Je suis très émue d'être en ces lieux où j'ai été attachée parlementaire pendant trois ans. Je suis ravie d'y revenir dans d'autres circonstances et de constater que mon article, jeté comme une bouteille à la mer, a atteint son but : je suis là pour essayer de faire en sorte que la législation évolue.
Vous m'interrogez sur le revenge porn ou « vengeance pornographique » dont le principe est celui-ci : l'ex-compagnon – dans 95 % des cas, les victimes sont des femmes – diffuse sur des supports numériques, sites pornographiques amateurs ou autres, des photos ou des vidéos intimes qui ont été prises avant la rupture. Après avoir défendu plusieurs victimes de ce type de violence, j'ai trouvé que la loi était inadaptée et que la réponse judiciaire était très loin d'être à la hauteur du tsunami qu'elles vivaient. Dans mon bureau, j'ai pu constater le désarroi de mes clientes, qui venaient le plus souvent accompagnées de leur mari. D'où la publication de cet article qui tendait à vous interpeller.
En faisant un tour d'horizon des législations étrangères, j'ai constaté que dix-sept États américains sur cinquante avaient légiféré dans ce domaine, chacun à sa manière : les faits peuvent être qualifiés d'agression sexuelle ou de harcèlement sexuel, mais il y a toujours des peines de prison à la clef. Pour ce type d'infraction, la loi canadienne prévoit une peine d'emprisonnement de cinq ans maximum. Je sais que la peine de prison n'empêche par le meurtre. Pour autant, le quantum de la peine peut avoir un effet dissuasif ou au moins contribuer à la prise de conscience que ces faits constituent une infraction. Au Japon et en Australie, la peine de prison encourue est de trois ans. Les Israéliens ont inventé le concept de viol virtuel, qui me paraît très juste, et prévu une peine de cinq ans de prison et l'inscription des auteurs de ces infractions au registre des agresseurs sexuels. L'Angleterre a aussi légiféré dans ce domaine, après la mort d'une jeune fille.
Vu l'ampleur du phénomène, pour pallier les carences des États, Google a instauré un droit à l'oubli dont peuvent se prévaloir les personnes qui n'arrivent pas à détruire des contenus – images ou propos – qui leur portent atteinte, ou à les faire supprimer par l'éditeur ou l'hébergeur du site. Il est désormais possible de solliciter Google via un formulaire qui se trouve en ligne : vous adressez une requête en expliquant les raisons pour lesquelles vous voulez voir oublié ce qui est encore diffusé sur internet ; elle peut être acceptée ou refusée. Depuis juin 2015, Google a prévu un formulaire spécifique pour les vengeances pornographiques qui laminent une vie. Le dispositif a été repris par Twitter et Redit.
Pour rester dans l'actualité, je peux vous citer deux affaires que j'ai lues dans la presse et qui m'ont interpellée. Une jeune Martiniquaise de quinze ans vient de tenter de se suicider après que son ex-compagnon a diffusé leurs ébats sexuels sur Facebook. La deuxième affaire a été jugée à Metz et concerne une femme qui avait quitté son mari et qui était retournée vivre chez ses parents avec ses enfants. Son ex-conjoint l'a immédiatement inscrite sur un site de rencontres. Il y a publié des photos et la nouvelle adresse de son ex-femme, invitant les hommes à se présenter chez elle. Condamné une première fois, il a réitéré. Début septembre, un nouveau jugement l'a condamné à un an de prison ferme – je ne sais pas s'il exécutera ou non cette peine – et 13 500 euros d'amende. Quoi qu'il en soit, la vie de son ex-femme a été d'autant plus bouleversée qu'elle était enseignante dans un collège : ses élèves ont su ce qui s'était passé et elle a dû changer d'établissement.
Pour ma part, en septembre dernier, j'ai plaidé devant le tribunal correctionnel de Bobigny l'affaire d'une inspectrice des impôts qui est sortie avec l'un de ses collègues. Un jour qu'il était chez elle, il a fait semblant de recharger son téléphone sur l'ordinateur de ma cliente. En fait, il a subtilisé toutes les photos de madame. Trois jours plus tard, des photos intimes d'elle avec son ancien compagnon sont arrivées sur sa messagerie électronique et sur celle de ses collègues. D'abord, elle n'a pas compris ce qui se passait. Elle a pensé que c'était son ancien compagnon qui lui portait ce mauvais coup. Elle a déposé plainte au commissariat. Il a fallu beaucoup de temps pour remonter à l'auteur de l'infraction, et je reviendrai sur ce point. Les conséquences ont été dramatiques pour ma cliente, d'autant que la direction générale des impôts a été informée de l'affaire et l'a changée d'établissement. Alors que les faits remontent à 2011, il vient seulement d'être condamné pour la première fois, quatre ans plus tard.