– Table ronde réunissant les fondateurs etou présidents d'entreprises françaises de l'économie numérique, avec la participation de : M. Éric Carreel, fondateur et président de Withings, Mme Céline Lazorthes, fondatrice et présidente de Leetchi, M. Frédéric Mazzella, fondateur et président de Blablacar, M. Ludovic Le Moan, fondateur et président de Sigfox, et M. Simon Baldeyrou, directeur général de Deezer France.
– Informations relatives à la commission.
La commission a organisé une table ronde réunissant les fondateurs etou présidents de quelques grandes réussites françaises de l'économie numérique, avec la participation de M. Éric Carreel, fondateur et président de Withings, Mme Céline Lazorthes, fondatrice et présidente de Leetchi, M. Frédéric Mazzella, fondateur et président de Blablacar, M. Ludovic Le Moan, fondateur et président de Sigfox, et M. Simon Baldeyrou, directeur général de Deezer France.
Le président François Brottes ayant souhaité organiser cette table ronde sur l'économie numérique, nous avons le plaisir d'accueillir M. Éric Carreel, fondateur et président de Withings, Mme Céline Lazorthes, fondatrice et présidente de Leetchi, M. Frédéric Mazzella, fondateur et président de Blablacar, M. Ludovic Le Moan, fondateur et président de Sigfox, et M. Simon Baldeyrou, directeur général de Deezer France.
Madame, messieurs, nous sommes fiers de vous recevoir, car vous représentez aujourd'hui les plus belles réussites françaises dans le secteur numérique. Notre commission travaille sur ces sujets depuis des années ; nos collègues Laure de La Raudière et Corinne Erhel notamment en sont devenues nos spécialistes reconnues.
Nous avons un certain nombre de questions à vous poser, compte tenu du projet de loi sur le numérique qui a été mis sur la place publique aujourd'hui ; tout citoyen peut le consulter et faire part de ses observations. Pour ma part, je m'interroge sur vos attentes et sur la perception que vous avez du texte présenté par le Gouvernement, et qui sera probablement amené à évoluer grâce à nos travaux. Outre le fait que le cadre législatif et réglementaire nécessite d'être adapté, les aspects liés à la fiscalité de certaines activités notamment ont été soulevés par divers rapports. Nous aimerions connaître votre position sur ces questions.
Avec le terreau français, nous avons tout pour faire de grandes choses. Cela étant, nous sommes en retard et nous devons accélérer le mouvement si nous voulons, dans les dix prochaines années, compter sur l'échiquier numérique.
Dans nos entreprises, la moyenne d'âge est très jeune. Chez nous, elle est de vingt-neuf ans, dans une société qui compte 360 personnes. Nous créons de nouveaux métiers parce que nous ne trouvons pas dans les métiers existants des gens capables de nous aider et de nous accompagner. En tout cas, la différence entre l'expérience que les gens auraient dans leur domaine et le fait de former des jeunes à faire les métiers dont nous avons besoin n'est pas suffisamment importante pour justifier, notamment, les différences de salaires. Nous préférons aller chercher des jeunes qu'il faut former aux nouveaux métiers plutôt que de recruter des gens plus âgés qui coûtent deux ou trois fois plus cher et qui n'ont pas forcément les compétences nécessaires. Nous avons donc besoin – mais ce n'est pas un scoop – de plus de formation aux nouveaux métiers.
Deuxième point important, il faut plus d'investissements. La venture capital scene, qui sait financer des sociétés comme les nôtres, est cinquante fois plus petite en France qu'aux États-Unis, alors que le rapport de PIB n'est que de six… Nous ne sommes à l'évidence pas armés pour financer des sociétés comme les nôtres. Si l'on veut voir émerger de plus en plus de sociétés dans le secteur de l'économie numérique, il faut aider à structurer tout cet écosystème, sans oublier une nécessaire éducation.
Se pose enfin le problème de notre single market, notre marché intérieur. Nous sommes aujourd'hui présents dans dix-neuf pays. Pour croître, une société française ou européenne doit courir un 110 mètres haies quand une société américaine se contente de courir un 100 mètres… Car pour atteindre un marché adressable de 300 ou 350 millions de personnes, les Américains n'ont qu'une seule régulation, une seule culture et une seule TVA ou presque pour cinquante États. Pour nous, à chaque nouveau pays, c'est une nouvelle culture, mais surtout une nouvelle TVA, un nouveau code du travail, une nouvelle gestion des données et, à chaque fois, un nouveau casse-tête. Quand on a réussi à faire cela, on est certes armé pour le reste, mais il n'y en a pas beaucoup qui y arrivent… Tout ce qui pourra être fait dans le sens de l'unification du code du travail, de la TVA et de la gestion des données au niveau de l'Europe nous simplifiera considérablement la tâche et aidera les sociétés numériques à se développer plus rapidement. Nous aurions alors plus de chances de voir des sociétés démarrer chez nous, avec un vrai potentiel à l'international.
J'ai fondé Leetchi il y a six ans, en sortant de l'école, ce qui, dans un pays comme la France, est un parcours assez original.
L'idée de cette société était de créer un service qui permette de collecter de l'argent pour un cadeau d'anniversaire, un pot de départ en entreprise, une liste de mariage, un événement de solidarité entre proches. Le service a très rapidement pris de l'ampleur. De façon assez magique, nous sommes passés de 1 million à 4 millions d'utilisateurs, avec un service disponible dans 150 pays, bien que principalement localisé en Europe. Il s'agissait au départ d'un service effectué uniquement en français. Ce sont les utilisateurs qui nous ont forcés à l'internationalisation puisqu'eux-mêmes invitaient à participer à leur cagnotte des copains expatriés ne parlant pas français. Nous sommes passés à l'anglais, l'allemand et l'espagnol, soit au total quatre langues.
L'équipe s'est, elle aussi, développée. Nous sommes aujourd'hui quarante collaborateurs basés dans trois pays.
Pour développer une entreprise, il faut aussi la financer. Les moyens financiers ont donc également progressé.
Nous avons annoncé, la semaine dernière, l'acquisition de l'entreprise par le Crédit Mutuel Arkéa, qui est une banque française mutualiste. Il s'agit d'une intégration originale puisque nous gardons l'indépendance et l'autonomie de l'entreprise, bien que la banque ait racheté 86 % du capital. La raison de cet adossement, ce sont les synergies naturelles entre une startup du métier bancaire et une banque traditionnelle qui a une expertise, un savoir-faire et des métiers. Sans oublier l'investissement financier, à hauteur de 10 millions d'euros, qui accompagne ce rachat pour permettre à l'entreprise de continuer son développement international, l'équipe de management restant autonome.
Dans nos métiers, nous devons être un champion international. Il ne peut pas y avoir une cagnotte Leetchi française, une cagnotte espagnole, une cagnotte allemande et une cagnotte anglaise : le concurrent n'est qu'à un clic. On peut donc, en Espagne, utiliser très facilement Leetchi sans même imaginer que ce n'est pas une entreprise espagnole. L'international est forcément la donne de nos métiers puisque la concurrence n'est pas à des centaines de kilomètres, mais à un simple clic de souris. C'est un enjeu très important : nos entreprises doivent impérativement devenir des leaders internationaux. S'arrêter à nos frontières, ce serait se voiler la face et aller à la chute de l'entreprise. La France doit nous accompagner dans le développement et l'accès à l'international.
Par ailleurs, nos entreprises sont plus justes, pour plusieurs raisons.
Pour commencer, les entreprises numériques emploient 97 % de CDI. Connaissez-vous beaucoup d'entreprises de l'industrie classique qui en fassent autant ?
L'accès au capital y est mieux réparti. En général, les salariés sont propriétaires de 30 % du capital de l'entreprise, contre 2 % dans l'industrie classique.
Les rapports de salaires sont aussi beaucoup plus justes : l'écart est en moyenne de un à quatre entre le plus bas et le plus haut salaire de l'entreprise.
Enfin, ces entreprises emploient beaucoup plus de jeunes et de femmes.
Pour toutes ces raisons, vous êtes obligés de porter avec nous ce projet de l'entreprise numérique !
J'en viens à nos problématiques : le financement, le recrutement et la lisibilité administrative.
Pour devenir un champion international, nous avons levé 7 millions d'euros. Nous aurions pu avoir plus de capital à notre disposition, mais dans des conditions financières différentes des nôtres puisque c'est une dilution du capital pour l'entrepreneur et pour les salariés. À titre de comparaison, nos concurrents américains ont levé entre 50 et 300 millions, contre 7 millions d'euros pour Leetchi, avec des volumes et des chiffres d'affaires similaires, mais beaucoup moins d'employés, ce qui veut dire des enjeux et des challenges difficiles.
L'accès au financement est une vraie problématique. Quand je suis sortie de l'école, à vingt-cinq ans, j'ai commencé mon tour des popotes et des banques pour financer mon projet. On m'a dit : « Quelle idée de vouloir créer une banque ! Pour commencer, on peut te proposer un stage avec nous. Ce sera plus simple… » Il y a de vraies difficultés et de vraies frontières entre nos métiers, notre génération et ce qui existait avant.
Je tiens à souligner que j'ai été aidée très tôt par la Banque publique d'investissement (BPI), à l'époque OSEO. J'ai bénéficié d'une subvention « jeunes » qui m'a permis d'obtenir, en un rendez-vous, 20 000 euros pour démarrer mon projet, somme suffisamment importante pour me mettre le pied à l'étrier. Le financement est un point essentiel : sans financement, pas d'entreprise, pas de croissance.
Par ailleurs, il est terriblement difficile de recruter en France, qu'il s'agisse de métiers techniques ou de nouveaux métiers. Nous inventons nos métiers, le marketing, le compliance, l'account manager… Autant de métiers qui n'existaient pas auparavant. C'est pourquoi nous formons des jeunes et nous leur apprenons un métier. Nous avons, là aussi, des difficultés, car la flexibilité n'est pas la qualité principale du contrat de travail en France.
