Intervention de Annick Girardin

Réunion du 19 octobre 2015 à 21h00
Commission élargie : finances - affaires étrangères

Annick Girardin, secrétaire d'état chargée du développement et de la francophonie :

Mesdames, messieurs les députés, vous allez voter le budget 2016 alors que la période est ponctuée de grands rendez-vous internationaux dont chacun contribue à écrire une nouvelle page de l'histoire de notre monde, qui sera, en 2030, nous l'espérons, un monde « zéro carbone » et « zéro pauvreté ». Au sommet d'Addis-Abeba, l'Europe, et donc la France, s'est engagée à consacrer à l'aide au développement 0,7 % de son RNB avant 2030 – et 0,2 % pour les pays les moins avancés (PMA). À New York, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté l'agenda post-2015, avec dix-sept objectifs de développement durable qui incluent, bien sûr, les questions climatiques. Lors de la Conférence sur le climat qui s'est tenue à Lima, il y a quelques semaines, nous avons avancé sur le financement « climat » de l'après-2020. Et puis, nous sommes à la veille du sommet de Paris, « Climat 2015 », qui devrait aboutir à un accord à la fois ambitieux et contraignant, nous replaçant sur la trajectoire des deux degrés. Je vous rappelle que tous les pays se sont engagés à apporter leur contribution, non seulement à la lutte contre le dérèglement climatique, mais également à la solidarité. Ce sera l'heure de vérité : les pays industrialisés devront montrer qu'ils peuvent être au rendez-vous des 100 milliards d'euros promis à partir de 2020 lors du sommet de Copenhague.

Tel est le contexte dans lequel nous avons mené les discussions budgétaires. Elles ont été difficiles, aboutissant d'abord à la baisse des crédits de la mission. Mais vous avez été nombreux à vous mobiliser – surtout vous, madame la présidente – avec une grande énergie, ce dont je vous remercie. Nous avons fini par être entendus, et aujourd'hui, après les annonces faites par le Président de la République, le budget de la mission est stabilisé.

Ces annonces, ce sont 4 milliards d'euros supplémentaires pour les États étrangers en 2020, avec une montée en puissance progressive, comme vous le souhaitiez ; le renforcement du volet « climat » avec 2 milliards, ce qui portera le financement annuel de la France en faveur du climat de 3 à 5 milliards d'ici à 2020. En outre, le volet « dons » sera complété de façon conséquente, à hauteur de 370 millions d'euros d'ici à 2020, avec une première partie cette année. Enfin, on répondra par le développement à la crise des réfugiés.

Il y avait là un enjeu de crédibilité, et nous sommes à ce rendez-vous à travers plusieurs amendements, que je ne rappelle pas. On peut aujourd'hui s'en satisfaire.

Je vois, dans ce budget 2016, deux messages forts.

Le premier est que la baisse est stoppée. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais nous n'avions pas connu cela depuis un certain temps. Souvenez-vous qu'en 2010, l'aide publique a plafonné à 0,5 % et que depuis, elle était en baisse régulière – plus de 500 millions d'euros sur cinq ans. Aujourd'hui, les crédits de l'aide publique au développement – programmes 209, 110 et FSD – sont stabilisés.

La trajectoire vers l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'aide au développement est à nouveau d'actualité. Nous n'en sommes qu'à la première étape, mais il faut s'en satisfaire – nous avions dit que nous reprendrions cette trajectoire à partir du moment où la France connaîtrait un début de croissance.

Une action particulière pour les plus vulnérables est engagée, sous forme de dons : 150 millions d'euros supplémentaires cette année, à la fois sur la question climatique et sur la question des réfugiés.

Le deuxième message de ce budget est qu'il prend en compte les crises et leur évolution : pour réagir à l'urgence, 50 millions supplémentaires seront consacrés à la question des migrants, notamment aux réfugiés ; pour construire le monde de demain, on anticipe la mise en place des décisions climatiques dont la plupart font partie des objectifs de développement durable.

