Je vous remercie très sincèrement de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. Vous le savez, j'attache la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale, et c'est pour moi autant un rendez-vous majeur qu'un honneur de m'exprimer devant vous.
Permettez-moi de commencer – et croyez bien qu'il ne s'agit pas d'un procédé rhétorique – par vous remercier pour le soutien sans faille que vous nous avez apporté lors des débats sur la défense, et pour la dynamique que vous avez su leur insuffler. Cela a encore été particulièrement sensible lors de l'université d'été de la défense qui s'est tenue le mois dernier à Strasbourg. Votre discours, madame la présidente, en a constitué un moment fort. Merci donc pour cette relation de confiance entre vous, les parlementaires, et nous, les militaires !
La dernière fois que je suis venu m'exprimer devant vous, c'était en mai dernier à l'occasion de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM), décidée par le président de la République, sous l'impulsion du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Aujourd'hui, avec le projet de loi de finances pour 2016 qui permet d'entrer dans la première annuité de cette LPM actualisée, il s'agit donc, en quelque sorte, de l'application de votre vote du mois de juillet dernier.
Je vous parlerai, comme je l'ai toujours fait, avec objectivité et modération, en tout cas, je l'espère, mais aussi avec conviction, et en totale confiance. J'ai conscience de clore le cycle des auditions de votre commission relative au PLF pour 2016, en conséquence, si vous le permettez, je ne rentrerai pas dans les détails chiffrés du projet de loi, car ils vous ont déjà été plusieurs fois exposés. Je m'attacherai plutôt à vous présenter la vision par les armées des enjeux du PLF 2016.
En tant que chef militaire, si je voulais résumer mon propos, je dirais que j'attends de cette année 2016 qu'elle traduise la cohérence entre les moyens qui sont octroyés à nos armées et les missions qui leur sont confiées, telle que la LPM actualisée l'a décidé. J'articulerai en conséquence mon propos en trois parties : d'abord, le contexte sécuritaire, ensuite, notre modèle d'armée, et, enfin, mes préoccupations.
Le contexte sécuritaire se complexifie sous nos yeux ; il augmente mécaniquement les missions de nos armées. Notre modèle d'armée garantit la cohérence entre les missions et les moyens. Quant à mes préoccupations, je les aborderai en toute transparence et vérité.
Le contexte sécuritaire est marqué par la gravité, l'urgence et la complexité des crises géopolitiques, ainsi que par un niveau de menace inédit depuis de nombreuses années. Ce contexte mouvant conditionne les missions de nos armées, celles d'aujourd'hui et aussi celles de demain. Les menaces augmentent et se rapprochent. Daech au Levant, AQMI au Sahel, Boko Haram au Nigeria : nous n'avons pas le droit de détourner le regard. Demain il sera trop tard ; nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Pour bien comprendre les ressorts de cette violence, je voudrais vous présenter les quatre lignes de forces qui sont à mes yeux la toile de fond des crises, et qui mettent au défi l'efficacité de nos propres forces.
Le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure constitue une première ligne de force. Cette tendance se confirme. Les crises extérieures ont des répercussions directes sur le territoire national et sur l'espace européen : le retour de combattants français à l'étranger et, dans un autre registre, l'ampleur du phénomène des migrants en sont les deux illustrations les plus criantes. Dans tous les cas, les menaces et les défis sont transfrontaliers. Je constate qu'aujourd'hui, certains États se comportent parfois comme des bandes armées alors que certaines bandes armées prétendent constituer des États et agissent comme tels. Les menaces de la force et de la faiblesse décrites dans le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale sont toujours présentes, mais la menace du non-droit progresse, à l'image du phénomène Daech. Il y a donc un lien de plus en plus fort entre la défense de l'avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la sécurité de l'arrière, c'est-à-dire la protection de nos concitoyens sur le théâtre national.