Nous avons des bureaux à Paris, à Londres et au Luxembourg. À Londres, le contrat de travail se termine en un mois. Si je veux recruter en France, je dois attendre que la personne ait effectué ses trois mois de préavis. Et si quelqu'un à Londres veut me quitter, un mois plus tard, il est parti… Le manque de flexibilité en France nous complique énormément les choses. Et je ne parle pas de virer, mais bien de recruter !
J'en viens à la lisibilité administrative. Quand on sort de l'école à vingt-cinq ans, on ne connaît rien du droit du travail, du fonctionnement d'une entreprise ou du fonctionnement administratif. On est perdu, on ne sait pas où aller, vers qui se tourner… On apprend à marcher en courant, mais il y a des choses que l'on ne voit pas ou que l'on ne comprend pas. Comprendre, par exemple, comment fonctionne le crédit d'impôt recherche (CIR) ou comment devenir Jeune entreprise innovante (JEI) est un vrai challenge ! Pourtant, ce sont des aides capitales pour nos entreprises. Nous n'aurions pas autant recruté sans le statut de JEI. Je déplore le fait que nous perdions le JEI parce que nous avons été acquis par un grand groupe, mais au moins, cela nous a permis de développer l'entreprise et de recruter. Sans cela, nous n'aurions pas autant embauché dans les métiers techniques, secteur où il est difficile de recruter et où les salaires coûtent cher.
En ce qui concerne le CIR, je crois que je n'ai toujours pas compris comment cela fonctionnait. Heureusement, j'ai un directeur administratif et financier qui s'en occupe ! Mais chaque année, la question se pose de savoir si nous l'aurons ou pas. La politique est ainsi, mais les changements de règles et de fonctionnement sont terribles pour nous qui devons gérer nos entreprises et apprendre à nous adapter à la modification des mesures et aux décisions prises par un gouvernement, puis par un autre, alors que nos entreprises sont pérennes. Si, au lieu d'apporter sans cesse des modifications, vous pouviez ne plus rien faire, ce serait mieux pour nous !
Je dois être le plus vieil entrepreneur autour de cette table… Je fais ce métier depuis vingt et un ans et je suis actuellement cofondateur et président de Withings, de Sculpteo et d'Invoxia, qui sont trois entreprises particulières parce qu'elles fabriquent des produits et qu'elles transforment de la matière, bien qu'elles soient dans le domaine numérique.
J'ai participé, avec certains de mes voisins, à la création de France Digitale et je suis aussi chef de file du plan industriel « Objets connectés », qui a été rebaptisé récemment, et dans le cadre duquel nous avons inauguré, en juin, la Cité de l'objet connecté.
J'en viens aux aspects positifs et négatifs et à ce que l'on peut faire demain pour que cela aille mieux.
D'abord, je trouve que cela va de mieux en mieux. Il est infiniment plus facile d'être entrepreneur aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Les démarches administratives sont plus faciles et les jeunes ingénieurs sont heureux de venir travailler dans des startups. Il y a vingt ans, ils préféraient entrer dans des grands groupes. Le CIR a été simplifié au fil du temps. J'ai entendu ce que disait Céline, mais c'est, selon moi, un système qui fonctionne bien, de même que le JEI.
Le régime d'imposition sur les plus-values, après quelques couacs, s'est heureusement stabilisé. La BPI fait un travail extraordinaire : nous n'avions pas vu cela dans ce pays depuis plus de vingt ans. Enfin, nos compatriotes sont très favorables à ce que nous faisons et nous regardent d'un oeil positif, ce qui n'était pas le cas non plus il y a vingt ans.
Pour ce qui est des points négatifs, il y a globalement, en France, un manque de conscience de ce que va engendrer la transformation numérique. Et nous n'avons vu que le début du commencement. La transformation numérique va bouleverser tous les métiers de ce pays, jusqu'au métier de la personne qui travaille dans une usine. Ce manque de conscience est particulièrement flagrant dans les entreprises classiques et dans l'administration. En matière de changement, on peut regarder l'un ou l'autre côté de la médaille. Il y a l'opportunité d'inventer quelque chose de nouveau et d'améliorer notre compétitivité par rapport aux autres pays, mais il y a aussi un risque : si nous ne bougeons pas, nous serons encore plus en difficulté demain.
Cela étant dit, que puis-je vous proposer ?
La BPI, qui a un réseau très implanté dans notre pays, pourrait aller encore plus loin pour faire prendre conscience à nos entreprises qu'il faut se mettre dès maintenant au numérique. Bon nombre d'entre elles n'ont pas d'ingénieurs du numérique ; il faut qu'elles puissent en embaucher et qu'elles comprennent que cela va changer leurs métiers.
En ce qui concerne l'administration, je n'ai pas la réponse. C'est à vous de la donner, mais il faut que l'administration soit valorisée lorsqu'elle prend des initiatives, et pas lorsqu'elle applique le principe de précaution, qui me semble être une aberration fondamentale dans ce pays.
Je travaille avec Withings dans le domaine de la santé. On sait que, demain, le domaine de la prévention va être bouleversé. Ce qui est compliqué dans notre pays, car au vu de ce qui existe déjà et parce qu'en ne prenant pas de risque, on pense que tout va bien et que personne ne pourra nous reprocher quoi que ce soit, rien ne bouge. Il est important que vous trouviez les moyens de valoriser le risque et l'initiative dans l'administration.
Demain, le monde sera plus dynamique, donc moins statique. Cela signifie que les entreprises vivront moins longtemps et que nous changerons encore plus souvent de carrière au cours de notre vie. Il est donc important d'organiser ces nouveaux modes de fonctionnement, ce qui veut dire que les flux financiers doivent être beaucoup plus fluides qu'ils ne le sont aujourd'hui. Est-il normal que notre pays place principalement son épargne dans des assurances-vie qui servent à financer la dette de l'État ? C'est absolument scandaleux ! C'est à vous d'essayer de modifier cela par la loi en incitant nos concitoyens à mettre de l'argent dans ce qui bouge dans notre pays.
Je n'ai pas la recette, mais il est évident que prendre des risques financiers aujourd'hui, ce n'est pas un risque pour la société. Au pire, les entreprises font faillite, mais avant cela, des gens auront été payés, auront appris des choses, et donc, préparé demain. Autrement dit, que l'entreprise réussisse ou non, le pays aura globalement avancé. Mettons le paquet sur l'investissement : c'est une affaire globalement sans risque.
Un autre sujet me préoccupe. Dans les entreprises du numérique, nous avons des solutions pour les ingénieurs et pour les gens bien formés. Mais je suis personnellement très inquiet pour les gens qui ont très peu de formation. Que peut-on faire pour des jeunes qui ne travaillent pas depuis cinq ans parce qu'ils n'ont pas une formation utilisable dans ce nouvel environnement ?
Certes, il y a des entreprises purement numériques, comme celles de Frédéric et Céline. Mais il faut aussi considérer que le numérique va transformer nos usines et le métier des travailleurs indépendants. Ce n'est pas parce qu'on a fermé des centaines d'usines depuis quinze ans qu'on ne va pas en rouvrir demain. Si l'on regarde ce que font des entreprises comme Apple, on constate que la transformation de la matière subit un bouleversement total grâce au numérique. Et cette transformation nécessite de la main-d'oeuvre. Comment inciter, demain, l'ensemble de la société à être plus efficace dans le domaine des usines ?
Enfin, n'essayez pas de faire des lois françaises. Nous exportons 85 ou 90 % de ce que nous faisons. À tout le moins, travaillez avec vos collègues européens, car les règles doivent a minima être européennes. Il est ridicule de se battre entre députés de gauche et de droite à propos de mesures franco-françaises qui, de toute façon, ne pourront pas être respectées sur le long terme, parce que nous travaillons au niveau européen. Cela vaut pour les données et la loi sur le numérique que vous êtes en train de préparer.
Je terminerai par le contrat de travail. Il est plus simple aujourd'hui qu'il y a vingt ans de recruter et de licencier, mais cela reste un « machin » de cinquante centimètres d'épaisseur et personne ne le comprend. On se croit protégé, mais il n'est qu'une source de complexité et de peurs inutiles, car en réalité, il ne protège personne. Si vous pouviez donner un énorme coup de balai dans ce « truc », ce serait génial !
Nous entendons vos messages, mais je vous rappelle que nous sommes ici chargés de faire la loi française, pas la législation européenne. En revanche, nous pouvons travailler à la transposition des directives.
Nous vous invitons à venir dans nos entreprises. Nous pouvons nous « fertiliser » mutuellement. Vous ne nous connaissez pas assez et nous ne vous connaissons pas assez. Nous serons très heureux de vous recevoir.
Je suis, avec Christophe Fourtet, cofondateur de Sigfox, qui est un opérateur télécom de l'internet des objets. Notre enjeu est de déployer un réseau mondial. Cela peut paraître a priori saugrenu parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas d'opérateur mondial.
En 2011, à Toulouse, nous étions deux. Nous sommes aujourd'hui un peu plus de 150 et nous sommes présents sur la côte Est et la côte Ouest des États-Unis, à Dubaï, à Singapour et dans différents pays d'Europe. Nous sommes en passe de déployer un réseau qui permettra de connecter dans le monde virtuel tout ce qui existe dans le monde physique.
Nous sommes présents dans onze pays et nous réalisons aujourd'hui 80 % de notre chiffre à l'international. L'entreprise existe depuis quatre ans et nous avons levé 127 millions. Si nous étions américains, nous aurions sans doute levé beaucoup plus de fonds avec moins de dilution. En lançant une boîte française, à deux, à Toulouse, avec l'objectif de devenir un opérateur mondial, ce qui paraissait totalement invraisemblable, vous levez 2 millions à l'arrache, puis 10, puis 15, etc. Aux États-Unis, nous aurions peut-être levé d'un seul coup 100 millions et nous aurions gagné du temps.
