Avant de répondre, aussi précisément que possible, aux questions elles-mêmes très précises des rapporteurs, que je remercie, je commencerai par un propos plus général, afin notamment de nous assurer que nous faisons tous la même lecture de ce budget et de ses évolutions : si nous voulons avoir une discussion féconde, on ne peut pas qualifier de « baisse » la stabilité des crédits.
Si la France, modeste par le nombre de ses habitants, reste un très grand pays, elle le doit pour l'essentiel à la qualité de sa recherche, qui la tire vers le haut et lui donne une attractivité à nulle autre pareille. La ministre de l'éducation nationale et moi-même en sommes convaincus. Conformément aux déclarations du Président de la République, nous avons décidé de sanctuariser les crédits de la recherche, c'est-à-dire de protéger notre recherche publique des difficultés budgétaires. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de difficultés – nous allons en parler –, mais telle est l'ambition indispensable qui est au coeur de notre politique.
La France fait partie des quelques grandes puissances scientifiques : avec 3,5 % des publications scientifiques, elle se situe au sixième rang scientifique mondial, et même au quatrième rang si l'on se réfère aux 10 % des publications les plus citées. Elle se place au cinquième rang des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l'effort de recherche : en 2013, elle a consacré 47 milliards d'euros à la recherche et développement, soit 2,23 % de son PIB. La part publique de ces dépenses est de 16,6 milliards, soit environ 0,8 % du PIB, chiffre comparable à celui des États-Unis ou de l'Allemagne, et supérieur à celui du Japon ou du Royaume-Uni. La France figure donc parmi les tout premiers pays au monde en matière de financement de la recherche publique.
Avec le budget que nous vous présentons aujourd'hui, nous réaffirmons la sanctuarisation des crédits de la recherche en 2016. Ceux-ci connaissent même une progression de 6 millions d'euros, que l'on peut qualifier de faible, mais que l'on ne peut en aucun cas assimiler à une baisse ! Je ne suis pas préparé à une telle gymnastique !
Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de dédier 7,71 milliards d'euros à la recherche. Les moyens de fonctionnement des opérateurs s'établiront, à périmètre constant, à 5,82 milliards, ce qui correspond à une stabilisation par rapport à 2015. Cette stabilisation ne nous a pas dispensés, bien au contraire, de mener un travail très fin avec les organismes de recherche, à commencer par le plus important d'entre eux, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), afin de trouver dans leur budget des marges de manoeuvre permettant de faire un effort en termes d'emploi scientifique. S'agissant du CNRS, nous pourrons aller légèrement au-delà du remplacement de l'intégralité des départs à la retraite. À cet égard, rappelons que 2 600 chercheurs ont été embauchés dans la recherche publique depuis 2012.
Avec 555 millions d'euros, les moyens d'intervention de l'ANR sont, eux aussi, stables par rapport à 2015. En l'espèce, nous avons probablement atteint un plancher : il ne serait pas de bon aloi de diminuer ces crédits, sauf si l'on considérait que nous n'avons plus besoin d'agence de financement – telle n'est pas ma position.
Les crédits destinés à couvrir les contributions internationales de la France progressent de 7 millions d'euros, principalement pour tenir compte de la nouvelle programmation de l'Agence spatiale européenne, en particulier du très important programme Ariane 6.
La stratégie nationale de recherche (SNR), que plusieurs d'entre vous ont évoquée, avait été prévue par la loi de 2013 et a été publiée en mars 2015. Elle demeure insuffisamment connue non seulement du grand public, mais aussi de ceux qui s'intéressent à la recherche. Nous pourrions d'ailleurs en faire une présentation devant votre Assemblée, sous une forme à déterminer. Elle a une double fonction : maintenir la place de notre pays parmi les premières puissances de recherche mondiales et, surtout, permettre à la recherche française de répondre aux défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux du XXIe siècle.
De ce point de vue, contrairement à ce qui a été proposé il y a quelques instants, je ne crois pas que nous ayons intérêt à spécifier davantage les champs scientifiques auxquels nous devons consacrer des moyens. Je suis absolument convaincu, au contraire, que notre socle de recherche fondamentale est la condition de la pérennité de notre puissance scientifique. Actuellement, les principales innovations sont des innovations de rupture, et c'est la recherche fondamentale qui les rend possibles, c'est-à-dire non pas une recherche qui se déploie dans une direction particulière, mue par tel ou tel objectif de court ou de moyen terme, mais une recherche au spectre le plus large possible.
