Intervention de Estelle Grelier

Réunion du 13 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier, rapporteure :

Selon une tradition désormais établie, notre Commission s'est saisie pour avis de l'article 22 du projet de loi de finances pour 2016, évaluant le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne (PSR-UE).

Cet article l'évalue à 21,5 milliards d'euros. Ce montant, non définitif, repose sur les estimations :

– des recettes communautaires, dont je souligne qu'elles sont structurellement mal évaluées par la Commission européenne

– de notre participation au rabais britannique ;

– du solde qui sera constaté en fin d'année, sur lequel pèsent de grands incertitudes ;

– du budget 2016 de l'Union, qui n'est pas encore adopté.

La négociation sur la proposition de budget pour 2016 est engagée. D'ores et déjà inscrite dans un cadre pluriannuel resserré, alors même que l'Union européenne doit composer avec une augmentation du nombre des États membres, de nouvelles compétences attribuées par les traités, des politiques communautaires plus intégrées, des besoins majeurs en termes d'investissements structurants, que ce soit en matière de recherche et développement, de transport et d'énergie, des défis stratégiques immenses, avec une multiplication des conflits dans son voisinage, dont la crise migratoire – à laquelle l'Europe peine encore à faire face – est le dramatique symptôme.

Pour la deuxième année consécutive, un débat relatif au prélèvement européen aura lieu en séance publique. Sur la forme, c'est un progrès dont je me félicite. Nous étions plusieurs au sein de cette commission, dont notre présidente, à plaider en sa faveur. Mais sur le fond, je ne peux que regretter le peu d'avancée dans le débat sur les objectifs et les moyens financiers de la politique européenne. Le rapport que je vous présente cette année aura de ce point vue, hélas, des airs de « déjà-vu ».

Pourtant, c'est le premier budget élaboré par la nouvelle Commission européenne présidée par M. Jean-Claude Juncker. Il obéit donc, c'est un progrès, à dix priorités politiques définies dans le programme « pour l'emploi, la croissance, l'équité et le changement démocratique » présenté le 15 juillet 2014 par le Président de la Commission européenne devant le Parlement européen.

La Commission s'est efforcée de présenter un projet à la hauteur des ambitions fixées par le Conseil en juin 2014.

L'ensemble des moyens proposés s'établit à 153,8 milliards en engagements, soit 1,05 % du RNB, et à 143,5 milliards en paiements, soit 0,98 % du RNB.

Par rapport à 2015, les crédits de paiement progressent d'1,6 %, ce qui correspond à une quasi-stabilisation en volume, et les crédits d'engagement diminuent de 5 %. Cette baisse doit toutefois être relativisée. En effet, si l'on neutralise la reprogrammation des crédits de 2014, qui se fait à titre principal sur 2015, les engagements progressent de 2,4 % entre 2015 et 2016.

Conformément aux priorités affirmées par la Commission européenne et aux orientations données par les autorités européennes, l'accent est mis sur la croissance et l'emploi, la sécurité, la politique migratoire et la politique extérieure. La Commission européenne affiche également sa volonté de maîtriser les dépenses administratives, qui augmentent néanmoins de 2,9 %, et de réduire les effectifs des institutions européennes, en application de l'accord interinstitutionnel du 2 décembre 2013 sur la discipline budgétaire, la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière.

La proposition du Conseil du 15 juillet 2014, est, comme de coutume, en retrait. Il a souhaité restaurer des marges sous plafonds significatives. Comment pourrait-il en être autrement puisque le système des ressources propres de l'Union aboutit à une situation absurde, pour ne pas dire préoccupante, où chaque État essaie de reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre.

Le Conseil a fixé le niveau des crédits d'engagement à 153,269 milliards d'euros, soit une diminution de – 5,4 % par rapport au budget 2015 voté et a limité la hausse des crédits de paiement à + 0,6 %. Par rapport au projet de la Commission, le Conseil a décidé de réduire de 564 millions d'euros les crédits d'engagement et de 1 422 millions d'euros les crédits de paiement. Les instruments spéciaux sont maintenus au niveau proposé par la Commission, hormis l'instrument de flexibilité qui n'est plus mobilisé en crédits de paiement.