Les télécoms sont un système régulé. Nous sommes en France, mais il existe des directives européennes concernant les télécoms. Il serait urgent de trouver une solution au niveau de l'internet des objets, car c'est un phénomène qui va devenir gigantesque. Demain, 10 ou 100 milliards d'objets, voire plus, seront connectés. C'est un enjeu colossal. Cela veut dire qu'il y a aussi un enjeu de régulation des télécoms dans ce domaine. On n'est pas dans le GSM – Global System for Mobile communications. Il y aurait donc intérêt à trouver un accord au niveau européen, puis à l'étendre au niveau mondial.
Je rappelle que le GSM, que l'on utilise tous les jours, était en compétition avec d'autres technologies, comme le CDMA – Code Division Multiple Access – aux États-Unis. Nous avons, pour une fois, en Europe, poussé nos standards. Je pense qu'il y a matière à faire la même chose aujourd'hui dans le secteur de l'internet des objets.
J'en viens aux mauvais points et au « small business act à la française ». En tant que startup française, nous nous sommes mis tous les opérateurs français à dos, qui se sont ingéniés à trouver une autre technologie aux États-Unis pour la déployer en France. Ils n'ont pas été capables de venir vers nous. Par contre, nous travaillons avec des opérateurs étrangers comme Telefonica, Tata Docomo ou AT & T…
Bon nombre de startups rencontrent le même problème. Quand elles arrivent avec une innovation, on a du mal à leur ouvrir la porte. Il y a un phénomène de rejet du côté des grandes entreprises, au lieu d'aider ces boîtes à se développer, à créer de la valeur, voire à les racheter, comme savent le faire les Américains. Cela arrive très peu en France. Le SBF 120 – société des bourses françaises – a dû faire une trentaine d'acquisitions en cinq ou six ans, tandis que Google à lui seul en a fait trois fois plus, ce qui montre que nous avons un problème en matière de développement des startups.
Je partage ce qu'a dit Éric sur la révolution numérique. Les taxis sont descendus dans la rue et ont fait grève à cause d'Uber. Aujourd'hui, Uber s'applique aux taxis, mais demain, il s'appliquera à tout, le gaz, l'eau, l'essence etc. Uber, c'est quelqu'un qui va utiliser un moyen numérique. Vous avez chez vous, par exemple, deux bouteilles de gaz propane et vous passez de la vide à la pleine. On va informer quelqu'un qu'une des bouteilles est vide. Il sera facile, demain, de prendre des livreurs, à la mode Uber, qui vont acheter et équiper leur camionnette, et on va leur donner, chaque jour, une feuille de route pour aller déposer les bouteilles de gaz chez des particuliers. Ils gagneront 10 ou 15 euros par bouteille de gaz livrée : ce peut être un petit business sympa s'ils en livrent une vingtaine ou une trentaine par jour. C'est un exemple parmi d'autres de ce que l'on appelle la « désintermédiation ». L'uberisation ne se limitera pas aux taxis et aux hôtels avec Airbnb ; le phénomène va se généraliser. On peut le freiner, mais dans ce cas, il viendra de l'extérieur, ou bien anticiper et le prendre de vitesse.
Nous avons des possibilités en la matière parce qu'il y a, en France, de très belles boîtes qui prennent ce marché à bras-le-corps. C'est une très belle opportunité. Essayons de voir comment on peut aider ces boîtes à grossir, car une fois qu'elles feront ce métier en France ou en Europe, elles le feront au niveau mondial. Elles iront développer leur système aux États-Unis, en Asie et partout ailleurs. C'est une tendance forte qu'il faut, selon moi, accompagner et non freiner.
On a tendance, à la BPI ou à OSEO, à parler essentiellement subventions. Les startups ont accès à des subventions, mais je pense que c'est un miroir aux alouettes. On peut avoir des subventions pour développer des projets qui, parfois n'aboutiront à rien parce qu'ils ne répondent pas à un besoin. Des millions d'euros de subventions sont ainsi gaspillés pour développer des projets qui ne verront jamais le jour.
Il faudrait pousser les grands comptes, les PME et les ETI à travailler avec des startups et utiliser ces millions d'euros de subventions comme une garantie ou une aide pour les grands comptes au cas où cela se passerait mal, pour compenser une perte potentielle. Cela aurait un effet vertueux, car cela permettrait aux entreprises d'avoir des références clients et aux grands comptes de réduire le risque. Il y a toujours la peur de travailler avec une boîte que l'on ne connaît pas, particulièrement s'il s'agit d'une boîte française. On vous reprochera moins de travailler avec une startup américaine.
Deezer est essentiellement un service d'abonnement à de la musique. Avec Deezer, vous avez accès à 35 millions de titres en illimité. Vous n'achetez plus de CD. L'abonnement musical, qui est l'un des sujets de la loi Pellerin – actuellement en cours d'examen – est appelé à constituer l'essentiel des revenus de l'industrie musicale pour les années à venir. Les gens vont s'abonner à un service pour 10 euros par mois et louer l'accès à la musique au lieu d'être propriétaires de leurs fichiers ou des CD qu'ils achètent.
Notre société a beaucoup grossi : elle compte désormais plus de 300 salariés, dont les deux tiers en France, avec un chiffre d'affaires de 142 millions d'euros en 2014 – nous ne serons pas loin de 200 millions en 2015.
À ce jour, nous avons trois gros concurrents : GoogleYouTube, Apple Music et Spotify, une société suédoise qui a atteint 1 milliard de chiffre d'affaires.
Deezer a été créée en 2007 et est passée par la plupart des phases de construction d'une startup. La première étape, quand les fondateurs se réunissent dans une cuisine pour créer un projet, consiste à attirer les premières personnes pour monter le projet. Il n'y a alors pas d'argent pour les payer. Par conséquent, tout ce qui peut inciter les fondateurs à faire entrer des salariés au capital est la chose la plus importante. La fiscalité à la sortie est un point important, mais l'absence de coût à l'entrée quand on attribue des stock-options ou des actions gratuites compte encore plus. Avec la loi Macron, il y a eu des avancées en ce qui concerne l'attribution d'actions gratuites. Mais, même avec cette loi, il y a un coût au moment où les actions sont acquises. Il faut aller plus loin, car il faut que les chefs d'entreprise puissent, de la façon la moins coûteuse possible, intéresser les salariés au capital, le succès des entreprises venant essentiellement des salariés, qu'elles n'ont pas, au début, les moyens de payer.
La deuxième étape consiste à faire venir les premières personnes qui investissent dans la société. Nous sommes passés par des phases de business angels. Nous avons eu la chance de rencontrer Xavier Niel, qui a investi 200 000 euros pour aider les fondateurs à créer la société. Toutes les incitations fiscales qui peuvent encourager les business angels à investir dans des PME sont primordiales. Les réductions d'ISF ou d'impôt sur le revenu, qui étaient de 25 % à l'époque, mais qui ont baissé depuis, sont des éléments extrêmement importants pour encourager à investir dans les PME en croissance.
L'étape suivante a été de faire venir des fonds d'investissement. Entre 2008 et 2009, des fonds d'investissement français ont investi dans la société et injecté 14 millions en plusieurs fois jusqu'à ce que la société trouve un modèle économique qui fonctionne. En 2009, il n'y avait pas encore d'abonnements : la musique était gratuite et financée par de la publicité. En 2012, nous avons voulu aller à l'international et nous avons dû trouver des fonds étrangers. C'est un fonds américain qui, en 2012, a injecté 100 millions d'euros dans la société.
La France a un marché domestique qui se prête aux premières étapes. Le financement des startups françaises fonctionne globalement bien, même si le système peut être optimisé. Nous avons aussi bénéficié du crédit d'impôt recherche et du statut de jeune entreprise innovante. La BPI fait en outre un très bon travail. Malheureusement, l'étape suivante, avec la recherche de financements plus conséquents, est plus compliquée.
Aujourd'hui, nous sommes dans une logique d'internationalisation. Depuis 2012, nous nous sommes implantés dans 180 pays et le service est disponible partout. Cela a été un premier enfer pour négocier, notamment, les droits d'auteur avec les sociétés de type SACEM dans tous les pays d'Europe et du monde. Tout ce qui peut contribuer à simplifier et à harmoniser au niveau européen sera bienvenu. Nous avons une centaine de salariés dans une dizaine de bureaux à l'étranger, ce qui implique à chaque fois une législation différente. Ce serait plus pratique pour nous si la législation était à peu près la même partout, au moins en Europe.
Nous embauchons de plus en plus de gens à Londres, compte tenu de la flexibilité du droit du travail. Quand il faut aller extrêmement vite, il est plus facile de recruter quelqu'un qui a un préavis court. De ce fait, il est aussi plus facile de grossir à Londres. C'est pourquoi notre CEO (Chief executive officier) y est basé. Nous sommes en train de faire grossir en parallèle des équipes à Londres et à Paris, même si nous avons encore les deux tiers de nos effectifs à Paris, l'idée étant que la grande majorité de nos effectifs y restent.
En ce qui concerne les talents internationaux, il y a deux types de profils. Pour ce qui est des profils techniques, les meilleurs développeurs du monde sont à Paris. Leur coût est, de surcroît, bien inférieur à celui des spécialistes que l'on peut trouver aux États-Unis. De ce point de vue, la France a d'excellentes écoles d'ingénieurs. Nous aurons toujours notre pôle d'expertise technologique en France. En revanche, il est plus facile de trouver des profils marketing ou commerciaux à Londres. Aujourd'hui, ne serait-ce qu'à cause de la fiscalité française, l'enjeu peut être de choisir entre Paris et Londres. Il faut avoir en tête que l'on ne raisonne plus, dans nos sociétés, en termes franco-français. Notre destin est à l'international et nous nous posons forcément la question de savoir si, dans le futur, nous aurons envie de nous implanter à Paris ou ailleurs.
