Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours difficile, lorsqu'il s'agit d'aborder la question de l'immigration, d'échapper aux caricatures et aux anathèmes – les discussions au sein de notre assemblée, qui se sont déroulées dans un climat moins consensuel qu'au Sénat, en sont la preuve. Cela étant, les parlementaires sont parvenus à un accord en CMP et, hormis la création d'un registre spécial des retenues et la réécriture de l'article 6, relatif à l'incrimination d'un étranger qui se maintient en France alors que des mesures d'éloignement ont été mises en oeuvre à son encontre, le texte que nous examinons aujourd'hui est finalement assez proche de celui que notre assemblée avait adopté en première lecture.
Pour sa part, le groupe UDI renouvelle son soutien au texte, un soutien guidé par la responsabilité, l'exigence et une extrême vigilance. À notre sens, la modification de notre législation en matière de droit au séjour, dont découle la création de cette nouvelle procédure de retenue, s'impose d'elle-même du fait de l'évolution du droit communautaire. En se conformant à la jurisprudence européenne, ce texte participe à l'élaboration progressive d'une politique d'immigration commune à l'échelon européen à laquelle nous ne pouvons qu'être favorables. Le groupe UDI, profondément européen, est attaché à la mise en place d'une gestion non pas limitée au niveau national, car elle serait vouée à l'échec, mais commune, des flux migratoires.
Après la directive « retour », transposée en droit français en juin 2011, il nous appartient désormais de poursuivre cette entreprise d'harmonisation entre droit national et droit européen. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne a démontré que l'Europe, dans l'organisation de l'immigration irrégulière, souffre encore d'un manque certain de cohérence. L'arrêt de décembre 2011 est clair : notre réglementation ne peut soumettre un étranger à une peine d'emprisonnement dès lors qu'il n'a pas fait l'objet de mesures d'éloignement prévues par la directive retour.
Bien plus qu'une simple mise en conformité, il s'agit donc de combler le vide juridique créé par cette jurisprudence et confirmé par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment celui du 5 juillet dernier. Ce serait faire preuve d'irresponsabilité politique que de nous y opposer. Car, si nous ne respectons pas ce principe, nous rendons inopérant l'objectif même de la directive retour, consistant en l'éloignement d'un étranger en situation irrégulière.
Si nous refusions de légiférer, nous nous satisferions d'un vide juridique extrêmement préjudiciable aux principes républicains que sont l'application rigoureuse des objectifs de lutte contre l'immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires. Les dispositions de ce texte ne doivent pas être interprétées comme un renoncement à ces principes. Bien au contraire, il s'agit de doter notre pays d'une procédure de retenue qui permettra aux services de police ou de gendarmerie de retenir un étranger et de décider, le cas échéant, de le placer en rétention.
Pour autant, nous en conviendrons, les États disposent d'une certaine marge d'appréciation et, de ce fait, notre travail de parlementaire ne se limite pas à un simple exercice de traduction de la jurisprudence européenne, comme les débats sur les modalités de cette nouvelle procédure l'ont bien montré. Les principales modifications apportées à ce texte en commission et en séance publique concernent les garanties qui entourent la procédure de retenue, notamment celles relatives à la présence de l'avocat. Ainsi, le texte prévoit notamment que l'avocat peut, dès son arrivée, communiquer pendant trente minutes avec la personne retenue. Il précise également que la première audition ne peut débuter sans sa présence.
Que l'étranger retenu dispose de certaines garanties, soit. Mais prenons garde à ne pas dénaturer le texte, à ne pas lui faire perdre sa vocation première, qui est de permettre à un officier de police judiciaire de retenir un étranger ne pouvant justifier de son droit de circuler ou de séjourner sur le territoire. L'arrêt de la Cour de justice est explicite sur ce point : les autorités doivent pouvoir disposer « d'un délai certes bref mais raisonnable pour identifier la personne contrôlée et pour rechercher les données permettant de déterminer si cette personne est un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier ». À ce titre, nous n'aurions pas accepté que le texte soit détourné de sa vocation première par une diminution de la durée de la procédure de retenue. La durée de seize heures est selon nous la meilleure option, une solution d'équilibre à mi-chemin entre la procédure de vérification d'identité et la garde à vue.
J'en viens, enfin, à l'autre objet de ce texte, qui consiste à étendre les immunités pénales en matière d'aide au séjour irrégulier des étrangers. En aucune manière, nous ne devons suspecter les gouvernements précédents d'avoir voulu incriminer l'aide apportée à titre humanitaire à un étranger en situation irrégulière. Cette disposition, bien ancienne puisqu'elle a été introduite dans notre ordre juridique en 1938, était et demeure nécessaire, car la lutte contre l'immigration irrégulière relève d'une impérieuse nécessité. En effet, ce à quoi se livrent les passeurs sur notre territoire est en parfaite contradiction avec les valeurs fondamentales de notre République. L'élargissement du champ de l'immunité pénale n'est pas dû à votre majorité. Le gouvernement précédent avait entrepris cette démarche et, dès 1996, notre droit avait prévu une clause d'exemption afin de protéger les membres des familles d'étrangers en situation irrégulière des poursuites pour aide au séjour irrégulier et les associations à but non lucratif à vocation humanitaire.
Là encore, toutes les précautions doivent être prises pour ne pas, sous couvert de simples « ajustements », élargir à outrance le champ des immunités pénales. Nous devons à tout prix éviter de fragiliser l'assise juridique de la lutte contre les filières d'immigration clandestine et les réseaux de passeurs, car il serait impensable que les trafiquants d'êtres humains – les passeurs, comme on les appelle pudiquement – soient les premiers bénéficiaires d'une politique laxiste en matière de régularisation des étrangers sans titre.