Le phénomène du terrorisme international dessine une deuxième ligne de force. Incarné par Al-Qaïda, Daech et leurs affidés, il renvoie à la radicalisation djihadiste et répond à une stratégie délibérée : la recherche de la rupture par une surenchère de terreur. Sa propagande, véhiculée par les réseaux sociaux est offensive et de grande « qualité » technique. Son bilan est efficace et, ne nous leurrons pas, elle exerce une attractivité certaine sur une partie de notre propre population, notamment sur notre jeunesse. En cela, elle menace notre société et elle place la violence au coeur de notre démocratie. La menace est sérieuse. Il suffit de regarder quelques faits pour s'en convaincre : 2 700 comptes Twitter pro-Daech en langue française relaient la propagande djihadiste, et environ 20 % des combattants dits étrangers, présents aujourd'hui même au Levant, sont francophones, parmi lesquels on dénombre environ cinq cents Français.
Une troisième ligne de force peut être observée : l'avance technologique, qui nous donnait d'office l'ascendant, se réduit sous l'effet des modes d'action qui visent à la contourner. Ces modes d'action limitent les avantages liés à la technologie. Il s'agit des cyber-attaques, des engins explosifs improvisés, des snipers, des attaques suicides, des actions dans les champs de l'influence et de la perception. Nous les avons affrontés en Afghanistan, au Mali, et maintenant nous les affrontons au Levant. Qui peut dire qu'ils ne viendront pas demain jusqu'à nous ? La technologie reste indispensable, mais elle n'est pas suffisante. Nous réfléchissons à la façon d'adapter nos équipements à cette tendance.
La contradiction de plus en plus flagrante entre la gestion du temps court et la nécessité d'inscrire l'action dans le temps long constitue une quatrième et dernière ligne de force. Nous en parlions hier au colloque « COP21 et Défense ». Avec l'information instantanée et continue, la pression pour une réponse immédiate s'applique partout et à tous alors que l'histoire nous montre que la résolution d'une crise demande en moyenne une quinzaine d'années d'endurance, de constance et de persévérance. En réagissant sous le coup de l'émotion à un événement circonstanciel, nous courrons le risque de la précipitation et du micro-management, qui peuvent provoquer des réponses inappropriées au regard des enjeux réels et au regard de nos objectifs stratégiques. Plus grave encore, nos perceptions biaisées pourraient conduire à des décisions hâtives quant à nos aptitudes militaires, comme l'abandon de telle ou telle composante sous prétexte qu'elle serait mal adaptée à la menace la plus proche. Nous ne devons pas baisser la garde, ni adapter notre outil de défense aux seuls combats d'aujourd'hui. Gardons le juste recul pour appréhender l'avenir incertain et « penser l'impensable », pour reprendre les termes du stratège et diplomate que fut François de Rose ! L'histoire est parfois cruelle sur ce plan. Les choix du PLF pour 2016 s'inscrivent aussi dans cet esprit d'attention au temps long et à la complétude de notre spectre des capacités, aujourd'hui et demain. C'est en cela que ce texte me semble être un bon projet.
L'addition ou la combinaison de ces quatre lignes de force a pour conséquence de modifier profondément la physionomie des crises dont l'intensité et la simultanéité conduisent déjà à un engagement important de nos armées.
Cet engagement passe d'abord par la dissuasion nucléaire, qui garantit la survie de la Nation en sanctuarisant ses intérêts vitaux. C'est la première de nos missions et notre ultime assurance. Je ne développerai pas ce point aujourd'hui.
Il passe ensuite par nos opérations extérieures dont je tiens à faire devant vous un rapide tour d'horizon.
Au Levant, nous sommes engagés dans l'opération Chammal, au sein de la coalition internationale qui lutte contre Daech. Nous sommes aussi présents au Liban, avec l'opération Daman, au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) où la situation sécuritaire est en lien étroit avec les événements de Syrie et d'Irak.