Pour ce faire, nous disposons de trois outils principaux. D'abord, la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, qui devient opérationnelle, et dont les grands objectifs étaient l'efficacité, la transparence, l'évaluation et le suivi. Nous sommes au rendez-vous. Ensuite, le rapprochement entre l'AFD et la CDC, qui nous dotera d'un outil fort, plus adapté à tous les publics. Doté d'une expertise à la fois dans les secteurs sociaux et en matière d'infrastructures, cet outil sera davantage performant dans ses réponses à chacun de ses partenaires, que ce soit le Gouvernement, les collectivités, les ONG ou les entreprises. Enfin, conformément au souhait des parlementaires, l'agence Expertise France, a été installée le 1er janvier 2015 et a déjà pris toute sa place. J'ajoute qu'il est question de transférer l'intégralité des actions de gouvernance, projets et expertise, à l'Agence française de développement et à Expertise France.

Ce budget est donc adapté. Entre les missions et les financements innovants, il est aujourd'hui stabilisé. Le programme 209 perd 83 millions, soit 5,3 %, compte tenu de la baisse de 133 millions et de l'apport de 50 millions supplémentaires pour les réfugiés par voie d'amendement. Le programme 110 perd 39 millions d'euros, soit 3,8 %, mais grâce au premier amendement qui a été voté, la participation de la TTF s'établira à 120 millions de plus qu'en 2015.

Cette stabilisation est en grande partie permise par les financements innovants, notamment la TTF. Voulue par François Hollande, cette taxe, qui a été mise en place en 2012, a rapporté, la première année de son application, 60 millions d'euros. Pour 2016, le Gouvernement a décidé d'augmenter de 30 %, par voie d'amendement, la part des recettes allouée à ce budget, soit 260 millions. Grâce à cette stabilisation, nous pouvons financer deux grandes priorités : la lutte contre le réchauffement climatique, à hauteur de 100 millions d'euros, et l'aide aux réfugiés, à hauteur de 50 millions.

Certains changements dans le monde ont provoqué des modifications dans les différents programmes. Ainsi, la fin de l'épidémie d'Ebola devrait nous permettre d'économiser 40 millions, la fin de l'engagement en Afghanistan 5 millions et le Contrat de désendettement et de développement (C2D) concernant le Cameroun, qui fait l'objet d'une discussion entre le président Biya et Laurent Fabius, 34 millions.

Nous nous adaptons également aux évolutions géopolitiques et institutionnelles. La France participera, en particulier, à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, dont elle est membre fondateur depuis le 2 avril dernier – le projet de loi de ratification sera prochainement déposé au Parlement. Il était important que nous nous y impliquions, non seulement parce que nous avons fait en sorte que le caractère durable du développement soit inscrit dans les statuts de la banque, mais aussi parce qu'il faut accompagner nos partenaires chinois dans une participation plus active dans le cadre des enceintes multilatérales.

Nous oeuvrons également en faveur d'une plus grande efficacité en encourageant la meilleure utilisation possible des fonds publics. Nous le devons aux Français, et c'est une règle que je me suis fixée lorsque j'ai pris mes fonctions. Ainsi, la restructuration de la gouvernance et de l'expertise technique permet d'économiser 6 millions. La rationalisation des dépenses de nos opérateurs, notamment dans le domaine de la francophonie, nous a permis de diminuer de 4 % les montants alloués à la francophonie. Enfin, nous respectons la recommandation de la Cour des comptes concernant le FMLSTP, puisque 20 millions d'euros sont versés via la Banque de France pour éviter une bulle de trésorerie non efficiente, c'est le moins que l'on puisse dire, qui n'est pas acceptable dans le contexte budgétaire actuel.

Par ailleurs, nous assumons certains choix, comme la réduction de 10 millions d'euros du financement Muskoka, avec la fin de l'engagement multilatéral du G8, sans pour autant qu'il s'agisse de se désengager de la thématique santé maternelle et infantile, qui reste centrale dans nos politiques et l'action de l'Agence française de développement, ou l'effort concernant le Fonds asiatique de développement, qui se traduit par une réduction de moitié des autorisations d'engagement prévues.

Les engagements ont été tenus, notamment en ce qui concerne le maintien de l'aide projet et le renforcement de l'aide bilatérale. Cela correspond au souhait que vous avez exprimé l'an passé en transférant 20 millions du programme 110 vers le programme 209. Nous veillerons également à ce que les fonds « migration » et « climat » répondent aux besoins et permettent de mener des actions concrètes, notamment en nous aidant, lors de la négociation de la COP21, à emmener l'ensemble de nos partenaires vers l'accord ambitieux que nous appelons de nos voeux. L'aide aux réfugiés financera des actions concrètes, à travers le HCR ou les agences des Nations unies, notamment le programme alimentaire, qui sont des vecteurs efficaces et utiles.