La SNR a d'ailleurs été élaborée à partir d'une très large consultation de la communauté scientifique et universitaire, des partenaires sociaux et économiques, des pôles de compétitivité, des représentants du monde associatif, des administrations, des agences publiques, des collectivités territoriales, ainsi que d'un certain nombre de parlementaires. La concertation a ainsi fait émerger dix grandes orientations stratégiques, qui vont nous permettre de faire évoluer un certain nombre de nos programmes.
Le Conseil stratégique de la recherche (CSR), installé en décembre 2013, a apporté des éléments de réflexion complémentaires sur certaines propositions et, surtout, a proposé au Gouvernement des critères d'évaluation de l'impact de la SNR. Il a, lui aussi, souligné l'importance de la recherche fondamentale.
Dès 2016, l'ANR prendra en compte, dans sa programmation, les priorités définies par la SNR. Ministères et opérateurs sont également appelés à mettre en oeuvre la SNR en la déclinant dans leurs orientations et dans leurs programmes propres.
Dans le cadre du deuxième programme d'investissements d'avenir, lors de la « journée SNR », qui se tiendra le 3 décembre prochain en présence du Premier ministre, nous annoncerons des financements spécifiques concernant les enjeux transversaux prioritaires.
En définitive, le budget que nous évoquons ce matin s'inscrit dans la continuité de la priorité donnée à la recherche mais aussi dans le cadre d'une réflexion stratégique à moyen et long termes explorant d'autres pistes pouvant permettre d'entrouvrir des perspectives budgétaires qui me semblent indispensables à la recherche publique.
Pour répondre à plusieurs d'entre vous, il est en effet nécessaire de faire un bilan précis des outils de soutien aux politiques d'innovation mises en place ces dernières années, qu'il s'agisse des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) ou des instituts de recherche technologique (IRT).
Alain Claeys a posé la question de la pérennité du modèle économique, soulignant la nécessité non seulement d'évaluer les résultats de ces outils mais également de s'assurer que, pour les organismes et les laboratoires publics parties prenantes, l'action des SATT propose un juste retour sur investissement. Intuitivement, j'ai le sentiment que ce n'est pas tout à fait le cas, et la recherche publique, qui se développe considérablement – avec un poids de 660 millions d'euros par an, elle se situe quasiment au même niveau que les instituts Fraunhofer allemands – n'offre pas aux laboratoires qui s'impliquent pleinement et loyalement tout le bénéfice de leurs efforts d'innovation. Cela tient à la conception même de ces outils, et j'ai donc décidé de lancer dans les prochaines semaines une évaluation précise de leur fonctionnement afin d'envisager des adaptations qui, tout en conservant au système son économie générale, permettrait de restituer à la recherche publique le bénéfice des efforts consentis, lesquels contribuent notamment à accroître la compétitivité de nos entreprises.
En ce qui concerne la CDIsation sur ressources propres qui permettrait de résoudre le problème du grand nombre de chercheurs « précaires », les règles de gestion n'autorisent malheureusement pas les organismes publics à financer des emplois pérennes à partir de ressources temporaires. Reste qu'il y a là une vraie difficulté et qu'il nous faut soutenir l'emploi scientifique. Nous avons pour cela engagé un travail extrêmement fin avec les organismes, pour que ceux-ci, au-delà de la règle du « un pour un » – un départ, un remplacement –, trouvent des marges de manoeuvre pour améliorer la situation. C'est notamment le cas au CNRS, où, en 2016, les recrutements seront probablement supérieurs aux départs en retraite.
Pour ce qui est des relations entre notre ministère et le Commissariat général à l'investissement (CGI), ce dernier agit dans le cadre du mandat et selon les orientations qui lui ont été donnés par le Premier ministre, à qui il revient donc de faire évoluer, s'il le souhaite, la nature des programmes d'investissements d'avenir mis en oeuvre par le CGI. Nous avons considérablement renforcé nos relations quotidiennes avec le Commissariat, tant il apparaissait, notamment lors des derniers appels à projet, que certaines ambiguïtés pouvaient provoquer l'inquiétude de la communauté scientifique. Une convention passée entre le CGI et le ministère a ainsi explicité les critères d'appréciation des candidatures.