Le Parlement européen a proposé de supprimer les propositions de baisse de crédit du Conseil et d'augmenter les moyens des agences en charge de la gestion de la crise migratoire, et des programmes en faveur de l'entreprenariat et des PME, de revenir sur les redéploiements des crédits du programme de recherche d'Horizon 2020 au bénéfice du fonds européen d'investissement, et, enfin de faire un plein usage des instruments de flexibilité.

Nous sommes ici en pleine contradiction avec les priorités affichées par le cadre financier pluriannuel, par les conclusions du Conseil de juin 2014 et par Jean-Claude Juncker, mais aussi portées par la France – je n'oublie pas le plan pour la croissance envoyé aux membres du Conseil par François Hollande avant le Conseil de juin 2014. Si les Etats membres font le choix de se soumettre à une discipline budgétaire rigoureuse, alors l'Union doit pouvoir financer des investissements nécessaires à l'amélioration de notre croissance potentielle, à la modernisation de nos infrastructures, à la formation des travailleurs. C'est une vision court-termiste et intergouvernementale qui s'impose.

J'en veux pour preuve par exemple, l'initiative de la Commission européenne, qu'il faut saluer, de créer un Fonds européen pour les investissements stratégiques : les effets de levier annoncés pour les dépenses de ce Fonds de 1 à 15, sont peu réalistes. En outre, les sommes proposées ne couvrent qu'une partie des besoins de l'Europe en infrastructures, évaluées à 1 000 milliards d'euros. Enfin, le fonds mobilise surtout des redéploiements de crédits (21 milliards d'euros dont en réalité seuls 13 milliards correspondent à des crédits – 5 milliards mobilisés par la BEI et 8 milliards obtenus par redéploiement au sein du budget de l'Union).

Autre exemple, la politique étrangère de l'Union européenne, sur laquelle la Commission s'est efforcée de mettre l'accent. Un exemple, les crédits qui doivent permettre d'assurer la poursuite des opérations en cours, au Sahel, dans la corne de l'Afrique, en Lybie, en République démocratique du Congo et en Ukraine. Ils sont certes en hausse (+ 2 % en engagements et + 11,5 % en paiements), mais limités en valeur absolue : ils correspondant en 2016 à 327 millions d'euros en engagements et 299 millions d'euros en paiements. Il faudrait par ailleurs renforcer les dotations en faveur de l'instrument européen de voisinage, notamment au Sud de l'Europe, dont l'importance stratégique est trop sous-estimée par certains de nos partenaires européens.

On peut aussi regretter que l'Initiative pour l'emploi des jeunes ne bénéficie d'aucun nouveau crédit en 2016.

Le compromis entre les deux branches de l'autorité budgétaire, qui devra être trouvé avant le 18 novembre 2015, doit selon moi tendre vers la position de la Commission, dont les hausses de crédits me semblent justifiées. Certes, cette année, le cadre financier bénéficie des nouvelles modalités de souplesse de gestion définies avec le Parlement européen, dont la portée doit toutefois encore être précisée, notamment pour ce qui concerne la possibilité de mobiliser au-delà du plafond des crédits de paiement les instruments spéciaux. Mais ces instruments de flexibilité ne sont pas une réponse aux problèmes de financement de l'Europe, ils ne sont qu'un pis-aller. La question de savoir quel budget nous voulons pour quelle Europe, qui est peut être l'une des plus importante dans les années à venir, n'est pas sérieusement posée, si on veut financer les nouvelles priorités tout en continuant de financer les programmes communautaires, que ce soit les échanges universitaires ou la mobilité des jeunes.

Lors des négociations sur le cadre financier pluriannuel, une clause de revoyure en 2016 a été prévue, à laquelle les Parlements nationaux seront associés au cours d'une conférence institutionnelle.

La France pourrait y jouer un rôle de premier plan.

D'abord parce que c'est un des premiers contributeurs du budget européen, contribution dont le dynamisme ne se dément pas d'année en année. C'est d'ailleurs un des seuls pays à ne pas bénéficier d'un rabais. Au passage, le prélèvement au profit du budget de l'Union étant inscrit dans la norme de dépense, son augmentation réduit d'autant les crédits consacrés à d'autres politiques. C'est pourquoi la proposition d'exclusion du solde net de notre contribution au budget de l'Union du calcul du solde nominal et structurel des administrations publiques mérite d'être étudiée.

