Intervention de Mego Terzian

Réunion du 6 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Mego Terzian :

Médecins sans frontières travaille à Kunduz depuis mai 2011. Nous avions un centre de traumatologie dans cette ville du nord-est de l'Afghanistan. C'était le seul centre de traumatologie pour toute la région, disposant 80 lits et, à la suite des derniers évènements, avec l'arrivée des Talibans dans cette ville, le nombre de lits avait été porté à 135. A leur arrivée, les Talibans avaient donné des garanties sur la sécurité de l'hôpital, sur le fait qu'aucun homme ne pouvait y entrer en armes. C'est une exigence que nous faisons valoir dans tous les pays en guerre pour des raisons évidentes de sécurité. Les Talibans ont respecté ces garanties et nous ont même donné le numéro de certains commandements en cas de problème. Pendant cinq jours, plus de 400 blessés ont été accueillis. Il y avait probablement des combattants talibans parmi eux, mais pour nous toute personne blessée – terroriste, criminel, rebel ou patient ordinaire – est un patient et nous avons l'obligation de le prendre en charge et de le soigner.

La nuit du 2 au 3 octobre, vers 2 heures du matin, il y avait sur place neuf collègues étrangers, environ 80 Afghans et une centaines de patients, qui ont commencé à entendre des survols aériens. Soudainement, les avions ont bombardé, au moyen de plusieurs bombes, l'immeuble principal de l'hôpital où il y avait la pharmacie, les soins intensifs et les urgences. Cela a duré au moins trente minutes malgré les coups de fil passés et malgré le fait que les coordonnées GPS avaient encore été communiquées aux autorités afghanes et américaines à Washington le 29 septembre. Notre équipe témoigne qu'il n'y a pas eu de tirs depuis l'intérieur de l'hôpital, ils n'ont pas vu d'hommes armés dans l'hôpital. Tout le monde a été très choqué. Les décisions n'ont pas encore été prises après ces évènements graves et elles le seront peut-être demain. Le ministre Laurent Fabius a confirmé qu'il ferait de son mieux pour clarifier comment, pour quelles raisons et sous la responsabilité directe de qui ces évènements se sont produit. On déplore 22 morts – 12 collègues et 10 patients, tous civils dont 3 enfants –, ainsi que 19 blessés de médecins sans frontière et les patients blessés ont été évacués vers un autre hôpital d'une ONG italienne, l'émergency's surgical centre. L'hôpital a été fermé et est à moitié détruit.

Depuis sa création, l'organisation assume le fait qu'elle intervient dans des pays en guerre donc prend des risques, mais essaie d'être professionnelle pour gérer les risques et croyait l'avoir été à Kunduz. Les Américains ont annoncé que les frappes ont été faites à la demande du gouvernement afghan et que c'était une erreur, mais je n'y crois pas malheureusement à cause des survols et du fait que plusieurs bombes ont été lâchées. Je qualifie leur acte d'incompétence criminelle. La situation en Syrie est beaucoup plus grave. Des collègues voulaient faire des manifestations, investir les réseaux sociaux, mais je n'étais pas en faveur d'une campagne pour un seul hôpital même si on était très choqués. Au Yémen, les forces de la coalition ont complètement détruit 19 structures hospitalières. En Syrie, je ne sais même pas combien d'hôpitaux sont détruits. Des hôpitaux et des médecins y sont quotidiennement attaqués.

En Syrie, après l'incident de l'enlèvement des cinq collègues par l'Etat islamique en janvier 2014, libérés quelques mois plus tard, nous avons décidé que nous ne pouvions plus travailler dans le territoire contrôlé par ce groupe car il n'y avait aucune garantie d'avoir un espace humanitaire sécurisé et neutre. Nous avons donc retiré les équipes étrangères de la Syrie. Nous continuons à travailler dans cinq hôpitaux avec les Syriens, dont 2 à Alep et un à Kobané, c'est-à-dire que nous ne faisons pas grand-chose par rapport aux besoins énormes. Pour moi, c'est un échec pour MSF car il n'y a pas en Syrie de déploiement massif comme au Yémen ou en République centrafricaine. D'autres ONG étrangères sont également absentes et ont quitté le pays depuis plusieurs mois. S'il y a des aides et du secours organisé c'est grâce à la diaspora syriennes et aux médecins de la diaspora qui tentent de se substituer au système du ministère de la santé. Si les besoins des victimes de guerre sont plus ou moins couverts par les médecins syriens, tout le reste (pédiatrie, vaccination, maternité, oncologie…) n'est pas vraiment assuré. Tout le système est cassé et quelques médecins ne peuvent pas remplacer le ministère de la santé syrien et répondre aux besoins de toute la population. C'est une situation qui se dégrade depuis quatre ans avec des mouvements de population. Beaucoup essaient de venir en Grèce. La moitié des réfugiés qui arrivent en Grèce qui arrivent dans ce pays, au moins 60 % ces dernières semaines, sont des Syriens et pas des hommes seuls mais des familles. Malheureusement cet exode massif de Syriens vers la Turquie et l'Europe va continuer.

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