J'en arrive à un élément qui m'a toujours surpris, mais je n'ai peut-être pas compris la logique de cette mesure. Les sociétés comme Deezer se financent par définition en sachant que, pendant des années, elles vont perdre de l'argent. Deezer, aujourd'hui, c'est à peu près 100 millions d'euros de déficit reportable. Je n'ai jamais compris pourquoi, le jour où nous ferons 100 millions d'euros de bénéfice, nous ne pourrons pas imputer la totalité de nos déficits sur l'année où nous ferons des bénéfices. Il faudra m'expliquer un jour pourquoi le report des déficits est limité à 1 million d'euros plus 50 % du bénéfice de l'année. C'est pour moi un mystère absolu, qu'il me faudra pourtant expliquer aux investisseurs étrangers lorsqu'ils voudront investir dans la société…
Vous incarnez une génération d'entrepreneurs pleins d'audace. Vous avez contribué à bouleverser vos secteurs d'activité et nos habitudes en bousculant les anciens modèles et en en créant d'autres. Je vous rejoins quand vous dites que nous n'avons probablement pas pris la mesure des bouleversements induits par le numérique. C'est ce qui explique sans doute un certain nombre d'indicateurs, notamment en France.
Les difficultés que vous rencontrez en France en matière d'investissement concernent la phase de développement. Quelles solutions pourriez-vous nous proposer à court et à moyen terme ? Quels seraient les points bloquants que nous pourrions anticiper, selon vous, à la faveur de la loi « Macron 2 », annoncée pour le début de l'année prochaine, s'agissant notamment de la modification et de la prise en compte des nouveaux modèles économiques ?
Quelles solutions précises pourriez-vous proposer pour améliorer ce que l'on appelle la formation tout au long de la vie ? Quel est votre regard sur les initiatives en cours ? Je pense à la Grande école du numérique et aux nouvelles formes d'enseignement autour du numérique. C'est selon moi une question clé si l'on veut comprendre les changements induits, qu'il faut examiner sur le plan de la formation initiale, mais aussi sur le plan de la formation continue ou formation tout au long de la vie.
Je partage votre point de vue sur la nécessité d'avoir sur ces questions une approche européenne et d'éviter les approches par trop franco-françaises.
S'agissant des données personnelles, quel est votre regard sur les textes en cours de discussion ?
Que pensez-vous de la mise en consultation du projet de loi sur le numérique et des dispositions proposées à la discussion ?
Enfin, comment améliorer la compréhension des acteurs publics concernant les bouleversements induits par le numérique sur l'ensemble des modèles économiques et des organisations, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités ?
Avec Corinne Erhel, nous avons auditionné certains d'entre vous lors de l'élaboration du rapport qui va vous être remis. Les messages que vous nous avez fait passer à l'époque sont les mêmes qu'aujourd'hui.
Nous avons mis en avant dans notre rapport le besoin de porter au niveau européen les exigences concernant les normes en matière de numérique. Cela fait écho à l'obligation d'avoir un agenda numérique européen solide, ambitieux et audacieux. Je regrette à ce titre le peu de dynamisme dont font preuve les différents pays européens pour porter cette ambition. On a l'impression que l'Europe fait ce qu'elle veut dans son coin sans pour autant que le « la » soit donné par les grands pays européens que peuvent être la France, l'Allemagne et l'Angleterre. Je vous rejoins sur l'absolue nécessité de ne pas légiférer au niveau franco-français en matière de données personnelles ou plus généralement en matière de code du travail, sachant que vous pensez l'organisation de vos entreprises a minima au niveau européen, voire au niveau mondial.
Vous avez évoqué la nécessité d'un changement de culture, ce qui est encore plus compliqué. Car il existe une vraie frontière entre vos métiers, votre génération et le monde traditionnel. L'un d'entre vous a dit que l'administration devait être valorisée par les initiatives qu'elle prend. C'est joliment tourné… En tout cas, c'est un changement de culture profond de l'administration que de lui demander d'être audacieuse !
Que proposez-vous concrètement pour faire prendre conscience, à la fois dans les grands groupes et dans les administrations, du fait que, pour développer le numérique dans notre pays, il faut provoquer ce changement de culture et être audacieux ? Nous avons un système figé, établi, avec des institutions normées, qui ont très bien fonctionné pendant les Trente Glorieuses. Faut-il le réviser complètement ?
S'agissant de la formation professionnelle, les régions ont un rôle à jouer. Quels messages souhaitez-vous faire passer aux chefs de file régionaux, qu'ils soient de droite ou de gauche ? Qu'attendez-vous d'eux ?
Concernant le financement, quels dispositifs concrets préconisez-vous pour donner à nos startups les moyens, notamment financiers, de se défendre face à l'appétit vorace de certains acteurs américains ?
Nous avons des dispositions telles que le JEI et le crédit d'impôt recherche, nous avons également de bonnes formations d'ingénieurs. Tout cela, c'est de l'argent public, grâce auquel nous permettons aux entreprises de se développer et de s'améliorer ; mais après, nous n'arrivons pas à les accompagner. Quand le capital d'une startup qui a un potentiel de développement se vend à un grand groupe américain, c'est pour notre pays une perte de richesse à venir. Militez-vous pour quelques dispositifs en particulier ?
Le numérique est facteur d'innovation et de croissance. Aujourd'hui, dans notre pays, nous devons être plus qu'attentifs à ces questions.
Vous avez aussi mis en exergue que la problématique, à ce jour, est mondiale et qu'il faut avoir la vision la plus large possible.
Il y a des impacts et des transformations dans notre société, qui sont liés à l'économie numérique. On pourrait penser, de prime abord, que les métiers de l'informatique, de l'électronique ou ceux qui tournent autour des technologies et des infrastructures de télécommunications sont les premiers, voire les seuls impactés. Pas du tout ! Le transport, la logistique sont aussi concernés, et chaque secteur d'activité change, évolue et doit se réformer par rapport à ces nouveaux usages et ces nouvelles pratiques.
Les bouleversements affectent les usages avec l'arrivée des réseaux sociaux, ainsi qu'avec les services. Le débat sur Uber aura lieu à nouveau, mais, bien au-delà, sur la désintermédiation. Cette table ronde est utile pour faire prendre conscience au Parlement que le législatif et le réglementaire doivent, eux aussi, s'adapter. Ce n'est pas parce qu'on mettra des verrous supplémentaires que le monde s'arrêtera de bouger. Ce message que vous nous faites passer est très important.
En ce qui concerne la formation, comment les pouvoirs publics, avec leur organisation et leurs lourdeurs, peuvent-ils s'adapter aux nouveaux métiers ? Vous êtes contraints au pragmatisme. Il faut que nous puissions, nous aussi, voir les choses sous ce prisme.
Vos propos concernant la nécessité d'une vision a minima européenne de la réglementation m'ont interpellé. Le groupe politique auquel j'appartiens défend depuis longtemps le fédéralisme européen. C'est une bonne chose que d'entendre des chefs d'entreprise pragmatiques rappeler que la réponse ne peut être qu'à l'échelle européenne. J'espère que ce message sera entendu par nombre d'entre nous sur tous les bancs.
J'en viens au volet sur la communication : il faut sensibiliser, expliquer et faire prendre conscience.
Votre temps est précieux, mais j'aimerais que vous puissiez nous accompagner pour faire vivre cette mutation dans nos territoires. Je suis maire d'un territoire sur lequel je souhaite que le numérique puisse être un vrai facteur de croissance et de développement. Monsieur Carreel, vous nous avez invités à visiter vos entreprises. J'ai envie de vous retourner l'invitation, car je crois qu'il serait utile que vous veniez sur le terrain animer des débats avec le monde économique. Tout le monde doit être conscient que cela va très vite et qu'il faut se réformer. Vous avez besoin de nous pour ce qui est de la réglementation, mais nous avons aussi besoin de vous.
Je vous remercie tous les cinq pour vos propos très « cash ». Vous nous avez parlé sans prendre de gants, et je pense que vous avez eu raison.
Le numérique transforme nos modes de fonctionnement. Cela étant, peut-être parce que je vis encore dans le siècle précédent, je me dis que la désintermédiation ne doit pas être sociale et politique, et synonyme de déréglementation. Nous avons une réflexion à mener au plan éthique sur ces nouveaux modes de fonctionnement contre lesquels, de toute façon, on ne peut rien faire. Vous traduisez cela avec une grande simplicité, car vous avez une grande connaissance de ce secteur. Mais j'avoue que cela me fait parfois un peu peur…
Vos sociétés sont nées d'initiatives individuelles qui, petit à petit, ont pris de l'importance au travers du développement de vos entreprises. J'aimerais avoir votre avis sur ce que fait notre gouvernement en matière de French Tech, communauté réunissant l'ensemble des acteurs de l'écosystème des startups françaises.
Une étude publiée par Ernst & Young sur la performance économique et sociale des startups numériques en France montre que le CIR est le dispositif préféré des entrepreneurs. Pourtant, 50 % seulement des startups françaises en bénéficient ; c'est la même chose pour le statut de jeune entreprise innovante. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Ces dispositifs, mis en oeuvre par l'État français, doivent-ils être améliorés pour faciliter l'émergence des startups ?
Vous souhaitez tous vous développer à l'international. En ce qui concerne Deezer, vous venez d'annoncer votre intention d'entrer en Bourse et vous souhaitez concurrencer des géants comme Apple Music ou Spotify. Pour lutter contre ces géants, vous dites vouloir vous différencier de vos concurrents. De votre point de vue, de quels avantages les startups françaises bénéficient-elles pour se différencier des géants de l'économie numérique ? Quel est l'impact de la French Tech dans la promotion de vos entreprises ?