Reste que la question de l'évaluation des PIA est désormais centrale. Une évaluation globale est en cours, confiée à France Stratégie qui devrait rendre ses résultats au premier trimestre 2016. Nous en tirerons tous les enseignements nécessaires pour mettre en oeuvre le prochain PIA. Par ailleurs, je rappelle que le financement des IDEX du PIA 1 s'effectue par phases, qu'elles seront évaluées pour cela au premier semestre 2016. Quant aux LABEX, leur évaluation vient de s'achever. Le ministère est naturellement très impliqué dans ces opérations, se montrant en particulier très attentif à l'impact de ces crédits dans le champ des ressources humaines.
En ce qui concerne l'ANR, il n'est pas question qu'elle souffre de difficultés de trésorerie. Les autorisations d'engagement sont stables, mais nous sommes actuellement en train de vérifier avec l'agence que les crédits inscrits au budget suffisent. Le Contrôle général économique et financier (CGEFI) et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) ont de leur côté été chargés d'une mission sur les perspectives de trésorerie de l'Agence, et nous croiserons évidemment nos analyses.
Au sujet des communautés d'universités et d'établissements (COMUE) qui ne possèdent ni IDEX ni I-SITE, il est probable qu'elles ne pourront toutes en être dotées même avec les IDEX qui devraient voir le jour dans le cadre du PIA 2. Elles n'auront donc pas le bénéfice de ces outils, mais le nouveau PIA pourra proposer des instruments de financement innovants. Par ailleurs, les COMUE sont autonomes par rapport aux IDEX et développent une logique propre – offres de formation, développement de services communs – qui leur permet d'avoir une activité réelle.
Sophie Dion m'a interrogé sur les docteurs et l'emploi scientifique. J'aurai, dans les prochains jours, l'occasion de vous présenter les grandes lignes d'un plan visant à améliorer le recrutement des jeunes docteurs. Aujourd'hui, alors que la recherche privée emploie 60 % des chercheurs, contre 40 % pour la recherche publique, elle ne représente que 25 % des débouchés pour les jeunes doctorants, contre 75 % pour la recherche publique. En d'autres termes, c'est d'abord vers le secteur privé que doivent porter nos efforts de valorisation des doctorats. Nous allons pour cela mettre en place un certain nombre d'outils permettant aux trop nombreuses entreprises qui n'embauchent pas de docteur de mieux identifier les avantages d'un tel recrutement. À l'heure où la R&D a un rôle prépondérant dans la stratégie de compétitivité des entreprises, le fait de compter dans ses équipes quelqu'un qui connaît parfaitement son champ scientifique et l'état de la science constitue une plus-value que ne fournit pas un ingénieur. Par ailleurs, les docteurs sont par nature habitués à travailler selon les méthodes de l'innovation ouverte, laquelle constitue une ressource-clef pour la performance et la compétitivité de nos entreprises. N'oublions pas enfin que le crédit d'impôt recherche (CIR) bonifie l'embauche de jeunes docteurs.
Frank Reynier a évoqué la question de la prise en compte des coûts indirects dans les contrats conclus avec l'ANR. Il faut rappeler que la prise en compte de ces coûts se faisait jusqu'au 1er juillet 2015 à un taux de 15 %. À 19 % nous sommes encore en dessous des 25 % pratiqués par l'Union européenne mais, compte tenu de la contrainte budgétaire, je ne suis pas certain que l'on puisse aller au-delà.
En ce qui concerne l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), il est amené à jouer un rôle déterminant dans la capacité de notre pays à opérer sa transformation numérique. Mais il faut savoir que le numérique est un axe transversal de la stratégie nationale de recherche et que son financement va bien au-delà de la seule loi de finances. Les PIA financent par exemple de nombreux projets en lien avec le numérique – je pense notamment aux appels à projets concernant France très haut débit, les quartiers numériques de la French Tech, les concours d'innovation numérique, la fourniture de services publics numériques ou encore les initiatives d'excellence en formations innovantes numériques (IDEFI-N).
Dans ces différentes lignes du PIA, une seule relève de notre ministère, les IDEFI-N, auxquelles il a été prévu d'affecter un montant de 12 millions d'euros destinés à accompagner une quinzaine de projets présélectionnés. Par ailleurs, d'autres filières d'excellence comme les IDEC, les ISIT, les EQUIPEX ou les LABEX doivent aussi comporter un volet numérique. Cela étant, le débat reste ouvert sur la pertinence de réunir dans un sous-ensemble spécifique, permettant de mieux les identifier, l'ensemble de ces enjeux numériques.
