Intervention de Simon Baldeyrou

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Simon Baldeyrou, directeur général de Deezer France :

Deezer est essentiellement un service d'abonnement à de la musique. Avec Deezer, vous avez accès à 35 millions de titres en illimité. Vous n'achetez plus de CD. L'abonnement musical, qui est l'un des sujets de la loi Pellerin – actuellement en cours d'examen – est appelé à constituer l'essentiel des revenus de l'industrie musicale pour les années à venir. Les gens vont s'abonner à un service pour 10 euros par mois et louer l'accès à la musique au lieu d'être propriétaires de leurs fichiers ou des CD qu'ils achètent.

Notre société a beaucoup grossi : elle compte désormais plus de 300 salariés, dont les deux tiers en France, avec un chiffre d'affaires de 142 millions d'euros en 2014 – nous ne serons pas loin de 200 millions en 2015.

À ce jour, nous avons trois gros concurrents : GoogleYouTube, Apple Music et Spotify, une société suédoise qui a atteint 1 milliard de chiffre d'affaires.

Deezer a été créée en 2007 et est passée par la plupart des phases de construction d'une startup. La première étape, quand les fondateurs se réunissent dans une cuisine pour créer un projet, consiste à attirer les premières personnes pour monter le projet. Il n'y a alors pas d'argent pour les payer. Par conséquent, tout ce qui peut inciter les fondateurs à faire entrer des salariés au capital est la chose la plus importante. La fiscalité à la sortie est un point important, mais l'absence de coût à l'entrée quand on attribue des stock-options ou des actions gratuites compte encore plus. Avec la loi Macron, il y a eu des avancées en ce qui concerne l'attribution d'actions gratuites. Mais, même avec cette loi, il y a un coût au moment où les actions sont acquises. Il faut aller plus loin, car il faut que les chefs d'entreprise puissent, de la façon la moins coûteuse possible, intéresser les salariés au capital, le succès des entreprises venant essentiellement des salariés, qu'elles n'ont pas, au début, les moyens de payer.

La deuxième étape consiste à faire venir les premières personnes qui investissent dans la société. Nous sommes passés par des phases de business angels. Nous avons eu la chance de rencontrer Xavier Niel, qui a investi 200 000 euros pour aider les fondateurs à créer la société. Toutes les incitations fiscales qui peuvent encourager les business angels à investir dans des PME sont primordiales. Les réductions d'ISF ou d'impôt sur le revenu, qui étaient de 25 % à l'époque, mais qui ont baissé depuis, sont des éléments extrêmement importants pour encourager à investir dans les PME en croissance.

L'étape suivante a été de faire venir des fonds d'investissement. Entre 2008 et 2009, des fonds d'investissement français ont investi dans la société et injecté 14 millions en plusieurs fois jusqu'à ce que la société trouve un modèle économique qui fonctionne. En 2009, il n'y avait pas encore d'abonnements : la musique était gratuite et financée par de la publicité. En 2012, nous avons voulu aller à l'international et nous avons dû trouver des fonds étrangers. C'est un fonds américain qui, en 2012, a injecté 100 millions d'euros dans la société.

La France a un marché domestique qui se prête aux premières étapes. Le financement des startups françaises fonctionne globalement bien, même si le système peut être optimisé. Nous avons aussi bénéficié du crédit d'impôt recherche et du statut de jeune entreprise innovante. La BPI fait en outre un très bon travail. Malheureusement, l'étape suivante, avec la recherche de financements plus conséquents, est plus compliquée.

Aujourd'hui, nous sommes dans une logique d'internationalisation. Depuis 2012, nous nous sommes implantés dans 180 pays et le service est disponible partout. Cela a été un premier enfer pour négocier, notamment, les droits d'auteur avec les sociétés de type SACEM dans tous les pays d'Europe et du monde. Tout ce qui peut contribuer à simplifier et à harmoniser au niveau européen sera bienvenu. Nous avons une centaine de salariés dans une dizaine de bureaux à l'étranger, ce qui implique à chaque fois une législation différente. Ce serait plus pratique pour nous si la législation était à peu près la même partout, au moins en Europe.

Nous embauchons de plus en plus de gens à Londres, compte tenu de la flexibilité du droit du travail. Quand il faut aller extrêmement vite, il est plus facile de recruter quelqu'un qui a un préavis court. De ce fait, il est aussi plus facile de grossir à Londres. C'est pourquoi notre CEO (Chief executive officier) y est basé. Nous sommes en train de faire grossir en parallèle des équipes à Londres et à Paris, même si nous avons encore les deux tiers de nos effectifs à Paris, l'idée étant que la grande majorité de nos effectifs y restent.

En ce qui concerne les talents internationaux, il y a deux types de profils. Pour ce qui est des profils techniques, les meilleurs développeurs du monde sont à Paris. Leur coût est, de surcroît, bien inférieur à celui des spécialistes que l'on peut trouver aux États-Unis. De ce point de vue, la France a d'excellentes écoles d'ingénieurs. Nous aurons toujours notre pôle d'expertise technologique en France. En revanche, il est plus facile de trouver des profils marketing ou commerciaux à Londres. Aujourd'hui, ne serait-ce qu'à cause de la fiscalité française, l'enjeu peut être de choisir entre Paris et Londres. Il faut avoir en tête que l'on ne raisonne plus, dans nos sociétés, en termes franco-français. Notre destin est à l'international et nous nous posons forcément la question de savoir si, dans le futur, nous aurons envie de nous implanter à Paris ou ailleurs.

J'en arrive à un élément qui m'a toujours surpris, mais je n'ai peut-être pas compris la logique de cette mesure. Les sociétés comme Deezer se financent par définition en sachant que, pendant des années, elles vont perdre de l'argent. Deezer, aujourd'hui, c'est à peu près 100 millions d'euros de déficit reportable. Je n'ai jamais compris pourquoi, le jour où nous ferons 100 millions d'euros de bénéfice, nous ne pourrons pas imputer la totalité de nos déficits sur l'année où nous ferons des bénéfices. Il faudra m'expliquer un jour pourquoi le report des déficits est limité à 1 million d'euros plus 50 % du bénéfice de l'année. C'est pour moi un mystère absolu, qu'il me faudra pourtant expliquer aux investisseurs étrangers lorsqu'ils voudront investir dans la société…

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