Je l'ai dit tout à l'heure, j'espère que la désintermédiation ne sera pas synonyme de déréglementation. Un rapport sénatorial propose une adaptation du mode de recouvrement de la TVA. Ce rapport fait le constat d'un phénomène inquiétant de fraude fiscale, notamment en matière de TVA. Que pensez-vous du prélèvement de la TVA au moment du paiement par internet ?
Je ne suis pas un expert en matière de numérique, mais pour le vivre au quotidien en tant qu'usager et l'avoir constaté dans nombre de dossiers, je pense que nous n'en sommes qu'au début : le numérique va chambouler énormément de choses dans de nombreux domaines.
D'un certain point de vue, c'est une opportunité. Je le pense en tant qu'écologiste, s'agissant des questions liées au dérèglement climatique et à la surconsommation. La dématérialisation d'un certain nombre d'actions peut entraîner des économies dans le domaine énergétique, par exemple. C'est pourquoi j'accueille tout ce que vous nous dites et tout ce qui se passe aujourd'hui dans votre domaine avec beaucoup d'intérêt.
Blablacar est un exemple formidable de ce qu'on est en train de faire pour modifier la façon d'utiliser les véhicules. En les remplissant mieux, on a plus d'efficacité énergétique. L'information en direct des gens, au moyen de leur smartphone, sur la disponibilité des transports collectifs, des vélos ou des véhicules en libre-service, permet une mobilité plus efficace, et donc, plus écologique. On le voit en matière énergétique. Demain, la capacité de pilotage en direct, notamment des énergies renouvelables décentralisées, l'utilisation du stockage ou de l'effacement de consommation seront des outils extrêmement utiles pour accompagner la transition énergétique. Il en est de même pour ce qui concerne l'efficacité énergétique des bâtiments et la capacité de piloter de nombreux outils domestiques afin de réduire les consommations.
Des opportunités gigantesques s'offrent à nous pour modifier nos comportements et accompagner les indispensables mutations. Le fait qu'elles se présentent maintenant, alors que nous sommes face à des contraintes écologiques majeures, laisse penser que le numérique peut être une solution, comme le montre Jérémy Rifkin.
L'« uberisation » vient frapper de façon brutale – ou ressentie comme telle – un système de protection sociale basé sur le salariat. La question qui se pose est de savoir comment accompagner ces bouleversements qui, de toute façon, sont inéluctables. Plutôt que de subir, mieux vaut anticiper et accompagner, en faisant en sorte que les gens n'en soient pas les victimes, mais les acteurs, et qu'ils soient protégés.
Cela rejoint la question du code du travail et de son évolution. Nous devons nous demander comment envisager ces questions au XXIe siècle, en essayant de profiter des avantages de toutes ces opportunités et en contribuant au développement de ces nouveaux modes de fonctionnement, tout en assurant la protection des citoyens. Nous avons, par exemple, beaucoup de progrès à faire dans notre pays pour ne pas être les derniers de la classe en matière de mutation énergétique.
Chaque fois que nous faisons des lois, nous devons nous interroger systématiquement dans tous les domaines sur les bouleversements qui sont en train de s'opérer et sur la possibilité que les données actuelles soient, dans un an ou deux, totalement bouleversées par les mutations en cours.
Avant de donner la parole à mes collègues, qui sont nombreux à vouloir intervenir, je passe la parole à M. Mazzella, qui a des contraintes d'agenda.
Je voudrais faire passer un message qui peut nous aider. Je préfère les valeurs aux process : quand on a les bonnes valeurs, on prend les bonnes décisions. Le bon process devient très vite obsolète. Or il y a une valeur qu'il faut impérativement faire passer dans le pays, la culture, les esprits : le changement, c'est bien. Ce qui est nouveau, c'est bien. Lorsqu'on parle de quelque chose de nouveau aux Américains, ils ont des étoiles dans les yeux et ils demandent comment ça marche. Aux États-Unis, rien que le fait d'être nouveau a une valeur. En France, si c'est nouveau, c'est signe de danger, car ça va changer. Eh bien oui, ça va changer ! De toute manière, qu'on le veuille ou non, on change. On naît, on meurt et, entre les deux, on vit. Tout est comme ça, tout change. Il faut juste se mettre en tête que ce qui change, c'est bien, le nouveau, c'est bien, et il faut l'accompagner. Si l'on arrive à cela, on aura fait un grand pas…
D'ailleurs, je dis très souvent à toute l'équipe que la seule constante chez Blablacar, c'est le changement !
Ensuite, la communication est importante. Les messages envoyés voyagent très vite à l'international et nous reviennent comme un boomerang. La taxation à 75 %, par exemple, a fait le tour de la planète. Cela a été corrigé après, mais le mal était fait, et nous, entrepreneurs, on rame pour expliquer que cela ne se passe pas vraiment de cette façon. Même chose pour Dailymotion : l'histoire a fait le tour de la planète. Empêcher le rachat d'une boîte n'envoie pas aux investisseurs étrangers le message que la France est un pays dans lequel il faut investir. Il faut savoir que toutes les mesures qui sont prises ont un effet de communication très puissant.
Si le mouvement des « pigeons » a pris, c'est qu'il y avait une incompréhension de ce qu'est un mécanisme d'investissement par rapport à un mécanisme de dividende, ce qui témoigne d'une société plus rentière qu'innovante. Taxer les plus-values davantage que les dividendes, c'est forcer les entreprises à sortir l'argent sous forme de rente au lieu d'investir pour la suite, et donc, d'espérer des plus-values. Si l'on veut que notre pays investisse et aille de l'avant, il faut taxer les dividendes beaucoup plus que les plus-values. C'est la seule façon d'agir pour que les entreprises estiment que l'argent est mieux dans la boîte afin d'innover pour le futur que sorti de la boîte pour rémunérer les actionnaires.
J'en viens à la culture économique. Les grandes boîtes doivent savoir racheter les petites. C'est ainsi qu'on innove le mieux, car, dans la mesure où elles n'ont rien à perdre, les petites boîtes créent de l'innovation de rupture, ce que les grandes ne savent pas faire. Nous avons tous des exemples en tête, comme celui de Kodak, qui a inventé l'appareil numérique, mais n'a pas osé le lancer de peur que cela ne casse son business. D'autres l'ont fait à sa place et, du coup, on ne parle plus de Kodak. Il faut que les boîtes sachent racheter au fur et à mesure des innovations pour faire respirer tout l'écosystème de startups. Le financement des startups se fait au début grâce aux business angels, mais ensuite par des investisseurs de série A, série B, série D. Il y a aussi le fait que lorsque les grandes boîtes rachètent les petites, on crée de l'innovation. Cela fait partie de la culture, il faut que les grandes boîtes sachent reconnaître l'innovation au pied de leur porte, et pas seulement quand elle vient des États-Unis.
Enfin, tout ce qui est participation au capital est une bonne chose, car cela permet de créer un sentiment de groupe, une motivation collective pour une mission qui est la création d'un nouveau modèle de société. Tout ce qui permet la distribution d'actions gratuites, et donc, le partage du capital entre toutes les personnes qui construisent la valeur de demain est un élément très fort parce que cela crée des missions. Il y a trente, quarante ou cinquante ans, on savait dans notre pays créer des missions nationales et motiver tout le monde autour d'une cause ; j'ai l'impression qu'aujourd'hui, on n'arrive plus à le faire. Je ne sais pas comment on en est arrivés là. On n'arrive beaucoup moins à innover. En ce moment, il y a un renouveau qui vient des startups, avec une nouvelle distribution de la valeur. Il faut l'encourager parce que cela crée des effets de motivation de groupe absolument phénoménaux.
Chez nous, nous sommes 360 personnes de trente nationalités différentes et nous avons une ambiance de travail extraordinaire. Tout le monde vient travailler le sourire aux lèvres, avec une incroyable motivation. Nous avons créé cela parce que nous nous sommes donné une mission commune : construire notre service. C'est cela qu'il faut retrouver, et la manière de distribuer la valeur future créée, notamment, est une bonne façon de souder tout le monde autour d'une mission. Les gens n'ont plus une conscience purement individuelle et ne pensent plus que le travail, c'est seulement un salaire. Le travail, chez nous, c'est une mission. Ce que je dis aux gens qui viennent travailler chez nous, c'est qu'ils vont passer la moitié de leur vie à travailler et qu'ils ont intérêt à choisir un boulot qui leur plaît. Il faut qu'ils voient la valeur créée, pas seulement les horaires de travail et le salaire à la fin du mois, qui sont, certes, des composantes, mais non ce qui nous fait vivre.
À Paris, Airbnb est un exemple typique d'« uberisation ». Cette forme d'économie se développe parce qu'elle échappe pour partie à la fiscalité et surtout aux charges sociales.
Pensez-vous que ce phénomène, certainement inévitable, mettra en cause notre modèle de protection sociale qui aura tout simplement des difficultés à survivre, faute de financement ?
Vous avez tous largement évoqué le CIR, la BPI ou OSEO et le JEI comme étant des leviers qui vous ont permis de créer et de développer vos entreprises. Sauf erreur de ma part, vous n'avez pas parlé du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). En avez-vous bénéficié ? Si oui, comment l'avez-vous utilisé concrètement ? Ce dispositif fait-il partie des leviers importants pour votre développement ?
Enfin, quelles sont vos perspectives de développement et quels freins pointez-vous, à ce stade, qui pourraient être levés dans les textes à venir ?
Face à ces cinq chefs d'entreprise, je suis admiratif… On aimerait avoir davantage d'auditions de cette qualité.