L'allocation des fonds climatiques n'est pas encore arrêtée. Sur le plan géographique, elle devra cibler les plus vulnérables. Sur le plan thématique, elle devra permettre des actions d'adaptation : protection des forêts, lutte contre la dégradation des sols, développement des énergies renouvelables. Sur le plan tactique, nous devons mobiliser et encourager des actions concrètes de nos partenaires – dernièrement, j'ai travaillé avec l'Allemagne et la Suède. S'agissant des instruments, une part des actions climat sera portée en bilatéral, mais aussi en multilatéral. C'est une question, là encore, de levier et de force de frappe.

Dans un monde où les crises se multiplient, nous devons nous adapter aux évolutions et soutenir les fonds d'urgence. Les crédits alloués aux ONG humanitaires augmentent donc de 1 million d'euros ; les crédits de l'aide alimentaire et de sortie de crise sont stables. Quant à l'aide aux réfugiés, elle augmente de 50 millions d'euros.

Par ailleurs, nous soutenons les acteurs du développement conformément à l'esprit de la conférence d'Addis-Abeba. En ce qui concerne les ONG, une augmentation de 8 millions d'euros porte l'engagement total à 79 millions. Les crédits alloués à la coopération décentralisée restent stables, avec 9,2 millions d'euros, de même que ceux alloués au volontariat. Je précise que celui-ci fait l'objet d'une évaluation dont nous devrions connaître les résultats au mois de décembre. Le volontariat doit, en effet, être réformé, afin d'être plus lisible, ouvert à davantage de jeunes et mieux reconnu.

J'en viens maintenant à vos questions, messieurs les rapporteurs. Tout d'abord, la France est un acteur-clé de la santé mondiale depuis de nombreuses années ; elle y consacre 1 milliard d'euros d'engagements en 2014, soit 12 % de son aide publique au développement ; c'est une hausse par rapport à 2013.

En ce qui concerne le Fonds mondial, vous savez que la Cour des comptes a critiqué le mode de versement de la contribution – espèces, d'une part, bons du Trésor déposés à la Banque de France, d'autre part –, en raison du niveau élevé de la trésorerie actuellement logée à la Banque de France. Ce système a créé une bulle de plusieurs centaines de millions d'euros de trésorerie, que nous allons progressivement apurer. Mais la France – le Président de la République l'a confirmé aux ONG, il y a quelques semaines – est le deuxième contributeur au FMLSTP et elle versera, en 2016, sa contribution annuelle, qui s'élève à 360 millions d'euros.

La France est également le quatrième contributeur souverain à GAVI ; elle est engagée à hauteur de 1,7 milliard d'euros au titre de l'IFFIm (International finance facility for immunisation). Elle a annoncé, lors de la conférence de reconstitution des ressources pour la période 2016-2020, au mois de janvier dernier, une contribution additionnelle de 150 millions d'euros via l'IFFIm. En outre, nous mettons en oeuvre une initiative pilote avec la Fondation Bill and Melinda Gates, en accordant, par l'intermédiaire de l'AFD, un prêt concessionnel de 100 millions d'euros qui sera remboursé par la fondation. Nous traduisons ainsi dans les faits notre engagement en faveur des coalitions d'acteurs. Nous consentons un effort budgétaire conséquent pour la période 2016-2020, avec un décaissement de 365 millions d'euros. Pour 2015, il nous reste à verser à GAVI 22 millions, qui ne sont pas budgétés ; nous ferons tout notre possible pour que ce soit fait avant le 31 décembre prochain. À ce jour, la France a versé, au titre de la période 2011-2015, 348 millions sur 370 millions, soit 94 % de son engagement total. Notre pays reste donc très engagé dans le domaine de la santé. GAVI a, du reste, exprimé sa satisfaction pour la façon dont nous avons contribué à la reconstitution de ses ressources pour la période 2016-2020.

Vous m'avez interrogée sur l'amendement que vous avez adopté l'an dernier afin de transférer 20 millions d'euros du programme 110 « Aide économique et financière au développement » vers le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». Le montant effectif du transfert, en intégrant le rabot final au titre des universités, est de 17 millions d'euros – 15,5 millions une fois la réserve déduite. L'objectif était de financer des projets bilatéraux. Ces projets concernent la santé et le climat : 8 millions d'euros ont été alloués au Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM), 2 millions d'euros au Centre de crise et de soutien et 5,6 millions à l'Initiative santé solidarité Sahel (I3S).

