Intervention de Delphine Meillet

Réunion du 6 octobre 2015 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Delphine Meillet, avocate au barreau de Paris :

En effet. Concrètement, je rédige tout de suite ma requête avec une ordonnance et je vais devant le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris car, dans ce genre d'affaires où la diffusion des contenus est très large, il existe une sorte de compétence universelle des tribunaux. Je sollicite une date de référé : si je vais le voir jeudi, il va me programmer le mardi suivant, par exemple. Le délai peut paraître court sauf pour les victimes qui vivent un enfer. Lors de l'audience, si j'ai l'identité de l'auteur, je vais plaider pour qu'il soit condamné le plus rapidement possible. Si je n'ai pas l'identité de l'auteur, je vais demander des requêtes IP, pour Internet Protocol, afin que tous les fournisseurs d'accès – Orange, SFR et autres – soient sollicités dans le cadre de la recherche de l'adresse internet de l'auteur des faits. Une fois que nous avons l'adresse IP, le fournisseur doit être de nouveau sollicité pour que nous puissions avoir accès aux données personnelles attachées à cette adresse. C'est long et compliqué.

Revenons à l'article 226-1 du code pénal, aux termes duquel : « Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de volontairement porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui ». Vient ensuite un alinéa sur la captation d'enregistrements, auquel je ne me suis pas intéressée : l'affaire Bettencourt a donné le « la » en ce domaine. Je vous lis le deuxième alinéa : « En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé. » Et là, vous avez un petit alinéa supplémentaire qui dit ceci : « Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. » Les choses ont évolué depuis la rédaction de cette loi.

Je me permets de détailler les cinq éléments constitutifs de l'infraction : la fixation, l'enregistrement ou transmission de l'image d'une personne, dans un lieu privé, par l'emploi d'un procédé quelconque, sans le consentement de cette personne, avec l'élément intentionnel de nuire.

Premier problème : le lieu privé. Les questions que vous nous avez adressées dans la perspective de cette audition me laissent penser que vous en aviez bien conscience, et il faudrait faire évoluer le texte sur ce point. Dans mes dossiers, le lieu privé était absolument établi puisque les photos étaient prises dans une chambre, mais le problème peut se poser à l'avenir. Un lieu est considéré comme public lorsqu'il est accessible à toute personne sans autorisation particulière – une rue, par exemple – ou lorsqu'il est accessible à certaines heures ou sous certaines conditions – une salle de restaurant ou de spectacle, par exemple. A contrario, un lieu privé est celui où quiconque ne peut pénétrer ou accéder sans le consentement de l'occupant. Se pose la question de la piscine ou de la plage. Les juges ont eu notamment à se prononcer dans une affaire où une femme avait été photographiée seins nus sur une plage. Dès lors que cette plage était accessible à tous les estivants, ils ont considéré qu'il ne s'agissait pas d'un lieu privé et que les faits ne tombaient pas sous le coup de la loi.

Si l'élément intentionnel – la volonté de porter atteinte à la vie privée d'autrui – ne pose pas de difficulté, il n'en va pas de même avec la question du consentement. Le texte n'est pas clair et certains magistrats se sont déjà fourvoyés là où il ne fallait pas qu'ils aillent. De quel consentement s'agit-il ? De la captation de l'image, de la diffusion de l'image ? À l'époque, les rédacteurs de la loi devaient penser à la captation de l'image. La preuve du consentement doit être apportée par le prévenu et elle peut être établie par tout moyen, comme toujours au pénal.

En outre, à la fin de l'article, il y a ce fameux aliéna qui établit une présomption de consentement : « Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. » J'ai cherché le fondement de cette mesure. J'ai compris qu'en introduisant cette restriction, le législateur a voulu montrer que le consentement n'est pas souvent donné de manière expresse et écrite, ce qui peut se comprendre.

Mais il faut vraiment clarifier cette question de présomption de consentement, et pour vous en convaincre, je vous ai apporté un exemple de décision. Certes, il s'agit d'un arrêt de la cour d'appel de Montpellier et non pas de la Cour de cassation, et il date de 2006, mais tout de même. On peut lire : « Le tribunal correctionnel a relaxé M. B. au motif que les photos litigieuses ont été prises avec l'accord de Mme S. et que dès lors il ne pouvait être fait application des dispositions de l'article 226-2 du code pénal qui sanctionne la conservation et diffusion d'images obtenues sans l'accord de la personne photographiée. » Elle était d'accord pour que les photos soient prises, donc elle était d'accord pour qu'elles soient diffusées. Voilà ce qu'ont compris les magistrats de la cour d'appel de Montpellier en confirmant la décision de relaxe.

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