En Irak, les efforts coordonnés de la coalition et des forces de sécurité ont permis de stopper l'élan initial de Daech ; il ne faut pas l'oublier. Nos actions aériennes ont été efficaces, et elles le sont toujours, mais l'opération Inherent Resolve s'inscrit dans le temps long car la victoire sera celle des troupes locales, au sol. Leur montée en puissance prendra du temps.
Parce que le centre de gravité de Daech se trouve désormais en Syrie, il était important d'étendre nos actions au théâtre syrien, et d'être capable d'effectuer, si nécessaire, des frappes de riposte si notre sol était visé. Les opérations au-dessus de la Syrie ont permis d'améliorer notre connaissance de Daech, en particulier du phénomène des combattants étrangers. Nos frappes du 26 septembre et du 8 octobre derniers ont déjà exploité cette capacité de renseignement.
Après le Levant, où nous intervenons comme équipier au sein de la coalition, je voudrais évoquer le Sahel, où nous agissons en pilote. Je crois que nous pouvons être fiers du rôle que la France y a joué depuis janvier 2013. Par notre intervention, nous avons évité que le Sahel ne devienne « l'état terroriste islamiste » du continent africain car, souvenez-vous en, le but des groupes armés terroristes au Mali était d'y installer un califat. La force Barkhane a obtenu d'indéniables succès en matière de renforcement de la sécurité et de lutte antiterroriste. Elle poursuit résolument son action contre les terroristes et conforte jour après jour son partenariat avec les forces des pays du G5 Sahel qui montent en puissance et prennent déjà à leur compte une partie de la sécurité de la région, notamment dans les zones transfrontalières, zones privilégiées de transit des groupes armés terroristes.
En agissant au Sahel et au Levant, en y combattant les groupes armés terroristes, en y recueillant des renseignements sur les intentions hostiles de nos ennemis, nous luttons contre l'installation et le développement de sanctuaires à partir desquels ces derniers pourraient venir nous frapper. En agissant au Sahel et au Levant, en contribuant à un environnement plus sûr, nous luttons également contre la misère et la terreur qui poussent des millions d'hommes, de femmes et d'enfants à fuir leurs pays dans l'espoir d'une vie meilleure.
Je termine ce rapide tour d'horizon des OPEX, avec l'opération Sangaris, en République centrafricaine (RCA), et avec l'opération EUNAVFOR Med, en Méditerranée.
L'opération Sangaris a évité un véritable génocide, un désastre humanitaire ainsi qu'une probable partition de la RCA. Elle a atteint son but avec la transmission du flambeau à la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA), qui a permis à la force Sangaris d'adopter un format de « force de réaction rapide » qui compte aujourd'hui neuf cents hommes. Cette force est indispensable au soutien de la MINUSCA, car les groupes armés conservent un pouvoir de nuisance important. Dans la phase actuelle de transition, ils cherchent à tester notre détermination : les affrontements de ces dernières semaines en sont une illustration. L'étape suivante sera évidemment la tenue d'élections libres. J'espère qu'elles auront lieu dans les mois à venir.
En Méditerranée, nous sommes présents avec la frégate Courbet dans l'opération EUNAVFOR Med, désormais baptisée « Sophia », qui lutte contre les filières criminelles des passeurs. Nous sommes en effet confrontés à l'augmentation du nombre de réfugiés et de migrants. Une telle situation risque de profiter à certains terroristes qui pourraient utiliser ces mouvements à leurs propres fins. Nous ne pouvons pas l'exclure, c'est l'une de mes craintes.
Sans être exhaustif, je vous ai présenté les éléments qui me semblent les plus importants de cette défense de l'avant que constituent nos opérations extérieures. S'agissant maintenant de la défense territoriale, nos armées protègent les approches maritimes et aériennes. Elles sont « primo intervenantes » dans ce domaine par leur posture permanente de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des avions de chasse et des hélicoptères se tiennent prêts à décoller en quelques minutes, à partir de nos bases aériennes, pour intercepter tout aéronef suspect survolant notre espace aérien, et cinquante-neuf sémaphores de la marine se répartissent la surveillance des 5 800 kilomètres de côtes de métropole, tandis que des aéronefs et des bâtiments déployés en mer sur chaque façade maritime contribuent à cette surveillance et se tiennent prêts à intervenir en cas de nécessité. Sur ce terrain encore, les armées sont aux avant-postes de la sécurité des Français.