Par ailleurs, l'engagement, pris en décembre 2013 par le Président Hollande lors du sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, de consacrer 20 milliards d'euros au cours des cinq prochaines années au développement de l'Afrique, est mis en oeuvre par le groupe AFD-Proparco. Une recapitalisation de l'Agence a été engagée en 2014, qui lui permet notamment de renforcer son activité sur le continent africain. Les réalisations et prévisions d'engagement présentées pour la période 2014-2016 sont en ligne par rapport aux objectifs concernant l'Afrique. Le montant des engagements du groupe AFD en faveur de l'Afrique s'élève à 3,7 milliards en 2014 et à 3,8 milliards d'euros en 2015. L'objectif de l'AFD est de porter l'activité totale en Afrique à 11,5 milliards d'euros pour la période 2014-2016, dont 9,2 milliards d'autorisations de financement en Afrique subsaharienne et 2,3 milliards en Afrique du Nord. Pour les années suivantes, les résultats dépendent en partie de la situation politique et économique des différents pays. Il m'est donc difficile de vous préciser, à ce stade, l'APD nette, compte tenu du travail statistique nécessaire.

M. Gaymard m'a interrogée sur la trajectoire de l'aide publique au développement. Celle-ci, comme cela a été réaffirmé à Addis-Abeba, doit atteindre 0,7 % du RNB à l'horizon 2030. L'APD nette de la France représentait, en 2014, 0,37 % de son RNB, contre 0,45 % en 2012 et 0,41 % en 2013. Cette diminution s'explique essentiellement par une baisse des crédits des programmes 209 et 110 de la mission « Aide publique au développement », mais aussi par une moindre contribution des annulations de dettes de l'aide publique française, ce dont on ne peut que se féliciter. La trajectoire repart à la hausse puisque 4 milliards supplémentaires ont été annoncés d'ici à 2020, dont 2 milliards pour le climat, sous la forme de dons et de prêts, le montant des dons devant être abondé de 370 millions d'euros d'ici à 2020.

Je rappelle qu'en 2014, la France a gagné une place dans le classement mondial des contributeurs de l'aide publique au développement en volume, puisqu'elle occupe le quatrième rang, derrière l'Allemagne, les États-Unis et le Royaume-Uni. Cela est peut-être peu satisfaisant, mais c'est une marche supplémentaire.

L'adossement de l'AFD à la Caisse des dépôts et consignations était une nécessité pour nous permettre de répondre aux besoins et de respecter les engagements que nous avons pris à Addis-Abeba et à Lima ainsi qu'à ceux que nous prendrons à Paris dans les jours qui viennent. Le statut de cet adossement est en cours de discussion. Je ne peux pas vous apporter à ce sujet une réponse plus précise que celles que vous a faites Rémy Rioux lors de ses rencontres avec les parlementaires. Mais ces rencontres se poursuivront – il était également présent il y a quelques jours au Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) –, car je tiens à ce que cette opération se fasse dans la plus grande transparence et à ce que chacun puisse donner son avis à chaque étape. Selon le calendrier fixé par le Président de la République dans la lettre de mission qu'il a adressée à Rémy Rioux, celui-ci devrait remettre un rapport avant la fin de l'année 2015. Quant à la mise en oeuvre effective du rapprochement, elle devrait intervenir dans le courant de l'année 2016, en fonction du processus législatif et réglementaire – la question se pose encore de savoir si une modification législative sera nécessaire. Quoi qu'il en soit, il serait heureux que la création de cet outil coïncide avec le bicentenaire de la Caisse des dépôts et consignations.

Encore une fois, toutes les parties prenantes au projet doivent être engagées dans la discussion. Cet outil devra être efficace, performant, à la hauteur de nos attentes et de celles de nos partenaires, qu'il s'agisse de pays amis, des collectivités territoriales, des entreprises ou des ONG. Il doit s'inscrire dans une perspective multi-acteurs car, ainsi que cela a été dit à Addis-Abeba, nous passons d'une logique d'aide publique au développement à une logique de financement du développement. Si l'APD reste un élément primordial, elle sera insuffisante et devra, pour être performante, être associée aux acteurs privés. Tel est le rôle de cet outil qui doit être celui de tous les acteurs qui consacrent leur énergie au service du grand défi que nous devons relever pour construire un monde zéro carbone et zéro pauvreté.

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