En ce qui concerne le financement de nos PME, j'aurais tendance à poser la question aux grandes fortunes de France. Pourquoi n'investissent-elles pas plus dans les startups françaises ? Aux États-Unis, c'est assez courant. On peut critiquer ce système, mais il permet aux entreprises de se créer et de se développer. Je ne suis pas certain que les grandes fortunes, en France, soient très actives dans le financement des startups. Est-ce lié à la fiscalité ? Il faudrait leur poser la question, mais je pense qu'elles pourraient contribuer davantage financièrement et faire bénéficier les entreprises de leur rayonnement.
J'ai tenté de faire cela avec Anne Lauvergeon pour donner une dimension internationale à l'entreprise. Il faut essayer de rayonner et mettre en place des synergies d'expériences. Le relationnel d'Anne Lauvergeon, c'était plus pour partager une expérience de grand groupe versus une startup, mais ce sont deux mondes qui sont aujourd'hui plus ou moins opposés. Il y a peut-être des voies pour essayer de les rapprocher, car nous avons besoin de nous comprendre.
J'en viens à l'enseignement. C'est fondamental. Il faudrait apprendre très jeune ce qu'est l'entreprise. Je m'occupe d'une association d'entrepreneurs à Toulouse et nous allons voir des gamins de cm2 pour leur expliquer ce qu'est une entreprise. Il faut, dès l'école, expliquer que l'entreprise, ce n'est ni le capital ni des esclavagistes qui font des bénéfices, mais quelque chose de passionnant, qui crée de la valeur. Dès lors qu'une entreprise devient successful ou qu'elle paie ses impôts, elle pourrait recevoir, comme à Singapour, une lettre de remerciement du Gouvernement.
Il y a aujourd'hui un manichéisme préjudiciable au regard porté sur les entrepreneurs. En cas de conflit avec un salarié, il n'y a pas forcément, d'un côté, le méchant entrepreneur, de l'autre, le gentil salarié. Personnellement, je me lève le matin, pas spécialement pour gagner de l'argent, mais par passion pour ce que je fais. Si cela se passe bien, à la sortie, je réinvestirai tout ce que j'ai. J'ai créé ma première boîte, je n'ai bénéficié d'aucune défiscalisation, j'ai payé plein pot mes impôts, et j'ai réinvesti dans une boîte qui tourne en local. Je ne suis pas le seul, beaucoup d'entrepreneurs sont comme moi, passionnés et faisant tout pour que l'entreprise fonctionne. On n'est tout de même pas mal dans notre pays. Aujourd'hui, je me bats pour que Sigfox reste en France. Nous sommes plusieurs à être comme cela, mais nous ne mettrons pas pour autant notre entreprise en péril pour rester en France.
Essayons de porter ce message très tôt, dès l'école, auprès des enseignants. Il faut montrer que l'entreprise a une vertu et sortir de l'état d'esprit qui fait que l'entreprise est mal perçue, ainsi que tout ce qui est bénéfices ou richesse. En France, nous avons un problème avec l'argent. Aux États-Unis, si vous roulez en Porsche, les gens disent que c'est « cool » et que vous avez réussi. En France, on vous raye votre portière… C'est dommage. Ce n'est pas ce qui aide l'entreprise à créer la valeur de demain.
Aujourd'hui, tout le monde peut entreprendre. Je pense à ce que fait Xavier Niel à l'École 42 et à ce que va être la Grande école du numérique. Le numérique va occuper beaucoup de personnes. On peut naître dans un milieu social défavorisé : moi-même, je suis fils d'ouvrier et j'ai commencé à travailler à quatorze ans. À l'époque, la Grande école du numérique n'existait pas. J'ai réussi à rejoindre un cycle long et je suis passé par une école d'ingénieurs. Aujourd'hui, l'informatique le permet : sans être capable de faire maths sup-maths spé, on peut devenir un super codeur, faire une très belle carrière et développer une entreprise. Le numérique n'est pas que compliqué, c'est quelque chose qu'on peut apprendre à l'école. C'est ce que fait l'École 42. Elle accueille des gens qui viennent de n'importe où et qui tentent leur chance. Tout le monde ne réussira pas, mais la création de cette école est une excellente initiative.
Certes, il y aura des pertes d'emplois dans la fabrication industrielle. Cela étant, on va peut-être pouvoir relocaliser de la production en France. Mais quoi qu'il en soit, nos enfants pourront demain travailler dans le secteur du numérique. Cela va tellement vite aujourd'hui. Les produits vont plus vite que la compréhension des êtres humains. Nous avons entre nos mains des produits tellement sophistiqués que nous n'arrivons même plus à les maîtriser, quel que soit le niveau social ou d'éducation que l'on peut avoir. La loi de Moore s'applique à l'informatique, aux sciences du vivant etc. Le monde va très vite et il faut essayer de s'adapter.
Il existe des systèmes comme les MOOC, c'est-à-dire des cours en ligne, qui permettent à tout un chacun, par envie ou par curiosité, de maintenir un état de veille sur ce qui existe, puis de creuser un peu. C'est une belle opportunité. L'Éducation nationale devrait peut-être sortir des cadres classiques. Aujourd'hui, les gamins ne savent plus écouter un professeur de huit heures à midi… Ils regardent la télévision avec un iPhone ou avec un PC, ils vont sur Facebook, ils jouent sur une tablette. L'écoute est de plus en plus réduite. Peut-être faudrait-il changer un mode d'apprentissage qui existe depuis la nuit des temps ? Pourquoi ne pas envisager des cours entièrement sur internet qui permettraient de rester chez soi ? Personnellement, j'étais incapable d'écouter un prof. C'est de plus en plus vrai aujourd'hui, car on vit une évolution de la culture. On a besoin de savoir où est l'information. Avant, on fonctionnait par apprentissages ; aujourd'hui, on fonctionne par pointeurs. Il faudrait que l'Éducation nationale tienne compte de cette évolution.