en dire plus car les modalités de ce dispositif sont en cours de négociation. Je puis simplement vous confirmer qu'à la demande du ministre, l'OFPRA est prêt à participer à ce dispositif de manière à ce que les personnes qui seront accueillies soient bien des demandeurs ayant un besoin manifeste de protection : des Érythréens, des Syriens, des Irakiens et éventuellement des Centrafricains, c'est-à-dire des personnes qui relèvent d'évidence du droit d'asile. Et il reviendra à nouveau à l'OFPRA, dans un cadre européen, de s'en assurer.

Tels sont, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, les principaux éléments que je souhaitais vous exposer.

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