Intervention de Céline Lazorthes

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Céline Lazorthes, présidente et fondatrice de Leetchi :

Sur la formation, permettez-moi une petite anecdote.

On nous avait dit que nous avions droit à la formation puisque nous avions payé pour cela. L'anglais étant le nerf de la guerre dans nos métiers, tout le monde doit pouvoir le parler couramment. J'ai donc proposé cette formation à mes salariés. Je trouve une entreprise qui s'appelle Gymglish et qui fait des cours d'anglais en ligne. J'en parle à mes collaborateurs, tous motivés, et nous allons déposer le projet de formation. On me dit alors que la formation en ligne n'est pas prise en charge ! Résultat des courses, c'est l'entreprise qui a payé puisque tous les salariés étaient motivés par Gymglish et que j'avais déjà mis le pied dans la porte… La formation en ligne doit rentrer dans les problématiques de formation continue. Cela apporte beaucoup de flexibilité dans le cadre du travail puisqu'on n'est pas obligé de se déplacer. On peut se former quand on le veut, à n'importe quel moment de la journée.

En ce qui concerne l'harmonisation en matière de transposition des directives européennes, j'ai encore une petite anecdote à propos de la transposition de la directive « monnaie électronique », dite « DME2 ». La DME2 est un projet européen d'ouverture à la concurrence des marchés bancaires qui date de 2009 et qui aurait dû être mis en application dans tous les pays européens en avril 2011.

En février 2011, comme une bonne élève, j'ai déposé mon dossier auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en me disant que nous serions la première entreprise à avoir un établissement de monnaie électronique au titre de la DME2. Au bout de huit mois, l'ACPR nous a informés que la transposition n'avait pas eu lieu et qu'on ne pouvait rien faire. Pour une startup, huit mois, c'est une vie. Nous avons donc passé la frontière et nous sommes allés dans le premier pays qui parlait français et qui avait transposé la DME2 – le Luxembourg, j'en suis désolée… Nous avons donc déposé notre dossier au Luxembourg auprès de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Nous avons demandé l'accord de l'ACPR et nous avons eu notre établissement de monnaie électronique.

Aujourd'hui, soit quatre ans plus tard, la transposition, en France, n'est toujours pas mise en place. Si nous n'avions pas passé la frontière, notre boîte serait morte. Nous avons aujourd'hui une filiale au Luxembourg, avec sept collaborateurs. Nous nous faisons constamment railler parce qu'il est facile de dire dans la presse que Leetchi est partie au Luxembourg. Ce n'est pas vrai puisque la maison mère est en France. Les revenus et les bénéfices remontent sur la France, et donc, sont imposés selon les réglementations françaises. Malheureusement, notre image en souffre. Pourtant, je peux vous garantir que cela n'a pas été de gaieté de coeur que j'ai pris un train et mon associé sous le bras, qui est parti vivre là-bas avec femme et enfants.

Ce sont des points très importants, mais comme c'est un sujet bancaire et monétaire, cela n'intéressait pas particulièrement le grand public. Nous parlions tout à l'heure de régulation. J'ai des camarades d'entreprises françaises qui ont écrit un plaidoyer en suppliant la France de transposer la DSP2 – la directive sur les services de paiement – et la DME2 parce qu'ils voulaient pouvoir être régulés. Car pour le consommateur final, la régulation est très importante. Et dans nos métiers, nous sommes très heureux de respecter la réglementation.

J'en viens au JEI. Par pitié, n'y touchez pas, car c'est un dispositif extraordinaire. Je me fais trois fois dans l'année des cheveux blancs à l'idée qu'il puisse disparaître ; cela pourrait détruire des entreprises. Il faut, au contraire, l'ouvrir à l'entreprise innovante en matière d'innovation de services, d'innovation au sens large.

Je vais vous raconter rapidement comment nous l'avons obtenu. D'abord, nous nous sommes auto-déclarés en tant que JEI. Puis nous avons déposé un rescrit. Nous avons passé deux ans et demi à nous battre pour que notre rescrit soit pris en considération. Finalement, nous avons eu un contrôle fiscal et c'est le contrôleur fiscal qui a écrit un courrier dans lequel il indiquait que notre entreprise devait avoir le statut de JEI. Un mois après, nous étions JEI. Comme quoi le contrôle fiscal a parfois du bon !

Quant au CIR, je ne comprends toujours pas comment cela marche. Si cela pouvait être un peu simplifié, cela nous aiderait.

Nous n'avons pas bénéficié du CICE, pour une raison simple : dans nos entreprises, qui sont plutôt parisiennes, avec des gens titulaires au minimum d'un bac plus trois, il n'y a pas de SMIC. Nos salaires étant un peu plus élevés, nous n'en avons que très peu bénéficié.

S'agissant du rachat US versus rachat français, nous avons eu des propositions de boîtes américaines. La raison pour laquelle l'alliance s'est faite avec le groupe Crédit Mutuel Arkea, c'est d'abord une collaboration de cinq ans. Pour moi, il n'y a qu'une seule manière pour les startups de collaborer avec les grands groupes : il faut que le grand groupe soit un prestataire, pas un client. Crédit Mutuel Arkea ne nous a jamais ennuyé, tout simplement parce que nous lui faisions gagner de l'argent. En revanche, nous n'avons jamais réussi à devenir le prestataire d'un grand groupe. Nous avons passé des heures et des mois à « pitcher » des grands groupes qui nous disaient vouloir monter des cagnottes sur tel ou tel service. Je ne nomme personne, mais tous ceux du CAC 40 y sont passés…

J'en reviens à la question du rachat français versus US. Nous avons été souvent approchés par des boîtes américaines, car le fait que notre métier soit réglementé sur toute l'Europe apporte beaucoup de valeur. Mais la meilleure alliance, celle qui était à mes yeux la plus pérenne pour l'entreprise, c'était le rachat et l'adossement à Crédit Mutuel Arkea. Je vous incite à encourager les grandes entreprises françaises à racheter des PME innovantes. Cela leur apporte beaucoup en termes de dynamisme, de connaissances, de métiers et d'innovation.

S'agissant de la taxation à 75 %, aujourd'hui, les Américains nous posent encore la question. Cette idée-là est encore véhiculée et, malheureusement, nous allons patauger dedans pendant plusieurs années. Idem sur le fait de ne pas envoyer de mail après dix-huit heures : tout le monde me pose régulièrement la question… Tous ces petits éléments font que notre rayonnement international est quelque peu compliqué. C'est la même chose avec UberPop. Qu'on en pense du bien ou du mal, tout Américain ou tout Européen pense qu'Uber est interdit en France, ce qui n'est pas le cas : la France est un des premiers pays à utiliser Uber.

Pour ce qui est de la peur, je partage votre avis, car la révolution numérique est impressionnante. Cela fait peur, mais la vague est là. Soit on la surfe, soit on va tous se faire avaler. Vous vous rendez compte qu'au quotidien, vous utilisez déjà beaucoup d'entreprises américaines, comme Facebook ou Google. La France est aussi un des premiers pays consommateurs de l'iPhone. Soit l'innovation sera faite par les États-Unis et par les autres pays, soit par nous, les Français. Donc, aidez-nous à y arriver !

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