Malgré le constat d'une domination des Américains dans l'univers du digital, quelques sociétés françaises, dont les vôtres, sont reconnues au niveau mondial. En effet, contrairement aux idées reçues, la France possède de très belles réussites mondiales dans l'économie numérique et, en quelques années, les startups françaises sont parvenues à se faire un nom sur la scène internationale.
Nous avons entendu vos messages, notamment sur le plan de la fiscalité et sur le code du travail. Vous avez raison. Ce n'est pas qu'une question de génération, car j'ai connu, dans une autre vie, les mêmes problèmes : les banques n'osaient pas me prêter le moindre centime pour monter ma petite entreprise, qui est devenue le troisième groupe français dans le secteur de la sécurité.
Vos entreprises attirent de plus en plus de jeunes. Quelles sont vos exigences dans le cadre de la formation de nos jeunes ? Combien d'emplois pensez-vous créer en 2016 ? Quelles sont, face à la concurrence, vos perspectives de développement à l'international ?
Il y a à peu près 130 sociétés dans le monde, dont les deux tiers américaines, qui répondent à l'appellation de « licorne », c'est-à-dire des sociétés qui ne sont pas cotées en bourse et qui ont une valorisation supérieure à 1 milliard de dollars. Elles auraient doublé en dix-huit mois et la plupart d'entre elles cherchent encore la rentabilité. Nous avons déjà connu des bulles internet et nombre de sociétés se sont cassé la figure. N'avez-vous pas cette crainte ?
J'ai cru comprendre que vous étiez assez satisfaits du soutien que vous a apporté Bpifrance, mais qu'en France, contrairement aux États-Unis, nous manquions d'investisseurs privés. Comment nous situons-nous par rapport aux autres pays européens, comme l'Allemagne, l'Angleterre ou la Suède ?
Je suis aussi un chef d'entreprise dans le domaine de l'informatique, mais pas dans l'innovation de rupture. Du coup, j'ai vendu ma boutique. Il faut savoir vendre quand il est temps…
Ma question est un peu provocatrice. Les succès français comme ceux que vous représentez peuvent-ils rester français ou européens ? Ou bien sont-ils fatalement destinés à être rachetés dès qu'ils ont atteint une certaine taille ? C'est malheureusement souvent le cas. On essaie de faire sortir des champions français, mais on a l'impression que dès qu'ils atteignent une certaine taille, ils sont rachetés. On a encore vu le cas récemment avec Leetchi, qui vient d'être racheté à hauteur de 86 %, même si le Crédit Mutuel Arkea est un groupe français. C'est encore une fois une structure qui change d'actionnariat, même si c'est un actionnariat français.
Quel rôle a eu la BPI dans votre croissance ? Attendez-vous davantage de l'État, notamment dans le cadre de la future loi « Macron 2 » que nous serons amenés à examiner ?
Enfin, tout le monde est conscient de l'uberisation de l'économie. Je pense que le numérique détruit beaucoup d'emplois avant d'en créer. Je suis persuadé qu'en France, contrairement à tous les modèles économiques que l'on nous donne, tant que nous n'aurons pas une croissance de 4 %, avec une économie qui va devenir numérique, nous ne créerons pas d'emplois. Quel est votre avis sur ce sujet ? C'est une vraie question que se posent les Français. Nous perdons des emplois et nous nous apercevons qu'ils ne sont pas compensés par le numérique.
La mutation numérique est un vrai défi, mais aussi une vraie chance, une source d'innovation et de progrès.
Notre responsabilité est de permettre à notre pays de s'adapter à cette mutation qui va très vite et surtout de l'anticiper. C'est le sens des décisions qui ont été prises, avec la création de la BPI et des programmes d'investissements d'avenir, mais aussi avec le lancement de l'écosystème de la French Tech pour donner plus de visibilité à l'international.
On parle beaucoup des plates-formes de financement participatif, du crowdfunding, dont le développement depuis un an a explosé. L'épargne des Français représentant aujourd'hui quasiment 4 000 milliards d'euros, il y a là un potentiel de développement de ces plates-formes qui ne s'intéressent pas seulement aux phases d'amorçage, mais aussi aux phases de développement. Qu'en pensez-vous ? Comment aider les Français à retrouver la confiance ? Il n'y a pas que les dispositifs fiscaux qui permettent de réorienter l'épargne de nos concitoyens, il y a aussi la question de la confiance. Quel rôle pouvez-vous jouer pour redonner de la confiance aux Français dans cette nouvelle économie ?
Bravo ! Vous avez osé. De quoi auriez-vous besoin précisément pour poursuivre dans les meilleures conditions et assurer votre expansion et votre rayonnement ?
Par ailleurs, en l'état actuel des choses et compte tenu des événements, quels moyens la collectivité devrait-elle mettre à la disposition des entrepreneurs de l'économie numérique pour que votre réussite puisse être partagée par le plus grand nombre ?
Enfin, à votre avis, quels sont les atouts que vous partagez avec vos voisins et qui ont fait votre réussite ?
J'ai, à mon tour, envie de vous féliciter. Vous apportez au sein de cette commission une bouffée d'air frais. En vous écoutant, on comprend que la révolution numérique et robotique est en marche, qu'elle bouscule notre vieille économie et qu'elle ne s'arrêtera pas. Vous êtes tous en croissance, vous embauchez beaucoup et c'est tant mieux.
Cette évolution bouleverse tous les métiers. Aucun secteur n'est épargné : transports, banques, hôtellerie, services à la personne etc. Mais je rejoindrai mon collègue Lionel Tardy, cette nouvelle économie ne modifie-t-elle pas aussi le rapport au travail en raison de son impact sur un grand nombre d'emplois existants et d'une concurrence attisée ? Le statut même de salariat ne s'en trouve-t-il pas bousculé en termes de formation, de rémunération ou de couverture sociale ?
J'ai lu, dans quelques hebdomadaires, que cette « robulation » conduirait à la destruction probable de 50 % des emplois existants à une échéance de dix à vingt ans. Vous êtes des acteurs économiques sociaux importants. Comment faut-il se préparer à cela, si je puis me permettre de vous poser cette question, vous qui embauchez ?
Je félicite à mon tour les intervenants pour ces présentations particulièrement tonifiantes de secteurs dynamiques et créateurs d'emplois.
La formation professionnelle, que vous avez évoquée, relève de la compétence des régions. Dans ce secteur en pleine mutation, quelles propositions concrètes pouvez-vous faire pour ce qui touche à la formation ?
Ma deuxième question portera sur la fiscalité. Un rapport sénatorial propose de prélever la TVA à la source pour les achats effectués sur internet. Il propose également de mettre en place une déclaration automatique de revenus pour les plates-formes collaboratives. Quel est votre avis sur ces propositions ?
Culture, état d'esprit, nouveaux métiers… On assiste à de vrais bouleversements en termes de culture et d'état d'esprit, tant il est vrai que le numérique va transformer sérieusement nos modèles économiques. Par rapport à l'expérience que vous avez retirée de vos relations avec les grands groupes français, quel témoignage pouvez-vous apporter ? Quelles difficultés rencontrez-vous ? Il y a peut-être, là aussi, un problème culturel. J'ai cru comprendre, en vous écoutant, qu'il valait mieux être une startup américaine pour aller vers les grands groupes.
Enfin, quels sont les nouveaux métiers ? Quels sont, selon vous, les progrès à accomplir en matière de formation pour pouvoir recruter les profils qui vous paraissent aujourd'hui plus nécessaires à votre activité ? Sans oublier les jeunes parfois moins bien formés et auxquels il faut aussi apporter une réponse. Vous avez évoqué les jeunes et les femmes, mais il faudrait également penser aux seniors. Y aura-t-il demain de nouveaux métiers pour ces publics ?
Vous avez beaucoup parlé d'argent, de technologies du numérique, d'innovation et de mutation. Mais où situez-vous l'homme dans tout cela ? N'y a-t-il pas une source de discrimination ? Cela ne risque-t-il pas de générer des différences entre ceux qui ont une capacité d'adaptation et ceux qui ne l'ont pas ? Enfin, l'économie est-elle au service de l'homme ou l'homme est-il au service de l'économie ?
Vous avez beaucoup parlé des relations du numérique avec le droit du travail. J'aimerais savoir ce que vous pensez du rapport de Bruno Mettling, qui traite de la réconciliation du numérique et du droit du travail.
Sur la formation, permettez-moi une petite anecdote.
On nous avait dit que nous avions droit à la formation puisque nous avions payé pour cela. L'anglais étant le nerf de la guerre dans nos métiers, tout le monde doit pouvoir le parler couramment. J'ai donc proposé cette formation à mes salariés. Je trouve une entreprise qui s'appelle Gymglish et qui fait des cours d'anglais en ligne. J'en parle à mes collaborateurs, tous motivés, et nous allons déposer le projet de formation. On me dit alors que la formation en ligne n'est pas prise en charge ! Résultat des courses, c'est l'entreprise qui a payé puisque tous les salariés étaient motivés par Gymglish et que j'avais déjà mis le pied dans la porte… La formation en ligne doit rentrer dans les problématiques de formation continue. Cela apporte beaucoup de flexibilité dans le cadre du travail puisqu'on n'est pas obligé de se déplacer. On peut se former quand on le veut, à n'importe quel moment de la journée.
En ce qui concerne l'harmonisation en matière de transposition des directives européennes, j'ai encore une petite anecdote à propos de la transposition de la directive « monnaie électronique », dite « DME2 ». La DME2 est un projet européen d'ouverture à la concurrence des marchés bancaires qui date de 2009 et qui aurait dû être mis en application dans tous les pays européens en avril 2011.
