Je suis, avec Christophe Fourtet, cofondateur de Sigfox, qui est un opérateur télécom de l'internet des objets. Notre enjeu est de déployer un réseau mondial. Cela peut paraître a priori saugrenu parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas d'opérateur mondial.
En 2011, à Toulouse, nous étions deux. Nous sommes aujourd'hui un peu plus de 150 et nous sommes présents sur la côte Est et la côte Ouest des États-Unis, à Dubaï, à Singapour et dans différents pays d'Europe. Nous sommes en passe de déployer un réseau qui permettra de connecter dans le monde virtuel tout ce qui existe dans le monde physique.
Nous sommes présents dans onze pays et nous réalisons aujourd'hui 80 % de notre chiffre à l'international. L'entreprise existe depuis quatre ans et nous avons levé 127 millions. Si nous étions américains, nous aurions sans doute levé beaucoup plus de fonds avec moins de dilution. En lançant une boîte française, à deux, à Toulouse, avec l'objectif de devenir un opérateur mondial, ce qui paraissait totalement invraisemblable, vous levez 2 millions à l'arrache, puis 10, puis 15, etc. Aux États-Unis, nous aurions peut-être levé d'un seul coup 100 millions et nous aurions gagné du temps.
Les télécoms sont un système régulé. Nous sommes en France, mais il existe des directives européennes concernant les télécoms. Il serait urgent de trouver une solution au niveau de l'internet des objets, car c'est un phénomène qui va devenir gigantesque. Demain, 10 ou 100 milliards d'objets, voire plus, seront connectés. C'est un enjeu colossal. Cela veut dire qu'il y a aussi un enjeu de régulation des télécoms dans ce domaine. On n'est pas dans le GSM – Global System for Mobile communications. Il y aurait donc intérêt à trouver un accord au niveau européen, puis à l'étendre au niveau mondial.
Je rappelle que le GSM, que l'on utilise tous les jours, était en compétition avec d'autres technologies, comme le CDMA – Code Division Multiple Access – aux États-Unis. Nous avons, pour une fois, en Europe, poussé nos standards. Je pense qu'il y a matière à faire la même chose aujourd'hui dans le secteur de l'internet des objets.
J'en viens aux mauvais points et au « small business act à la française ». En tant que startup française, nous nous sommes mis tous les opérateurs français à dos, qui se sont ingéniés à trouver une autre technologie aux États-Unis pour la déployer en France. Ils n'ont pas été capables de venir vers nous. Par contre, nous travaillons avec des opérateurs étrangers comme Telefonica, Tata Docomo ou AT & T…
Bon nombre de startups rencontrent le même problème. Quand elles arrivent avec une innovation, on a du mal à leur ouvrir la porte. Il y a un phénomène de rejet du côté des grandes entreprises, au lieu d'aider ces boîtes à se développer, à créer de la valeur, voire à les racheter, comme savent le faire les Américains. Cela arrive très peu en France. Le SBF 120 – société des bourses françaises – a dû faire une trentaine d'acquisitions en cinq ou six ans, tandis que Google à lui seul en a fait trois fois plus, ce qui montre que nous avons un problème en matière de développement des startups.
Je partage ce qu'a dit Éric sur la révolution numérique. Les taxis sont descendus dans la rue et ont fait grève à cause d'Uber. Aujourd'hui, Uber s'applique aux taxis, mais demain, il s'appliquera à tout, le gaz, l'eau, l'essence etc. Uber, c'est quelqu'un qui va utiliser un moyen numérique. Vous avez chez vous, par exemple, deux bouteilles de gaz propane et vous passez de la vide à la pleine. On va informer quelqu'un qu'une des bouteilles est vide. Il sera facile, demain, de prendre des livreurs, à la mode Uber, qui vont acheter et équiper leur camionnette, et on va leur donner, chaque jour, une feuille de route pour aller déposer les bouteilles de gaz chez des particuliers. Ils gagneront 10 ou 15 euros par bouteille de gaz livrée : ce peut être un petit business sympa s'ils en livrent une vingtaine ou une trentaine par jour. C'est un exemple parmi d'autres de ce que l'on appelle la « désintermédiation ». L'uberisation ne se limitera pas aux taxis et aux hôtels avec Airbnb ; le phénomène va se généraliser. On peut le freiner, mais dans ce cas, il viendra de l'extérieur, ou bien anticiper et le prendre de vitesse.
Nous avons des possibilités en la matière parce qu'il y a, en France, de très belles boîtes qui prennent ce marché à bras-le-corps. C'est une très belle opportunité. Essayons de voir comment on peut aider ces boîtes à grossir, car une fois qu'elles feront ce métier en France ou en Europe, elles le feront au niveau mondial. Elles iront développer leur système aux États-Unis, en Asie et partout ailleurs. C'est une tendance forte qu'il faut, selon moi, accompagner et non freiner.
On a tendance, à la BPI ou à OSEO, à parler essentiellement subventions. Les startups ont accès à des subventions, mais je pense que c'est un miroir aux alouettes. On peut avoir des subventions pour développer des projets qui, parfois n'aboutiront à rien parce qu'ils ne répondent pas à un besoin. Des millions d'euros de subventions sont ainsi gaspillés pour développer des projets qui ne verront jamais le jour.
Il faudrait pousser les grands comptes, les PME et les ETI à travailler avec des startups et utiliser ces millions d'euros de subventions comme une garantie ou une aide pour les grands comptes au cas où cela se passerait mal, pour compenser une perte potentielle. Cela aurait un effet vertueux, car cela permettrait aux entreprises d'avoir des références clients et aux grands comptes de réduire le risque. Il y a toujours la peur de travailler avec une boîte que l'on ne connaît pas, particulièrement s'il s'agit d'une boîte française. On vous reprochera moins de travailler avec une startup américaine.