Sur le sol national, les armées viennent en appui et en complément de l'action des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile. Parce qu'elles sont spécialistes de l'urgence et du chaos, elles sont régulièrement sollicitées pour des missions de secours à nos concitoyens touchés par les conséquences des tempêtes ou des intempéries, ou lors d'événements exceptionnels comme le crash de l'A320 de la compagnie Germanwings, en mars dernier. J'évoque ces missions car chacune d'entre elles s'ajoute aux précédentes.
Aujourd'hui, avec la mission Sentinelle qui se déroule sur le territoire national, nous sommes face à un changement stratégique majeur. Il s'agit d'abord d'un changement en volume. Avec 7 000 soldats engagés chaque jour, et la capacité de monter jusqu'à 10 000 hommes sur court préavis, le « volume » de l'opération Sentinelle est plus de quatre fois supérieur à ce qui existait auparavant. C'est considérable ! Il s'agit ensuite d'un changement en nature : nous faisons face à une menace durable, élevée, protéiforme. Nous devons la prendre en compte et trouver la bonne réponse en complément des forces de sécurité intérieure bien sûr, sans compromettre nos engagements futurs. Une réflexion doctrinale interministérielle est en cours pour répondre à ces changements afin que la mission Sentinelle ne soit pas qu'une excroissance du dispositif Vigipirate, mais une véritable plus-value stratégique en complément des forces de sécurité intérieure.
L'apport de nos armées à la protection des Français à l'intérieur de nos frontières est essentiel. La mission Sentinelle rassure nos concitoyens ; la grande popularité de nos soldats le prouve. De plus, Sentinelle envoie un message fort à nos adversaires et montre la force et la détermination de notre pays : nous ne permettrons pas que des actions de guerre soient commises sur notre sol. La protection de la France et des Français demeure la vocation première des forces armées.
Pour autant, dans les mois à venir, le volume des forces engagées sur le territoire national restera une source de fragilité : tant que les manoeuvres de recrutement et de formation de l'armée de terre ne seront pas terminées, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année 2016 ou au début de l'année 2017, des renoncements perdureront pour garantir les effectifs de Sentinelle.
Mon devoir est de vous dire que nous vivons actuellement sur le capital opérationnel que nous avons construit ces dernières années. Nous pouvons encore nous le permettre, mais sans une force terrestre comptant 77 000 soldats, notre capacité opérationnelle s'effriterait inexorablement. C'est la raison pour laquelle les décisions que vous avez adoptées en juillet dernier en faveur d'une moindre déflation des effectifs – vous avez sauvegardé 18 750 postes – étaient indispensables. Cet effort en effectif, caractéristique forte de l'année 2016, est plus qu'un objectif : c'est un impératif.
Je rappelle que le soldat qui est actuellement engagé dans Sentinelle est le même que celui qui, demain, partira au Sahel combattre au sein de la force Barkhane. Sa préparation opérationnelle, autrement dit son entraînement, n'est donc pas négociable, sauf à le mettre en danger, et il s'agirait d'un danger de mort.
Au quotidien, sur l'ensemble du territoire, dans une discrétion et avec une abnégation qui les honorent, nos soldats veillent sur vous, sur les Français. Ils méritent notre reconnaissance et notre attention ; ils méritent, au minimum, d'avoir les moyens de leurs missions. Le PLF 2016 que nous étudions aujourd'hui les leur donne. Tel est, en tout cas, mon opinion.