Philippe Plisson m'a interrogé sur les priorités du programme 190, piloté par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. La recherche est en effet un levier essentiel de la transition énergétique et, plus largement, des politiques conduites par ce ministère. Ce sont 1,4 milliard d'euros qui seront cette année alloués aux organismes de recherche pour faire progresser la connaissance, fournir les données nécessaires à l'éclairage des politiques et encourager l'innovation.
Dans le domaine de l'énergie, 630 millions d'euros sont prévus au PLF pour le maintien du secteur nucléaire et pour le développement des nouvelles technologies de l'énergie.
S'agissant de la recherche dans le domaine des transports, de la construction et de l'aménagement, 102 millions d'euros seront alloués à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFFSTTAR) et au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), afin de mettre l'accent sur la prévention du changement climatique, l'adaptation à ses effets et la mise en oeuvre de la transition énergétique et écologique.
S'agissant de la recherche dans le domaine des risques, 180 millions d'euros sont mobilisés au bénéfice de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), afin d'optimiser les systèmes de prévention des risques et de renforcer la qualité des activités d'expertise de ces deux organismes. Enfin, 50 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2015 seront consacrés au démantèlement des installations nucléaires du CEA.
Ce sont des efforts assez significatifs, auxquels s'ajoutent tous les crédits destinés à la recherche industrielle aéronautique, qui bénéficieront en priorité au programme Airbus post-2020, porteur de très forts enjeux industriels et commerciaux, un accent tout particulier étant mis sur les performances environnementales puisqu'elles sont un facteur clef de réussite pour une révolution technologique ambitieuse.
Les programmes incitatifs de recherche ont pour objectif d'accompagner l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques du ministère. Ils mobilisent les organismes publics de recherche et sont en cela complémentaires des programmes mis en oeuvre par l'ANR ou l'ADEME. L'objectif de maîtrise des dépenses a conduit, depuis 2015, à ne pas engager de nouveaux moyens sur cette ligne, priorité étant donnée au maintien des dotations de recherche des opérateurs financés sur le programme 190. Cela suppose de leur part des efforts de priorisation et des allégements d'effectifs. Les 6 millions d'euros inscrits au programme en 2016 seront donc uniquement des crédits de paiement, destinés à couvrir les engagements antérieurs. Les conseils scientifiques des différents programmes de recherche pilotés par le ministère pourront toutefois être mobilisés en appui des différentes politiques sectorielles et des actions lancées avec les moyens des programmes correspondants. La ministre de l'écologie a fait savoir qu'elle s'attachera par ailleurs à poursuivre la mobilisation et la valorisation des travaux de recherche utiles à l'accompagnement des politiques qu'elle est chargée de mettre en oeuvre.
Charles-Ange Ginesy m'a interrogé sur les programmes 172 et 193, et fait part de ses inquiétudes au sujet de l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), qui connaît des problèmes de financement. Ces difficultés ont justifié l'octroi d'un complément de moyens en fin d'année dernière. Afin d'avoir une vision claire de l'évolution de la situation financière de l'IRSTEA et de ses perspectives stratégiques, le ministre de l'agriculture et moi-même avons diligenté un double audit de cet organisme par les inspections générales des deux ministères. Parallèlement, il a également été fait appel à un cabinet de conseil privé. Les résultats de ces travaux nous parviendrons d'ici à fin novembre. Nous étudierons alors les mesures à mettre en place pour consolider cet établissement.
En ce qui concerne l'endettement du Centre national d'études spatiales (CNES), cet organisme étant un opérateur de l'État, il ne peut donc contracter des emprunts supérieurs à un an. Cela étant, la contribution de la France à l'Agence spatiale européenne (ESA) transite en effet par le CNES. Pour 2016, la part de la contribution française à l'Agence inscrite au programme 193 se monte à 824 millions d'euros, à quoi s'ajouteront les crédits du PIA et une partie de la cession des parts d'Arianespace. Cela représente une progression de 7,3 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2015. Ce montant est strictement conforme à la programmation de moyen terme adopté par le conseil d'administration du CNES en juin dernier. Cela va conduire à partir de 2016 à une hausse de la dette de financement à l'égard de l'ESA. Ce déficit devrait être résorbé à l'horizon 2024. Pour le moment la France est en léger excédent de financement en raison d'efforts budgétaires et d'un strict contrôle des engagements. C'est probablement cet effort qu'il faudra prolonger dans la durée.