Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de vous présenter l’article 15. Nous aurons ensuite l’occasion d’en débattre et d’examiner les amendements, une fois que j’aurai écouté avec la plus grande attention les députés inscrits.
L’article a trait au financement de l’aide juridictionnelle, dispositif dont nous voulons faire l’instrument d’une véritable politique nationale de solidarité. Plusieurs rapports rédigés entre 2001 et 2006 soit par des parlementaires soit par d’autres personnalités dépeignent un système « à bout de souffle » – la formule figure partout.
Tel qu’il a été conçu et tel qu’il a fonctionné ces dernières années, le système présente en effet une fragilité incontestable. L’audit que j’ai commandé en 2013 confirme cette fragilité structurelle.
Nous avons fait le choix du courage politique en réformant cette aide, afin d’éviter qu’elle ne se défasse.
Je rappelle que l’aide juridictionnelle facilite l’accès à la justice de personnes qui disposent de ressources très modestes, le plafond de ressources étant fixé à 941 euros. L’aide permet de rétribuer les avocats sinon à la hauteur qu’exigerait la qualité de leur prestation, du moins de manière forfaitaire, sur la base d’unités de valeur.
Nous avons décidé de réformer dans la concertation. Depuis trois ans, je mène une discussion avec les représentants de la profession d’avocat, afin de trouver les moyens de satisfaire deux objectifs principaux, auxquels s’ajoute un troisième objectif, que j’évoquerai plus rapidement.
Le premier est le relèvement du plafond de ressources. Le seuil de pauvreté était fixé à 962 euros, et le plafond de ressources à 941 euros. J’avais l’ambition de le relever jusqu’au SMIC.
Ce souhait ayant paru inaccessible, je m’étais satisfaite d’un relèvement à 1 000 euros, qui a une valeur symbolique. Durant le temps nécessaire pour y parvenir, le seuil de pauvreté est lui-même passé à 1 000 euros, évolution qui me semble un effet de notre politique de lutte contre l’exclusion et la pauvreté.
En relevant le plafond de ressources à ce montant, nous offrirons l’aide juridictionnelle à 100 000 justiciables supplémentaires.
Le deuxième objectif que j’ai poursuivi est la revalorisation de la rétribution des avocats. L’unité de valeur n’a pas été modifiée depuis 2007, ce qui nous a paru profondément injuste.
Je citerai pour mémoire un troisième objectif : l’élargissement du champ contentieux. L’aide juridictionnelle ne couvrant pas tout le champ de défense, il fallait en effet étendre le dispositif à certains domaines.
Afin de mieux rétribuer les avocats, nous avons décidé de relever l’unité de valeur de 22 à 24 euros, ce qui représente une augmentation de 8 %. Par ailleurs, nous proposons un complément contractualisé afin de tenir compte de certaines particularités et contraintes territoriales – je pense notamment à la distance que les avocats sont amenés à parcourir.
Par ailleurs, nous avons travaillé avec la profession, et suivi sa suggestion sur le barème. Nous avons introduit une certaine souplesse dans le système des unités de valeur, de manière à tenir compte du niveau de difficulté des prestations, en fonction de la nature du contentieux.
La contractualisation permettrait donc que l’unité de valeur socle, qui s’applique sur l’ensemble du territoire, soit encore relevée en fonction de certaines contraintes. D’après nos simulations, son montant pourrait atteindre 26, 27, voire 30 euros.
Pour financer la réforme, le Gouvernement a décidé d’ajouter 30 millions d’euros par rapport à l’an dernier à la dotation de l’aide juridictionnelle, laquelle passera ainsi de 375 à 405 millions d’euros.
Le Gouvernement a demandé la participation de la profession d’avocat à l’aide juridictionnelle, comme le prévoit la loi de 1991. En termes pratiques, 57 % de l’aide est assurée par 7 % des avocats, et 84 % par 17 % d’entre eux, ce qui montre que la répartition prévue par la loi n’est pas assurée.
Il n’y a aucun reproche à adresser à la partie de la profession qui ne prend pas en charge l’aide juridictionnelle, mais on peut réfléchir à l’instauration d’une aide sous forme de temps ou de compensation pécuniaire.
Sur ce dispositif, nous n’avons pas abouti. En revanche, lors des discussions, il a été envisagé d’instaurer un prélèvement sur les produits financiers des fonds des clients d’avocats qui transitent par les caisses des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA.
D’après nos informations, ces produits financiers s’élèvent à 75 millions par an. Nous proposons, pour contribuer au financement des 405 millions que j’évoquais à l’instant, que 5 millions d’euros soient prélevés en 2016 sur le produit des CARPA, et 10 millions l’année suivante. Au-delà, le Fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice prendrait le relais.
La profession, avec laquelle nos discussions ont duré jusqu’à la semaine dernière, a proposé une autre solution. Elle pourrait participer non pas directement à l’aide juridictionnelle, mais à la modernisation de la justice civile telle que nous l’avons conçue dans le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
Les discussions ont été rompues il y a deux ou trois jours. Quand la profession a renoncé à ce dispositif qu’elle avait proposé, nous nous sommes retrouvés sans autre choix pour financer la contribution de 5 millions. On m’a indiqué qu’elle aurait donné son accord pour une taxation du chiffre d’affaires à partir d’un seuil. Dont acte. C’est une proposition que nous avions formulée il y a deux ans, et qu’elle avait alors récusée. Si elle juge à présent que ce dispositif lui convient davantage, nous pourrons revoir ultérieurement l’article que nous soumettons aujourd’hui à votre vote.
La réforme est indispensable, à moins de devoir assumer, dans quelques années, le fait que nous n’ayons pas eu plus de courage que nos prédécesseurs. Je rappelle en effet que, bien qu’une demi-douzaine de rapports ait été rédigée en dix ans, aucune initiative n’a été prise pour réformer l’aide juridictionnelle.
Nous avons, disais-je en commençant, l’ambition de faire de ce dispositif l’instrument d’une politique nationale de solidarité. Cela suppose de consentir un effort conjoint pendant une période intermédiaire. L’État ne lésine pas, puisqu’il n’a pas cessé d’augmenter le budget qu’il lui consacre.
Celui-ci était de 336 millions d’euros quand nous sommes arrivés aux affaires. Nous avons supprimé le timbre de 35 euros, qui entravait l’accès au juge et à la justice. Nous avons compensé la mesure en abondant la dotation d’aide juridictionnelle des 65 millions que rapportait le timbre, et nous avons régulièrement augmenté la dotation. De fait, avec un budget de 405 millions cette année, et de 475 millions l’an prochain, nous l’aurons augmentée de 180 millions d’euros, compte tenu des 60 millions de compensation du timbre.
L’engagement de l’État, qui est indiscutable, n’a donc pas faibli, mais nous avons besoin d’oxygène pendant un an et demi afin de pérenniser le dispositif, c’est-à-dire de consolider ses bases.
Tel est le contenu de l’article. Nous espérons que vous l’adopterez afin d’engager la réforme de l’aide juridictionnelle.