Pour conclure sur ce premier point relatif au contexte sécuritaire, je dirais que nous connaissons en la matière une situation qui se dégrade. Si l'on dresse un bilan de la situation, la tendance est toujours à plus de missions pour nos armées, car, aux missions opérationnelles, il faut encore ajouter tout le reste. Je pense à l'environnement de soutien et de gestion, mais aussi au soutien aux exportations, ou encore à nos actions en faveur de la cohésion nationale avec le service militaire volontaire. Soyons clairs : notre modèle d'armée ne pouvait plus subir davantage de réduction !
Cela m'amène au deuxième des trois points que je souhaite aborder : notre modèle d'armée. Quelles réponses le PLF pour 2016 apporte-t-il en la matière ?
Le PLF 2016 est la traduction cohérente des mesures prises dans le cadre de la loi actualisant la LPM. Il donne aux armées, aux directions et aux services, les moyens strictement nécessaires à leurs missions et permet de préserver la cohérence de notre modèle. Cette cohérence est d'abord celle d'un bon équilibre entre les fonctions stratégiques telles qu'elles sont inscrites dans notre Livre blanc. Ces fonctions restent une matrice pour penser la réponse à la violence, réponse qui doit être globale.
S'agissant des effectifs, l'année 2016 sera exceptionnelle puisqu'elle verra, pour la première fois depuis de nombreuses années, un solde net positif avec la création de 2 300 postes, principalement dédiés à la force opérationnelle terrestre, mais aussi aux domaines de la protection, du renseignement et de la cyberdéfense. Cela est nécessaire.
La fonction dissuasion est maintenue à son niveau actuel de juste suffisance. Le budget qui y est consacré garantit la disponibilité et la performance de la dissuasion nucléaire dans ses deux composantes complémentaires : océanique et aérienne.
Pour la fonction protection, le budget propose une consolidation en vue d'adapter la protection de notre personnel et de nos emprises aux nouvelles menaces. La défense opérationnelle du territoire devra être ajustée au nouveau contexte en assurant la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre. Est également prévue l'optimisation, voire le renouvellement dans certains cas, des moyens militaires contribuant à l'action de l'État en mer, à la défense maritime du territoire et à la posture permanente de sûreté aérienne, ainsi qu'à l'organisation territoriale interarmées de défense qui constitue la charpente de notre dispositif.
Pour la fonction connaissance-anticipation, un effort est consenti, avec un plan de recrutement à hauteur de 560 postes supplémentaires en 2016 – renseignement et cyberdéfense –, et la poursuite des grands programmes qui garantiront à la France l'autonomie de sa capacité d'appréciation des situations avec, notamment, le programme de capacité de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) spatiale et d'autres équipements pour le recueil du renseignement tactique et la surveillance de zones à risques. En 2016, le processus d'acquisition des drones MALE se poursuivra également avec la commande d'un troisième système et la livraison du deuxième.
Pour la fonction intervention, nous constatons à la fois une régénération et une adaptation. Elles nous permettront de garantir notre capacité autonome d'intervention et d'assurer notre rôle de nation cadre au sein d'une éventuelle coalition. Un premier axe d'effort concerne l'entretien programmé des matériels et leur régénération pour les plus sollicités d'entre eux en opération. Dans le contexte actuel de fort engagement que je vous ai décrit, il s'agit de reconstituer au plus tôt et durablement le potentiel des matériels les plus affectés. Un second axe est relatif aux acquisitions supplémentaires destinées à adapter notre dispositif aux conditions de nos engagements dans les domaines de la mobilité, de l'initiative, de l'endurance et de l'anticipation. Je ne citerai que l'exemple de quelques matériels qui me tiennent particulièrement à coeur : les quatre avions de transport C-130, les six hélicoptères de transport NH90, les sept hélicoptères de combat Tigre et, pour la marine, le bâtiment de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) et le bâtiment multi-missions (B2M).
Nous constatons enfin un maintien de la fonction prévention qui est essentielle, car elle permet de prévenir les crises et d'agir au plus tôt. C'est ce que nous faisons, par exemple, avec l'opération Corymbe, dans le golfe de Guinée. Elle contribue à la prévention des actes de piraterie, ainsi qu'à la protection des intérêts commerciaux français. C'est aussi le rôle très important joué par nos forces prépositionnées en Afrique : elles sont un atout majeur pour notre pays, pour sa capacité d'action et parfois de réaction.
