Avec une augmentation de 2 % en autorisations d'engagement et de 1,43 % en crédits de paiement, ce budget 2016 est en tout point conforme aux orientations de la loi de programmation militaire telle que nous l'avons actualisée en juillet dernier. C'est donc sans surprise que je dévoile tout de suite ma conclusion en émettant un avis favorable au projet de loi de finances pour 2016 pour les crédits de l'armée de terre, tout simplement parce que ce budget est un bon budget.
En ce qui concerne les personnels c'est, comme vous le savez, le déploiement massif de l'armée de terre sur le territoire national après les attentats de janvier 2015 qui a conduit le Gouvernement à anticiper l'actualisation de la LPM, avec une mesure qui revoit à la hausse le format de l'armée de terre pour l'adapter à son nouveau contrat opérationnel, bien sûr pour pourvoir aux besoins de l'opération Sentinelle, mais également afin de répondre aux menaces extérieures. C'est la première fois, après des années de baisse continue, que nous assistons à un renforcement aussi significatif de la force opérationnelle terrestre : d'ici à la fin de l'année 2016, ses effectifs vont augmenter de plus de 15 % pour atteindre 77 000 hommes. Les opérations de recrutement ont commencé, et constituent d'ores et déjà un succès : les candidats sont nombreux et le niveau ne baisse pas. Les recrutements continueront l'an prochain, et le PLF 2016 finance cette augmentation d'effectifs.
Davantage d'hommes suppose davantage de matériels et des équipements plus performants. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2016 tient là aussi les promesses de la loi de programmation militaire : les crédits de matériels augmentent, et les commandes prévues par la LPM pour 2016 pourront être passées. En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle des matériels existant, je note que si les crédits d'entretien programmé des matériels sont également en hausse, ce sujet doit être l'objet d'une extrême vigilance compte tenu du vieillissement des matériels et de leurs conditions d'utilisation extrêmement dures en opération extérieure.
Ce projet de loi de finances prévoit également les crédits nécessaires à un retour à la normale en matière de préparation opérationnelle. En 2015, nombre d'activités de préparation opérationnelle avaient dû être reportées, non faute de crédits, mais faute d'hommes disponibles : pour assurer Sentinelle sans désarmer nos OPEX, il fallait mobiliser une large part des personnels disponibles. À ce propos, pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que l'évolution des effectifs en 2016 permettra bien de retrouver des taux de rotation compatibles avec 83 journées de préparation opérationnelle par soldat ?
Vous le savez : Sentinelle a bouleversé beaucoup de choses pour l'armée de terre, principale force engagée. C'est pourquoi j'ai choisi d'y consacrer la partie thématique de mon rapport. Sans reprendre ici tout le raisonnement, j'aimerais faire rapidement quelques observations.
Tout d'abord, Sentinelle est un succès pour l'armée de terre qui a réussi à déployer 10 308 militaires en six jours, et les soutiens ont tenu. C'est aussi une inflexion dans nos plans de protection du territoire. Certes, le déploiement de 10 000 hommes en urgence était inscrit dans les contrats opérationnels, mais il n'avait jamais été prévu de tenir cette posture dans la durée : la décision du Président de la République décide de pérenniser Sentinelle, le 29 avril dernier, a marqué un changement profond. Sans attendre les résultats des différentes études tant gouvernementales que parlementaires prévus pour la fin de l'année, j'ouvrirai quelques pistes de réflexion résultant de mes auditions.
Si, sans conteste, le déploiement massif de nos armées sur le territoire national est dans la continuité de leurs actions à l'extérieur – l'adversaire étant le même – il convient cependant de s'interroger sur le concept même « d'opération intérieure », tout autant du point de vue politique que du point de vue juridique. Nos armées sont sur le territoire national, au milieu de leur population et pas sur un d'opérations. Si j'ai bien compris que dans l'urgence, et par ailleurs certainement pour entamer les discussions sur les financements interministériels de Sentinelle, cet intitulé « d'opération intérieure » a été trouvé, je pense qu'il contient trop d'ambiguïtés sur la nature même de la mission et sur son évolution dans la durée.
De même, il faut bien analyser les conséquences pour l'armée de terre d'une mission dont nous savons qu'elle sera forcément longue, voire très longue : je pense là, entre autres, à la lassitude de la mission, même si la posture est aujourd'hui plus dynamique, ou à l'éloignement des familles, peut-être moins bien compris que lorsqu'il s'agit d'une opération extérieure.
Il faut également réorganiser le dispositif pour que Sentinelle intervienne bien en complémentarité des forces de sécurité intérieure, pas pour pallier leur manque d'effectifs. Enfin, dans le cadre de la réflexion sur l'évolution de Vigipirate entamée par le Secrétariat général de défense et de sécurité nationale (SGDSN), il est impérieux que le gouvernement se donne les moyens de moduler avec souplesse l'utilisation de nos armées, tout particulièrement en 2016, année plus compliquée pour l'armée de terre tant que tous les recrutements n'ont pas eu lieu.