J'ai fondé Leetchi il y a six ans, en sortant de l'école, ce qui, dans un pays comme la France, est un parcours assez original.
L'idée de cette société était de créer un service qui permette de collecter de l'argent pour un cadeau d'anniversaire, un pot de départ en entreprise, une liste de mariage, un événement de solidarité entre proches. Le service a très rapidement pris de l'ampleur. De façon assez magique, nous sommes passés de 1 million à 4 millions d'utilisateurs, avec un service disponible dans 150 pays, bien que principalement localisé en Europe. Il s'agissait au départ d'un service effectué uniquement en français. Ce sont les utilisateurs qui nous ont forcés à l'internationalisation puisqu'eux-mêmes invitaient à participer à leur cagnotte des copains expatriés ne parlant pas français. Nous sommes passés à l'anglais, l'allemand et l'espagnol, soit au total quatre langues.
L'équipe s'est, elle aussi, développée. Nous sommes aujourd'hui quarante collaborateurs basés dans trois pays.
Pour développer une entreprise, il faut aussi la financer. Les moyens financiers ont donc également progressé.
Nous avons annoncé, la semaine dernière, l'acquisition de l'entreprise par le Crédit Mutuel Arkéa, qui est une banque française mutualiste. Il s'agit d'une intégration originale puisque nous gardons l'indépendance et l'autonomie de l'entreprise, bien que la banque ait racheté 86 % du capital. La raison de cet adossement, ce sont les synergies naturelles entre une startup du métier bancaire et une banque traditionnelle qui a une expertise, un savoir-faire et des métiers. Sans oublier l'investissement financier, à hauteur de 10 millions d'euros, qui accompagne ce rachat pour permettre à l'entreprise de continuer son développement international, l'équipe de management restant autonome.
Dans nos métiers, nous devons être un champion international. Il ne peut pas y avoir une cagnotte Leetchi française, une cagnotte espagnole, une cagnotte allemande et une cagnotte anglaise : le concurrent n'est qu'à un clic. On peut donc, en Espagne, utiliser très facilement Leetchi sans même imaginer que ce n'est pas une entreprise espagnole. L'international est forcément la donne de nos métiers puisque la concurrence n'est pas à des centaines de kilomètres, mais à un simple clic de souris. C'est un enjeu très important : nos entreprises doivent impérativement devenir des leaders internationaux. S'arrêter à nos frontières, ce serait se voiler la face et aller à la chute de l'entreprise. La France doit nous accompagner dans le développement et l'accès à l'international.
Par ailleurs, nos entreprises sont plus justes, pour plusieurs raisons.
Pour commencer, les entreprises numériques emploient 97 % de CDI. Connaissez-vous beaucoup d'entreprises de l'industrie classique qui en fassent autant ?
L'accès au capital y est mieux réparti. En général, les salariés sont propriétaires de 30 % du capital de l'entreprise, contre 2 % dans l'industrie classique.
Les rapports de salaires sont aussi beaucoup plus justes : l'écart est en moyenne de un à quatre entre le plus bas et le plus haut salaire de l'entreprise.
Enfin, ces entreprises emploient beaucoup plus de jeunes et de femmes.
Pour toutes ces raisons, vous êtes obligés de porter avec nous ce projet de l'entreprise numérique !
J'en viens à nos problématiques : le financement, le recrutement et la lisibilité administrative.
Pour devenir un champion international, nous avons levé 7 millions d'euros. Nous aurions pu avoir plus de capital à notre disposition, mais dans des conditions financières différentes des nôtres puisque c'est une dilution du capital pour l'entrepreneur et pour les salariés. À titre de comparaison, nos concurrents américains ont levé entre 50 et 300 millions, contre 7 millions d'euros pour Leetchi, avec des volumes et des chiffres d'affaires similaires, mais beaucoup moins d'employés, ce qui veut dire des enjeux et des challenges difficiles.
L'accès au financement est une vraie problématique. Quand je suis sortie de l'école, à vingt-cinq ans, j'ai commencé mon tour des popotes et des banques pour financer mon projet. On m'a dit : « Quelle idée de vouloir créer une banque ! Pour commencer, on peut te proposer un stage avec nous. Ce sera plus simple… » Il y a de vraies difficultés et de vraies frontières entre nos métiers, notre génération et ce qui existait avant.
Je tiens à souligner que j'ai été aidée très tôt par la Banque publique d'investissement (BPI), à l'époque OSEO. J'ai bénéficié d'une subvention « jeunes » qui m'a permis d'obtenir, en un rendez-vous, 20 000 euros pour démarrer mon projet, somme suffisamment importante pour me mettre le pied à l'étrier. Le financement est un point essentiel : sans financement, pas d'entreprise, pas de croissance.
Par ailleurs, il est terriblement difficile de recruter en France, qu'il s'agisse de métiers techniques ou de nouveaux métiers. Nous inventons nos métiers, le marketing, le compliance, l'account manager… Autant de métiers qui n'existaient pas auparavant. C'est pourquoi nous formons des jeunes et nous leur apprenons un métier. Nous avons, là aussi, des difficultés, car la flexibilité n'est pas la qualité principale du contrat de travail en France.
Nous avons des bureaux à Paris, à Londres et au Luxembourg. À Londres, le contrat de travail se termine en un mois. Si je veux recruter en France, je dois attendre que la personne ait effectué ses trois mois de préavis. Et si quelqu'un à Londres veut me quitter, un mois plus tard, il est parti… Le manque de flexibilité en France nous complique énormément les choses. Et je ne parle pas de virer, mais bien de recruter !
J'en viens à la lisibilité administrative. Quand on sort de l'école à vingt-cinq ans, on ne connaît rien du droit du travail, du fonctionnement d'une entreprise ou du fonctionnement administratif. On est perdu, on ne sait pas où aller, vers qui se tourner… On apprend à marcher en courant, mais il y a des choses que l'on ne voit pas ou que l'on ne comprend pas. Comprendre, par exemple, comment fonctionne le crédit d'impôt recherche (CIR) ou comment devenir Jeune entreprise innovante (JEI) est un vrai challenge ! Pourtant, ce sont des aides capitales pour nos entreprises. Nous n'aurions pas autant recruté sans le statut de JEI. Je déplore le fait que nous perdions le JEI parce que nous avons été acquis par un grand groupe, mais au moins, cela nous a permis de développer l'entreprise et de recruter. Sans cela, nous n'aurions pas autant embauché dans les métiers techniques, secteur où il est difficile de recruter et où les salaires coûtent cher.
En ce qui concerne le CIR, je crois que je n'ai toujours pas compris comment cela fonctionnait. Heureusement, j'ai un directeur administratif et financier qui s'en occupe ! Mais chaque année, la question se pose de savoir si nous l'aurons ou pas. La politique est ainsi, mais les changements de règles et de fonctionnement sont terribles pour nous qui devons gérer nos entreprises et apprendre à nous adapter à la modification des mesures et aux décisions prises par un gouvernement, puis par un autre, alors que nos entreprises sont pérennes. Si, au lieu d'apporter sans cesse des modifications, vous pouviez ne plus rien faire, ce serait mieux pour nous !