Le PLF 2016 donne les moyens pour mettre en oeuvre notre modèle d'armée, dont la cohérence est assurée par cet équilibre entre les fonctions stratégiques. Cependant, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C'est pour cela que les armées, directions et services poursuivent leur transformation portée par notre projet commun, Cap 2020, qui, autour de l'équipe des chefs d'état-major d'armée, est mis en oeuvre résolument. Vous connaissez les trois projets d'armées – dénommés « Au contact » pour l'armée de terre, « Horizon Marine 2025 », et « Unis pour faire face » pour l'armée de l'air – et ceux des directions et services ; ils sont tous synchrones et coordonnés. Ce projet global de transformation opérationnelle et organique constitue une grande avancée. Il nous évitera probablement le syndrome du maillon faible, qui peut conduire à la défaite, car c'est bien toujours cette adéquation entre moyens et missions qui me préoccupe.
J'en viens au troisième volet de mon exposé. Mes préoccupations sont malheureusement nombreuses mais, pour rester synthétique, j'en ai retenu quatre principales : le budget, la protection et la défense de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines, j'allais parler de richesses humaines, et le moral.
Un premier point de vigilance concerne le budget. Quelle que soit la programmation budgétaire initiale, je crains toujours, d'expérience, le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu : je ne ferai preuve d'aucune souplesse sur ce sujet. Elles nous sont indispensables pour la bonne combinaison entre les moyens et les missions que je viens d'évoquer. Trois questions méritent que nous leur portions une attention particulière.
La fin de gestion de 2015, tout d'abord, car elle conditionne la bonne « mise sur les rails » de l'année 2016. L'ensemble des crédits de la mission « Défense » doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015 selon le volume prévu par la loi de finance initiale, soit 31,4 milliards d'euros, dont 2,14 milliards de crédits budgétaires substitués aux ressources exceptionnelles qui devront être inscrits dans la loi de finances rectificative de fin d'année. Au-delà de ces crédits, pour ne pas hypothéquer l'avenir, et pour respecter les décisions prises dans le cadre de l'actualisation, notamment celles relatives aux équipements, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements traditionnels de fin d'année. Cela correspond à environ 950 millions d'euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, au-delà de la provision initiale, Sentinelle, et la révision de la trajectoire de déflation des effectifs avec la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre.
À titre d'illustration, la décision de non-remboursement sur la durée de la LPM de l'opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements ainsi qu'une partie de celles dédiées à l'achat d'équipement. Cela ne serait ni raisonnable ni concevable, sauf à remettre en question l'actualisation de la LPM que vous venez de voter, sauf à accepter de dégrader encore le report de charges, sauf à remettre en question nos capacités d'engagement opérationnel.
Ensuite, le projet de loi de finances lui-même mérite évidemment notre attention. L'année 2016 constitue la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l'effort de défense dans un contexte de dégradation du contexte sécuritaire. En termes de ressources, le PLF 2016 est conforme à la LPM actualisée avec un budget de 31,976 milliards d'euros, soit 600 millions supplémentaires par rapport à la LPM initiale pour la période 2014-2019. Il sécurise la ressource de la mission « Défense » en budgétisant les ressources exceptionnelles (REX) tirées de la cession de fréquences hertziennes à hauteur de 1,6 milliard d'euros. Néanmoins, l'annuité 2016 reste soumise à plusieurs risques. À ceux que je viens d'évoquer concernant la fin de gestion de 2015, en particulier ceux relatifs au remboursement de l'opération Sentinelle, s'ajoutent ceux relatifs à la réalisation des 250 millions d'euros de cessions – il s'agit des dernières recettes exceptionnelles provenant, pour 200 millions, de cessions immobilières, et, pour 50 millions, de cessions de matériels – et ceux liés à la réalité des gains attendus de l'évolution du coût des facteurs.