En février 2011, comme une bonne élève, j'ai déposé mon dossier auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en me disant que nous serions la première entreprise à avoir un établissement de monnaie électronique au titre de la DME2. Au bout de huit mois, l'ACPR nous a informés que la transposition n'avait pas eu lieu et qu'on ne pouvait rien faire. Pour une startup, huit mois, c'est une vie. Nous avons donc passé la frontière et nous sommes allés dans le premier pays qui parlait français et qui avait transposé la DME2 – le Luxembourg, j'en suis désolée… Nous avons donc déposé notre dossier au Luxembourg auprès de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Nous avons demandé l'accord de l'ACPR et nous avons eu notre établissement de monnaie électronique.
Aujourd'hui, soit quatre ans plus tard, la transposition, en France, n'est toujours pas mise en place. Si nous n'avions pas passé la frontière, notre boîte serait morte. Nous avons aujourd'hui une filiale au Luxembourg, avec sept collaborateurs. Nous nous faisons constamment railler parce qu'il est facile de dire dans la presse que Leetchi est partie au Luxembourg. Ce n'est pas vrai puisque la maison mère est en France. Les revenus et les bénéfices remontent sur la France, et donc, sont imposés selon les réglementations françaises. Malheureusement, notre image en souffre. Pourtant, je peux vous garantir que cela n'a pas été de gaieté de coeur que j'ai pris un train et mon associé sous le bras, qui est parti vivre là-bas avec femme et enfants.
Ce sont des points très importants, mais comme c'est un sujet bancaire et monétaire, cela n'intéressait pas particulièrement le grand public. Nous parlions tout à l'heure de régulation. J'ai des camarades d'entreprises françaises qui ont écrit un plaidoyer en suppliant la France de transposer la DSP2 – la directive sur les services de paiement – et la DME2 parce qu'ils voulaient pouvoir être régulés. Car pour le consommateur final, la régulation est très importante. Et dans nos métiers, nous sommes très heureux de respecter la réglementation.
J'en viens au JEI. Par pitié, n'y touchez pas, car c'est un dispositif extraordinaire. Je me fais trois fois dans l'année des cheveux blancs à l'idée qu'il puisse disparaître ; cela pourrait détruire des entreprises. Il faut, au contraire, l'ouvrir à l'entreprise innovante en matière d'innovation de services, d'innovation au sens large.
Je vais vous raconter rapidement comment nous l'avons obtenu. D'abord, nous nous sommes auto-déclarés en tant que JEI. Puis nous avons déposé un rescrit. Nous avons passé deux ans et demi à nous battre pour que notre rescrit soit pris en considération. Finalement, nous avons eu un contrôle fiscal et c'est le contrôleur fiscal qui a écrit un courrier dans lequel il indiquait que notre entreprise devait avoir le statut de JEI. Un mois après, nous étions JEI. Comme quoi le contrôle fiscal a parfois du bon !
Quant au CIR, je ne comprends toujours pas comment cela marche. Si cela pouvait être un peu simplifié, cela nous aiderait.
Nous n'avons pas bénéficié du CICE, pour une raison simple : dans nos entreprises, qui sont plutôt parisiennes, avec des gens titulaires au minimum d'un bac plus trois, il n'y a pas de SMIC. Nos salaires étant un peu plus élevés, nous n'en avons que très peu bénéficié.
S'agissant du rachat US versus rachat français, nous avons eu des propositions de boîtes américaines. La raison pour laquelle l'alliance s'est faite avec le groupe Crédit Mutuel Arkea, c'est d'abord une collaboration de cinq ans. Pour moi, il n'y a qu'une seule manière pour les startups de collaborer avec les grands groupes : il faut que le grand groupe soit un prestataire, pas un client. Crédit Mutuel Arkea ne nous a jamais ennuyé, tout simplement parce que nous lui faisions gagner de l'argent. En revanche, nous n'avons jamais réussi à devenir le prestataire d'un grand groupe. Nous avons passé des heures et des mois à « pitcher » des grands groupes qui nous disaient vouloir monter des cagnottes sur tel ou tel service. Je ne nomme personne, mais tous ceux du CAC 40 y sont passés…
J'en reviens à la question du rachat français versus US. Nous avons été souvent approchés par des boîtes américaines, car le fait que notre métier soit réglementé sur toute l'Europe apporte beaucoup de valeur. Mais la meilleure alliance, celle qui était à mes yeux la plus pérenne pour l'entreprise, c'était le rachat et l'adossement à Crédit Mutuel Arkea. Je vous incite à encourager les grandes entreprises françaises à racheter des PME innovantes. Cela leur apporte beaucoup en termes de dynamisme, de connaissances, de métiers et d'innovation.
S'agissant de la taxation à 75 %, aujourd'hui, les Américains nous posent encore la question. Cette idée-là est encore véhiculée et, malheureusement, nous allons patauger dedans pendant plusieurs années. Idem sur le fait de ne pas envoyer de mail après dix-huit heures : tout le monde me pose régulièrement la question… Tous ces petits éléments font que notre rayonnement international est quelque peu compliqué. C'est la même chose avec UberPop. Qu'on en pense du bien ou du mal, tout Américain ou tout Européen pense qu'Uber est interdit en France, ce qui n'est pas le cas : la France est un des premiers pays à utiliser Uber.
Pour ce qui est de la peur, je partage votre avis, car la révolution numérique est impressionnante. Cela fait peur, mais la vague est là. Soit on la surfe, soit on va tous se faire avaler. Vous vous rendez compte qu'au quotidien, vous utilisez déjà beaucoup d'entreprises américaines, comme Facebook ou Google. La France est aussi un des premiers pays consommateurs de l'iPhone. Soit l'innovation sera faite par les États-Unis et par les autres pays, soit par nous, les Français. Donc, aidez-nous à y arriver !
Je souscris à 100 % à tout ce que vient de dire Céline sur la vision qu'ont les Américains des Français : la taxation à 75 %, les trente-cinq heures, les mails après dix-huit heures… On peut faire beaucoup mieux en termes de communication pour montrer qu'en France, des sociétés réussissent, que des gens sont prêts à beaucoup travailler et qu'ils ont envie que les sociétés se développent.
Vous m'avez demandé comment on pouvait lutter contre des groupes mondiaux et se différencier par rapport à Google ou à Spotify. Il faut être malin. On est focalisé sur un seul sujet, on est innovant. Je pense que les sociétés françaises peuvent continuer à être particulièrement innovantes. En l'occurrence, nous n'aurons peut-être pas un service complètement globalisé ni le même partout. Chaque pays a ses spécificités propres, notamment dans la musique. La musique n'est pas universelle, ce n'est pas la même partout. Dans tous les pays du monde, la majorité des écoutes concernent des artistes locaux. Le monde n'est pas totalement unifié et il n'y a pas vocation à ce que tous les gens, dans tous les pays du monde, utilisent exactement les mêmes services.
Concernant l'adossement aux grands groupes, nous avons eu la chance de nous adosser à Orange, qui a été notre plus gros client pendant des années et qui a intégré dans ses offres celles de Deezer. Nous sommes l'exemple même d'une startup ayant réussi à s'associer à un grand groupe français et à trouver un modèle économique qui fonctionne. À l'époque, nous venions à peine de lancer nos abonnements ; nous avons créé une troisième voie, à savoir le fait que des opérateurs télécoms peuvent incorporer des offres de musique dans leurs offres tarifaires. C'est un modèle que nous avons développé dans une quarantaine de pays. Aujourd'hui, nous travaillons avec quarante opérateurs télécoms dans le monde, mais le premier à montrer l'exemple a été Orange.
Le fait que 50 % seulement des startups françaises utilisent le CIR et le JEI n'est pas simple à comprendre. C'est probablement parce que les entrepreneurs n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à l'administratif. Tout ce qui peut simplifier sera bienvenu.
Pour ce qui est de la formation, j'ai une crainte pour les années à venir. Avec les nouvelles technologies, les gens vont devoir se former de plus en plus régulièrement. Les jeunes qui sortent d'une école d'ingénieurs étant formés aux nouvelles technologies, il faut impérativement que ceux qui sont déjà dans l'entreprise depuis cinq, dix ou quinze ans se forment en permanence. Si ce n'est pas le cas, il peut y avoir, dans le privé, des gens qui se trouvent au maximum de leurs capacités à trente ou quarante ans et sont ensuite dépassés. Dans le public, les carrières fonctionnent toujours à l'ancienneté. Le risque est de se retrouver en France avec un fossé entre le système privé qui, historiquement, employait des gens dont le salaire augmentait en fonction de l'ancienneté et un service public qui fonctionne toujours de cette façon. C'est ce qui me fait peur à très long terme, bien plus que le fait de se demander si les gens auront toujours le statut de salarié. Je pense que le modèle d'un salariat assez classique perdurera, contrat unique ou pas.
En ce qui concerne le financement de nos PME, j'aurais tendance à poser la question aux grandes fortunes de France. Pourquoi n'investissent-elles pas plus dans les startups françaises ? Aux États-Unis, c'est assez courant. On peut critiquer ce système, mais il permet aux entreprises de se créer et de se développer. Je ne suis pas certain que les grandes fortunes, en France, soient très actives dans le financement des startups. Est-ce lié à la fiscalité ? Il faudrait leur poser la question, mais je pense qu'elles pourraient contribuer davantage financièrement et faire bénéficier les entreprises de leur rayonnement.
J'ai tenté de faire cela avec Anne Lauvergeon pour donner une dimension internationale à l'entreprise. Il faut essayer de rayonner et mettre en place des synergies d'expériences. Le relationnel d'Anne Lauvergeon, c'était plus pour partager une expérience de grand groupe versus une startup, mais ce sont deux mondes qui sont aujourd'hui plus ou moins opposés. Il y a peut-être des voies pour essayer de les rapprocher, car nous avons besoin de nous comprendre.