Nous sommes aussi grand bénéficiaire du budget européen : au-delà de la politique agricole commune, les étudiants français bénéficient des programmes comme Erasmus +, nos communes et nos régions de la politique de cohésion, la garantie jeunesse est financée par le budget européen, les fonds structurels contribuent à créer des emplois, les dépenses de recherche bénéficient à notre industrie et à nos investissements à l'étranger. Notre économie bénéficiera de l'effet de levier des dépenses européennes, si les 300 milliards d'euros d'investissements annoncés se concrétisent.

Ensuite, parce que la France oeuvre à un rééquilibrage de la politique européenne en faveur du soutien à la croissance et à l'emploi. Le pacte de croissance en témoigne, de même que nos efforts pour concrétiser l'union bancaire, renforcer la coordination de nos politiques économiques, soutenir l'investissement dans l'énergie, les transports, ou encore la santé, anticiper la mise en oeuvre de l'initiative européenne pour la jeunesse.

La France doit préparer activement cette échéance, c'est à dire :

– continuer de porter un policy mix intelligent entre croissance et rigueur. Nous devons le porter avec l'Allemagne, les dernières déclarations de François Holland et Angela Merkel vont dans ce sens, elles doivent trouver rapidement des traductions concrètes ;

– réaffirmer que dans un contexte budgétaire contraint au niveau national, le budget européen doit jouer un rôle de régulateur conjoncturel.

– enfin, il faut se donner les moyens de faire du budget européen un instrument de solidarité et d'investissement financé par des ressources propres dynamiques, s'inspirant des propositions faites par la Commission en 2011.

J'en viens donc ici à la réforme des ressources propres de l'Union, qui me semble avortée. En effet, la dernière décision, dont le projet de loi dont nous discutons également au cours de cette séance propose l'approbation, a été un rendez-vous avorté, qui n'a modifié qu'à la marge un mode de financement du budget de l'Union que j'estime pour ma part obsolète.

La décision du Conseil relative au système de ressources propres de l'Union européenne (dite « décision ressources propres ») a été examinée en parallèle des négociations du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne pour la période 2014-2020. Elle a été adoptée à Bruxelles, a été adoptée à l'unanimité, le 26 mai 2014.

Cette décision ne modifie pas en substance l'équilibre actuel du financement du budget de l'Union européenne, équilibre qui n'en est plus un. En effet, la quasi-intégralité du budget demeure financée par la ressource « revenu brut national » versée par chaque État membre, la ressource TVA n'est pas non plus modifiée.

Par ailleurs les compensations et divers rabais accordés à la plupart des contributeurs nets au budget européen – à l'exception notable de la France et de l'Italie – ont été maintenues. La France financera 27 % du rabais britannique. C'est donc, jusqu'en 2020, un mode de financement obsolète, opaque et inefficace qui prévaudra.

Cependant, il n'est pas interdit de réfléchir à la suite. L'examen à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l'Union, qui aura lieu en 2016, doit en fournir l'occasion. Il sera nourri par les travaux du groupe à haut niveau présidé par M. Mario Monti, qui doit publier prochainement des propositions, avant la conférence interinstitutionnelle à laquelle seront conviés les Parlements nationaux. Mario Monti s'est lui-même déclaré peu optimiste sur les chances d'aboutir.

Le budget européen ne peut pas continuer à être l'agrégation des contributions des différents États membres, car ressurgira chaque année le clivage entre les pays de la cohésion – dénonçant les engagements non tenus – et les contributeurs nets expliquant qu'étant tenus par des contraintes budgétaires fortes ils souhaitent limiter leur contribution.

Une véritable réflexion sur la valeur ajoutée du budget européen et de la répartition de l'effort financier entre niveau communautaire et États membres fait aujourd'hui défaut, de même qu'une réflexion approfondie sur la nécessité d'une véritable politique budgétaire de la zone euro, sans oublier, à plus long terme, la question institutionnelle et les limites de la règle de l'unanimité, portant notamment sur les décisions relatives aux ressources propres – une des raisons pour lesquelles le système n'a jamais été réformé et qui laisse craindre un même manque d'ambition pour l'après 2020.

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