C’est aussi pourquoi le principe d’intégrité a été ajouté aux autres obligations et principes déontologiques de la fonction publique que sont l’impartialité, la probité et la dignité, car le crédit que nos concitoyens, qui sont aussi des usagers des services publics, accordent à l’action publique dépend de l’exemplarité même de nos agents publics. Il n’y a pas d’action publique sans exemplarité.
Le projet de loi instaure un dispositif qui vise à développer une culture de la déontologie dans nos administrations : élargissement du périmètre des agents soumis à déclaration d’intérêt et déclaration de situation patrimoniale ; élargissement du rôle de la commission de déontologie ; obligations nouvelles mises à la charge des agents publics et des employeurs. Pour que ces valeurs soient incarnées au mieux par les fonctionnaires, il faut que nos concitoyens aient la garantie et la conviction que les décisions prises par les administrations sont uniquement fondées sur l’intérêt public.
C’est pourquoi il faut anticiper les éventuels conflits d’intérêts. Le texte que nous proposons s’y attache et la rapporteure a démontré l’importance de cet objectif, qui me semble atteint. Ce texte renforce les outils de prévention des conflits d’intérêts relatifs aux agents publics. Il assigne un rôle spécifique au supérieur hiérarchique, responsable du contrôle déontologique des missions exercées par les agents placés sous son autorité. La déontologie dans la fonction publique doit devenir l’affaire de tous. En outre, il accorde aux fonctionnaires un nouveau droit statutaire : ils pourront désormais saisir des référents déontologues. Parallèlement, les pouvoirs de la commission de déontologie de la fonction publique se trouvent renforcés : elle disposera de nouveaux pouvoirs d’instruction, et tous ses avis lieront l’administration. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit bel et bien de conforter l’exemplarité de la fonction publique.
Toujours sur ce sujet, le texte améliore l’articulation des compétences entre la commission de déontologie et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – HATVP. J’ai mesuré, madame la rapporteure, la difficulté du sujet. Vous avez été quelques-uns à exprimer, pendant les débats en commission, des doutes sur l’intérêt de maintenir un dispositif propre à l’administration, alors que nous avons créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en 2013. Permettez-moi de revenir sur ce point.
La situation des élus, des ministres et de leurs collaborateurs proches, qui relèvent de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, est très différente de celle des fonctionnaires. Les élus n’ont pas de supérieur hiérarchique. Les titulaires d’emplois à la décision du gouvernement et les membres de cabinet, qui ne sont pas nécessairement des fonctionnaires, dépendent directement d’un ministre dont le mandat est provisoire – j’allais dire éphémère. Dans ces conditions, il est nécessaire de faire appel à une autorité administrative indépendante. Tel n’est pas le cas pour les fonctionnaires, qui ont un lien durable avec leur administration, sont soumis à l’autorité d’un supérieur hiérarchique et encourent des sanctions disciplinaires en cas de manquement.
De cette différence de situation résulte notre proposition de maintenir la commission de déontologie. Au cours des discussions, il est apparu que nous devions améliorer les relations entre les deux organisations et permettre à la commission de saisir la Haute Autorité. C’est le sens des amendements que nous vous proposons pour améliorer le mécanisme sans encombrer la Haute Autorité d’un certain nombre de dossiers qui peuvent être réglés en amont par la commission de déontologie.
Pour renforcer l’exemplarité de la fonction publique, j’ai tenu à ce que la procédure disciplinaire soit la même pour tous les fonctionnaires, quel que soit le versant – État, collectivités territoriales ou établissements hospitaliers – dont ils relèvent. Les propositions que vous avez faites au Gouvernement s’inscrivent dans l’esprit du texte et nous les approuvons, à une nuance près toutefois : votre commission a prévu, pour les trois fonctions publiques, l’exclusion temporaire de fonctions de trois jours, lesquels ne seront donc pas rémunérés. Le sujet est délicat. Là encore, nous aurons des débats et j’espère que nous trouverons un consensus, car il s’agit d’une sanction très forte mais classée parmi les sanctions très faibles.
Par ailleurs, à l’heure actuelle, il n’existe pas de délai de prescription des fautes des agents publics. Le texte qui vous est proposé prévoit, sur votre initiative, d’instaurer un délai de prescription de trois ans. En outre, ce texte consolidera la protection des fonctionnaires – j’y tiens particulièrement – et notamment de ceux qui, lanceurs d’alerte, relateront des faits pouvant être qualifiés de conflit d’intérêts, après avoir alerté en vain leur hiérarchie.