J'en viens à l'enseignement. C'est fondamental. Il faudrait apprendre très jeune ce qu'est l'entreprise. Je m'occupe d'une association d'entrepreneurs à Toulouse et nous allons voir des gamins de cm2 pour leur expliquer ce qu'est une entreprise. Il faut, dès l'école, expliquer que l'entreprise, ce n'est ni le capital ni des esclavagistes qui font des bénéfices, mais quelque chose de passionnant, qui crée de la valeur. Dès lors qu'une entreprise devient successful ou qu'elle paie ses impôts, elle pourrait recevoir, comme à Singapour, une lettre de remerciement du Gouvernement.
Il y a aujourd'hui un manichéisme préjudiciable au regard porté sur les entrepreneurs. En cas de conflit avec un salarié, il n'y a pas forcément, d'un côté, le méchant entrepreneur, de l'autre, le gentil salarié. Personnellement, je me lève le matin, pas spécialement pour gagner de l'argent, mais par passion pour ce que je fais. Si cela se passe bien, à la sortie, je réinvestirai tout ce que j'ai. J'ai créé ma première boîte, je n'ai bénéficié d'aucune défiscalisation, j'ai payé plein pot mes impôts, et j'ai réinvesti dans une boîte qui tourne en local. Je ne suis pas le seul, beaucoup d'entrepreneurs sont comme moi, passionnés et faisant tout pour que l'entreprise fonctionne. On n'est tout de même pas mal dans notre pays. Aujourd'hui, je me bats pour que Sigfox reste en France. Nous sommes plusieurs à être comme cela, mais nous ne mettrons pas pour autant notre entreprise en péril pour rester en France.
Essayons de porter ce message très tôt, dès l'école, auprès des enseignants. Il faut montrer que l'entreprise a une vertu et sortir de l'état d'esprit qui fait que l'entreprise est mal perçue, ainsi que tout ce qui est bénéfices ou richesse. En France, nous avons un problème avec l'argent. Aux États-Unis, si vous roulez en Porsche, les gens disent que c'est « cool » et que vous avez réussi. En France, on vous raye votre portière… C'est dommage. Ce n'est pas ce qui aide l'entreprise à créer la valeur de demain.
Aujourd'hui, tout le monde peut entreprendre. Je pense à ce que fait Xavier Niel à l'École 42 et à ce que va être la Grande école du numérique. Le numérique va occuper beaucoup de personnes. On peut naître dans un milieu social défavorisé : moi-même, je suis fils d'ouvrier et j'ai commencé à travailler à quatorze ans. À l'époque, la Grande école du numérique n'existait pas. J'ai réussi à rejoindre un cycle long et je suis passé par une école d'ingénieurs. Aujourd'hui, l'informatique le permet : sans être capable de faire maths sup-maths spé, on peut devenir un super codeur, faire une très belle carrière et développer une entreprise. Le numérique n'est pas que compliqué, c'est quelque chose qu'on peut apprendre à l'école. C'est ce que fait l'École 42. Elle accueille des gens qui viennent de n'importe où et qui tentent leur chance. Tout le monde ne réussira pas, mais la création de cette école est une excellente initiative.
Certes, il y aura des pertes d'emplois dans la fabrication industrielle. Cela étant, on va peut-être pouvoir relocaliser de la production en France. Mais quoi qu'il en soit, nos enfants pourront demain travailler dans le secteur du numérique. Cela va tellement vite aujourd'hui. Les produits vont plus vite que la compréhension des êtres humains. Nous avons entre nos mains des produits tellement sophistiqués que nous n'arrivons même plus à les maîtriser, quel que soit le niveau social ou d'éducation que l'on peut avoir. La loi de Moore s'applique à l'informatique, aux sciences du vivant etc. Le monde va très vite et il faut essayer de s'adapter.
Il existe des systèmes comme les MOOC, c'est-à-dire des cours en ligne, qui permettent à tout un chacun, par envie ou par curiosité, de maintenir un état de veille sur ce qui existe, puis de creuser un peu. C'est une belle opportunité. L'Éducation nationale devrait peut-être sortir des cadres classiques. Aujourd'hui, les gamins ne savent plus écouter un professeur de huit heures à midi… Ils regardent la télévision avec un iPhone ou avec un PC, ils vont sur Facebook, ils jouent sur une tablette. L'écoute est de plus en plus réduite. Peut-être faudrait-il changer un mode d'apprentissage qui existe depuis la nuit des temps ? Pourquoi ne pas envisager des cours entièrement sur internet qui permettraient de rester chez soi ? Personnellement, j'étais incapable d'écouter un prof. C'est de plus en plus vrai aujourd'hui, car on vit une évolution de la culture. On a besoin de savoir où est l'information. Avant, on fonctionnait par apprentissages ; aujourd'hui, on fonctionne par pointeurs. Il faudrait que l'Éducation nationale tienne compte de cette évolution.
Vous l'aurez compris, nous sommes des gens passionnés ! Si nous sommes là devant vous, c'est aussi parce que nous savons que nous devons rester humbles, dans la mesure où nous n'avons pas les réponses à tous les problèmes de notre société. Tout à l'heure, il était question de la place de l'homme. C'est une de mes inquiétudes lorsque je vois, autour de moi, des personnes qui, à trente ans, n'ont toujours pas un job stable. C'est triste, car ce qui me fait lever le matin, c'est la pensée que le travail est le plus bel instrument de socialisation, de construction de notre société.
Il y a des moments où vous devez être courageux, mesdames et messieurs les députés. Quand j'entends des politiques se réjouir de la baisse du prix du pétrole, je me dis que c'est totalement stupide ! Nous savons globalement que le prix du pétrole finira par remonter, mais comme on considère que cela fait plaisir à nombre de nos concitoyens de voir le prix de l'essence baisser, on ne profite pas de l'occasion pour augmenter les taxes et préparer demain.
Pour ma part, je transporte des produits depuis la Chine jusqu'en France. Cela fait cinq ans que j'oeuvre pour que certains de ces produits soient fabriqués ici, mais je n'y arrive pas. Je commençais à y travailler lorsque le prix du pétrole et le prix du transport se sont cassé la figure. D'abord, l'économie de mon système était imprévisible. Sur ce point, vous pouvez peut-être nous aider en la matière. Si vous nous dites que dans dix ans, le pétrole coûtera trois fois plus cher, nous aurons le temps de nous y préparer. Ensuite, je ne peux plus, économiquement, faire en sorte que ces produits soient fabriqués ici.
Frédéric a parlé tout à l'heure de la question des dividendes pour encourager les grosses entreprises à acheter des entreprises françaises. Si vous leur montrez que c'est plus efficace fiscalement, leur service de Mergers and Acquisitions (M & A) sera un peu plus actif qu'aujourd'hui, tant il est vrai que nos grands groupes ne sont pas très efficaces.
Quant à l'audace de l'administration, c'est une question que je me suis posée, car dans notre plan industriel, nous nous sommes demandé comment nous pourrions faire. Si je n'ai pas la solution, j'ai une petite proposition à vous faire. Créez le grand prix de l'audace au sein de l'administration, y compris en mettant en avant des échecs. Dans ce fichu pays, on a la culture de la peur de l'échec. Or la peur de l'échec, c'est l'encouragement à l'immobilisme. Organisez une super-fête, une belle campagne de communication pour annoncer que vous remettrez dix prix à dix personnes ou à dix équipes qui ont fait des choses un peu innovantes dans l'administration, y compris celles qui se sont plantées.
Pour ce qui est du financement, changer de braquet dans ce domaine est très important. Cela a commencé à se faire, c'est-à-dire que, globalement, la capacité de financement d'une entreprise qui démarre ou d'une entreprise qui croît s'est nettement améliorée ces quinze dernières années. Mais nous sommes encore très loin de ce que font nos amis américains.
Nous avons été très heureux de dire que les États-Unis perdaient beaucoup plus d'emplois que nous face à la crise financière. À mon avis, c'était une erreur de jugement. Les États-Unis ont compris que cette crise allait aussi signifier une transformation profonde de la société. Ils ont accepté qu'il y ait des secteurs qui crèvent en décidant d'investir à fond dans ce qui est l'avenir, par exemple, la transformation énergétique. Vous devez avoir une très grande agilité. Politiquement, nous devons être capables de changer très rapidement nos modes de financement, nos modes d'encouragement pour financer des choses nouvelles.
J'en arrive à la formation et au recrutement.
Quand je pense à la société française, ce qui m'inquiète le plus, c'est de savoir comment on trouvera un boulot pour tout le monde. À mon avis, cela passe en grande partie par la formation.
Je suis stupéfait de voir, dans mon entreprise, le nombre de fausses formations que nous recevons pour utiliser notre crédit formation. Une des solutions pourrait être que le financement soit décidé par l'intéressé lui-même, qui, du coup, ne sera pas tenté de prendre quelques jours de congé pour suivre une formation bidon, mais sera réellement motivé.
Une transformation très positive dans notre pays, actuellement, c'est qu'on a compris que la formation en alternance changeait tout. Le nombre de formations en alternance se multiplie de façon exponentielle. Cela change tout pour un jeune au niveau de sa motivation. Cela peut aussi tout changer, s'agissant de la motivation d'un adulte qui a perdu son emploi et qui essaie de se former. Je n'ai pas la réponse à la question de savoir comment on peut encourager les entreprises à embaucher une personne qui travaillera une semaine sur deux, pour pouvoir aller se former la deuxième semaine, mais j'estime qu'il faut vraiment creuser cette question.
Informations relatives à la commission
La commission a nommé Mme Annick Le Loch rapporteure sur la proposition de loi pour l'économie bleue (n° 2964).
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 9 h 30
Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, M. Dino Cinieri, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy
Excusés. - M. Damien Abad, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Jean-Michel Couve, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, M. Philippe Armand Martin, M. Kléber Mesquida, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin
Assistaient également à la réunion. - Mme Virginie Duby-Muller, M. Jean Launay, M. Philippe Vigier