Cette question du coût des facteurs constitue la troisième de mes préoccupations relatives au budget. Sur la durée de la LPM, les gains liés à l'évolution favorable des indices économiques doivent permettre de financer un milliard d'euros d'équipements dont nous avons, je vous l'ai montré, absolument besoin. Toutefois, nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Si l'effet « coût des facteurs » est indiscutable, je rappelle que nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes, notamment sur le fonctionnement. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d'achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. Ces charges nouvelles liées à l'application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduisent d'autant l'effet positif du coût des facteurs. La différence entre les économies liées à l'évolution du coût des facteurs et ces charges additionnelles constituera le bénéfice net qui, je l'espère, s'élèvera à hauteur d'un milliard d'euros sur la période. Ce sujet fait l'objet actuellement d'une nouvelle mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA), dont les conclusions sont attendues pour la fin de l'année.
Un deuxième point de vigilance porte sur la protection défense : la protection des installations militaires.
La menace terroriste visant notre pays concerne aussi, peut-être même surtout, les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles. Il s'agit de se protéger sans se renfermer. Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l'externalisation de certaines fonctions comme le gardiennage. Peut-être sommes-nous parfois allés trop loin depuis vingt ans ? Nous devons impliquer tout le personnel militaire et civil affecté sur chaque emprise dans une défense collective, cohérente et coordonnée. Par ailleurs, la coordination interministérielle, au niveau du renseignement, peut probablement encore progresser, notamment au niveau local. Elle est en effet nécessaire pour accroître le niveau des postures de protection au regard de la réalité de la menace d'aujourd'hui. La protection et la défense de nos emprises militaires contribuent directement à la capacité de résilience de notre pays.
Le troisième point de vigilance que je souhaite évoquer est relatif à notre modèle de ressources humaines (RH).
La qualité humaine est la vraie force de nos armées, j'en suis de plus en plus persuadé. C'est pour cela que le modèle RH constitue une partie intégrante du modèle d'armée, et que sa rénovation s'inscrit dans le cadre de la transformation. C'est un chantier majeur, car je crois en la jeunesse. Je crois en la jeunesse de mon pays et en celle que nous recrutons ; je crois en ses talents, en son enthousiasme. Nous pouvons lui faire confiance, et pour qu'elle puisse exprimer tout son potentiel, nous voulons un modèle RH plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus souple, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées. Nous voulons rétablir l'adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-Nation pour une armée professionnelle, et précieux renfort pour les unités d'active. Le budget des réserves est porté à 88 millions d'euros en 2016 soit 17 millions de plus que dans la LPM initiale. Sur la période 2016-2019, cela correspond à 75 millions d'euros supplémentaires. Nous avons plus que jamais besoin de ces professionnels à temps partiel. Ces éléments sont l'ambition de la refonte de notre modèle RH qui a un seul but : former l'armée de nos besoins, celle dont la France a besoin.
J'en viens à un quatrième et dernier point de vigilance, probablement le plus important : l'état du moral des troupes. Je l'évoque à chacune de mes auditions, car il est une part déterminante de la capacité opérationnelle. « Comment est le moral de nos armées ? » Partout où je me rends, l'on me pose cette même question. Ce moral est aujourd'hui contrasté : excellent en opération, il est plus fragile en garnison et dans les états-majors, notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller, comme le fait tout bon chef.
Oui, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service ! Face aux dangers qui montent, ils ont pleinement conscience de leurs responsabilités, croyez-moi ! Leur moral est ainsi excellent dès qu'ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate lorsque je leur rends visite en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement. Pour eux, la mission est sacrée : ils l'accomplissent jusqu'au bout, avec fierté et enthousiasme, au besoin au péril de leur propre vie. Au moment où je vous parle, nous venons de rapatrier trois blessés du Mali, l'un d'entre eux se trouvant dans un état grave.