Exemplarité des agents publics encore avec l’encadrement des possibilités de cumuls d’emplois. Ce projet de loi rappelle que les agents publics doivent consacrer leur temps de travail exclusivement à l’exercice de leur mission. La restriction des possibilités de cumul ayant fait débat, le Gouvernement a déposé des amendements de manière à revenir à un plus juste équilibre et à permettre notamment aux agents de catégorie C de bénéficier d’un complément de rémunération. On sait que beaucoup d’agents de catégorie A et A+ peuvent s’assurer des revenus complémentaires par exemple en donnant des cours ou des conférences, et il serait injuste de priver les autres catégories de cette possibilité. Je me montrerai donc ouverte à une discussion sur le cumul d’activités, dans la mesure où sera maintenu l’équilibre entre le principe d’exercice exclusif des fonctions, la stricte application des règles déontologiques et de non-conflit d’intérêts et enfin les souplesses nécessaires. L’accord de la hiérarchie en responsabilité dans l’organisation des services doit aussi être préservé.
Par ailleurs, il convient de renforcer l’exemplarité des employeurs publics. À ce titre, j’ai souhaité que ce projet de loi contribue à l’amélioration de la situation des contractuels. Le dispositif de résorption de la précarité prévu par la loi du 12 mars 2012 dite loi Sauvadet sera prolongé jusqu’en mars 2018 pour les personnes éligibles à une titularisation comme agent de la fonction publique. De même, le texte étend aux agents contractuels l’essentiel des droits et obligations des fonctionnaires, ce qui traduit la reconnaissance par le Gouvernement de toute la valeur que ces agents apportent aux services publics.
Exemplarité, enfin, en donnant une traduction concrète au principe d’égalité d’accès à la fonction publique. Dans les trois versants, le recrutement direct dans la catégorie C sera ainsi encadré afin de garantir l’objectivité et la transparence des décisions de recrutement, ce qui soulagera également, disons-le, certains jurys qui subissent trop de pression, comme cela arrive fréquemment en période de fort chômage.
Voici, résumées à grands traits, les ambitions de ce projet de loi. Avant de céder la place à vos interventions, permettez-moi d’évoquer l’actualité de la fonction publique. Comme vous le savez, le Gouvernement a choisi de mettre en application le protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations – PPCR. J’ai conduit une longue négociation avec l’ensemble des employeurs publics, dont je salue la présence à de si nombreuses réunions, et l’ensemble des partenaires sociaux, qui ont beaucoup travaillé. Le projet de protocole a recueilli presque autant de signataires – six organisations syndicales : CFDT, UNSA, FSU, CFTC, CGC et FAFP, représentant 49 % des voix – que de non-signataires – trois organisations. À situation inédite, réponse exceptionnelle : le Gouvernement a décidé d’honorer l’intégralité des engagements qu’il a pris afin de donner des perspectives de carrière à nos fonctionnaires.
Pourquoi cette décision ? Parce qu’il n’y a pas, j’en reviens à mon introduction, de « bonne administration », de service public efficace, sans des agents publics motivés, investis et responsables. De ce fait, l’État, et les employeurs publics en général, s’ils veulent attirer les talents et les compétences dont les services publics ont besoin, doivent proposer aux agents publics des parcours professionnels et aussi des rémunérations attractives. C’est l’objet de l’accord PPCR, dont je dois rappeler que s’il n’est pas mis en oeuvre, une infirmière recrutée au niveau licence se verrait, en 2017, quasiment payée au SMIC, de même qu’un professeur embauché en 2018.
L’habilitation à légiférer par ordonnances que vous demande le Gouvernement permettra d’assurer une partie de cette mise en oeuvre. Entre autres, elle facilitera les mobilités professionnelles entre les différents versants de la fonction publique et permettra de réformer les dispositifs concourant à l’attractivité des territoires.
J’insiste sur la mobilité professionnelle car trop de clichés sont véhiculés à ce sujet. Le fonctionnaire bénéficie d’une garantie non pas d’emploi, mais de carrière. Si son emploi est supprimé, contrairement au salarié du privé qui peut discuter d’un licenciement économique ou, si j’ose dire, d’un licenciement à l’amiable, lui ne le peut pas. Il doit accepter un emploi ailleurs. Or nous avons constaté que des mobilités fonctionnelles étaient possibles dans les territoires, y compris dans le contexte de la réforme territoriale. Il faut les encourager, les faciliter, et donc accompagner les chefs de service dans le choix et la mobilisation des fonctionnaires, mais aussi assurer la formation. Bref, c’est un dossier extrêmement lourd mais qui est très peu évoqué car les clichés masquent trop souvent la réalité.
Enfin, ce protocole permettra également de prendre des dispositions visant à renforcer l’unité de la fonction publique. En ce sens, l’accord s’inscrit dans la droite ligne des choix opérés en 1946 et en 1983 pour le statut de nos fonctionnaires.
Mesdames, messieurs les députés, les fonctionnaires ne sont pas une charge pour la nation, mais sa chance. Ce texte est porteur d’une grande ambition pour la fonction publique parce qu’il garantit les missions des agents publics et surtout le respect des valeurs républicaines et parce qu’il assure à nos concitoyens un service public exemplaire. On l’oublie trop souvent, consciemment ou inconsciemment : la fonction publique assure non pas la solidité de l’État, mais celle de la nation, ce qui est beaucoup plus important. En ces temps difficiles, il est bon de le rappeler.