Intervention de éric Carreel

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

éric Carreel, président et cofondateur de Withings :

Je dois être le plus vieil entrepreneur autour de cette table… Je fais ce métier depuis vingt et un ans et je suis actuellement cofondateur et président de Withings, de Sculpteo et d'Invoxia, qui sont trois entreprises particulières parce qu'elles fabriquent des produits et qu'elles transforment de la matière, bien qu'elles soient dans le domaine numérique.

J'ai participé, avec certains de mes voisins, à la création de France Digitale et je suis aussi chef de file du plan industriel « Objets connectés », qui a été rebaptisé récemment, et dans le cadre duquel nous avons inauguré, en juin, la Cité de l'objet connecté.

J'en viens aux aspects positifs et négatifs et à ce que l'on peut faire demain pour que cela aille mieux.

D'abord, je trouve que cela va de mieux en mieux. Il est infiniment plus facile d'être entrepreneur aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Les démarches administratives sont plus faciles et les jeunes ingénieurs sont heureux de venir travailler dans des startups. Il y a vingt ans, ils préféraient entrer dans des grands groupes. Le CIR a été simplifié au fil du temps. J'ai entendu ce que disait Céline, mais c'est, selon moi, un système qui fonctionne bien, de même que le JEI.

Le régime d'imposition sur les plus-values, après quelques couacs, s'est heureusement stabilisé. La BPI fait un travail extraordinaire : nous n'avions pas vu cela dans ce pays depuis plus de vingt ans. Enfin, nos compatriotes sont très favorables à ce que nous faisons et nous regardent d'un oeil positif, ce qui n'était pas le cas non plus il y a vingt ans.

Pour ce qui est des points négatifs, il y a globalement, en France, un manque de conscience de ce que va engendrer la transformation numérique. Et nous n'avons vu que le début du commencement. La transformation numérique va bouleverser tous les métiers de ce pays, jusqu'au métier de la personne qui travaille dans une usine. Ce manque de conscience est particulièrement flagrant dans les entreprises classiques et dans l'administration. En matière de changement, on peut regarder l'un ou l'autre côté de la médaille. Il y a l'opportunité d'inventer quelque chose de nouveau et d'améliorer notre compétitivité par rapport aux autres pays, mais il y a aussi un risque : si nous ne bougeons pas, nous serons encore plus en difficulté demain.

Cela étant dit, que puis-je vous proposer ?

La BPI, qui a un réseau très implanté dans notre pays, pourrait aller encore plus loin pour faire prendre conscience à nos entreprises qu'il faut se mettre dès maintenant au numérique. Bon nombre d'entre elles n'ont pas d'ingénieurs du numérique ; il faut qu'elles puissent en embaucher et qu'elles comprennent que cela va changer leurs métiers.

En ce qui concerne l'administration, je n'ai pas la réponse. C'est à vous de la donner, mais il faut que l'administration soit valorisée lorsqu'elle prend des initiatives, et pas lorsqu'elle applique le principe de précaution, qui me semble être une aberration fondamentale dans ce pays.

Je travaille avec Withings dans le domaine de la santé. On sait que, demain, le domaine de la prévention va être bouleversé. Ce qui est compliqué dans notre pays, car au vu de ce qui existe déjà et parce qu'en ne prenant pas de risque, on pense que tout va bien et que personne ne pourra nous reprocher quoi que ce soit, rien ne bouge. Il est important que vous trouviez les moyens de valoriser le risque et l'initiative dans l'administration.

Demain, le monde sera plus dynamique, donc moins statique. Cela signifie que les entreprises vivront moins longtemps et que nous changerons encore plus souvent de carrière au cours de notre vie. Il est donc important d'organiser ces nouveaux modes de fonctionnement, ce qui veut dire que les flux financiers doivent être beaucoup plus fluides qu'ils ne le sont aujourd'hui. Est-il normal que notre pays place principalement son épargne dans des assurances-vie qui servent à financer la dette de l'État ? C'est absolument scandaleux ! C'est à vous d'essayer de modifier cela par la loi en incitant nos concitoyens à mettre de l'argent dans ce qui bouge dans notre pays.

Je n'ai pas la recette, mais il est évident que prendre des risques financiers aujourd'hui, ce n'est pas un risque pour la société. Au pire, les entreprises font faillite, mais avant cela, des gens auront été payés, auront appris des choses, et donc, préparé demain. Autrement dit, que l'entreprise réussisse ou non, le pays aura globalement avancé. Mettons le paquet sur l'investissement : c'est une affaire globalement sans risque.

Un autre sujet me préoccupe. Dans les entreprises du numérique, nous avons des solutions pour les ingénieurs et pour les gens bien formés. Mais je suis personnellement très inquiet pour les gens qui ont très peu de formation. Que peut-on faire pour des jeunes qui ne travaillent pas depuis cinq ans parce qu'ils n'ont pas une formation utilisable dans ce nouvel environnement ?

Certes, il y a des entreprises purement numériques, comme celles de Frédéric et Céline. Mais il faut aussi considérer que le numérique va transformer nos usines et le métier des travailleurs indépendants. Ce n'est pas parce qu'on a fermé des centaines d'usines depuis quinze ans qu'on ne va pas en rouvrir demain. Si l'on regarde ce que font des entreprises comme Apple, on constate que la transformation de la matière subit un bouleversement total grâce au numérique. Et cette transformation nécessite de la main-d'oeuvre. Comment inciter, demain, l'ensemble de la société à être plus efficace dans le domaine des usines ?

Enfin, n'essayez pas de faire des lois françaises. Nous exportons 85 ou 90 % de ce que nous faisons. À tout le moins, travaillez avec vos collègues européens, car les règles doivent a minima être européennes. Il est ridicule de se battre entre députés de gauche et de droite à propos de mesures franco-françaises qui, de toute façon, ne pourront pas être respectées sur le long terme, parce que nous travaillons au niveau européen. Cela vaut pour les données et la loi sur le numérique que vous êtes en train de préparer.

Je terminerai par le contrat de travail. Il est plus simple aujourd'hui qu'il y a vingt ans de recruter et de licencier, mais cela reste un « machin » de cinquante centimètres d'épaisseur et personne ne le comprend. On se croit protégé, mais il n'est qu'une source de complexité et de peurs inutiles, car en réalité, il ne protège personne. Si vous pouviez donner un énorme coup de balai dans ce « truc », ce serait génial !

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