La séance est ouverte à quinze heures.
Pour clore les auditions que tient notre commission sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2016, nous entendons cet après-midi le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. Général, nous vous recevons habituellement au début de ce cycle, mais votre venue aujourd'hui est particulièrement utile après que nous avons entendu les différents chefs d'état-major, en raison notamment du nombre et de l'importance des opérations aujourd'hui menées par les forces armées.
La question de l'exécution budgétaire a déjà été abordée devant nous, en particulier par M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement. Il s'agit d'un sujet auquel nous sommes attentifs : je proposerai que notre commission et la commission des Finances agissent ensemble afin de vérifier dans le détail que l'exécution budgétaire est bien au rendez-vous. Nous devons faire en sorte que l'ensemble des programmes de l'année 2015 soient lancés et exécutés.
Je vous remercie très sincèrement de m'accueillir une nouvelle fois au sein de votre commission. Vous le savez, j'attache la plus grande importance à ces échanges directs avec la représentation nationale, et c'est pour moi autant un rendez-vous majeur qu'un honneur de m'exprimer devant vous.
Permettez-moi de commencer – et croyez bien qu'il ne s'agit pas d'un procédé rhétorique – par vous remercier pour le soutien sans faille que vous nous avez apporté lors des débats sur la défense, et pour la dynamique que vous avez su leur insuffler. Cela a encore été particulièrement sensible lors de l'université d'été de la défense qui s'est tenue le mois dernier à Strasbourg. Votre discours, madame la présidente, en a constitué un moment fort. Merci donc pour cette relation de confiance entre vous, les parlementaires, et nous, les militaires !
La dernière fois que je suis venu m'exprimer devant vous, c'était en mai dernier à l'occasion de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM), décidée par le président de la République, sous l'impulsion du ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian. Aujourd'hui, avec le projet de loi de finances pour 2016 qui permet d'entrer dans la première annuité de cette LPM actualisée, il s'agit donc, en quelque sorte, de l'application de votre vote du mois de juillet dernier.
Je vous parlerai, comme je l'ai toujours fait, avec objectivité et modération, en tout cas, je l'espère, mais aussi avec conviction, et en totale confiance. J'ai conscience de clore le cycle des auditions de votre commission relative au PLF pour 2016, en conséquence, si vous le permettez, je ne rentrerai pas dans les détails chiffrés du projet de loi, car ils vous ont déjà été plusieurs fois exposés. Je m'attacherai plutôt à vous présenter la vision par les armées des enjeux du PLF 2016.
En tant que chef militaire, si je voulais résumer mon propos, je dirais que j'attends de cette année 2016 qu'elle traduise la cohérence entre les moyens qui sont octroyés à nos armées et les missions qui leur sont confiées, telle que la LPM actualisée l'a décidé. J'articulerai en conséquence mon propos en trois parties : d'abord, le contexte sécuritaire, ensuite, notre modèle d'armée, et, enfin, mes préoccupations.
Le contexte sécuritaire se complexifie sous nos yeux ; il augmente mécaniquement les missions de nos armées. Notre modèle d'armée garantit la cohérence entre les missions et les moyens. Quant à mes préoccupations, je les aborderai en toute transparence et vérité.
Le contexte sécuritaire est marqué par la gravité, l'urgence et la complexité des crises géopolitiques, ainsi que par un niveau de menace inédit depuis de nombreuses années. Ce contexte mouvant conditionne les missions de nos armées, celles d'aujourd'hui et aussi celles de demain. Les menaces augmentent et se rapprochent. Daech au Levant, AQMI au Sahel, Boko Haram au Nigeria : nous n'avons pas le droit de détourner le regard. Demain il sera trop tard ; nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Pour bien comprendre les ressorts de cette violence, je voudrais vous présenter les quatre lignes de forces qui sont à mes yeux la toile de fond des crises, et qui mettent au défi l'efficacité de nos propres forces.
Le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure constitue une première ligne de force. Cette tendance se confirme. Les crises extérieures ont des répercussions directes sur le territoire national et sur l'espace européen : le retour de combattants français à l'étranger et, dans un autre registre, l'ampleur du phénomène des migrants en sont les deux illustrations les plus criantes. Dans tous les cas, les menaces et les défis sont transfrontaliers. Je constate qu'aujourd'hui, certains États se comportent parfois comme des bandes armées alors que certaines bandes armées prétendent constituer des États et agissent comme tels. Les menaces de la force et de la faiblesse décrites dans le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale sont toujours présentes, mais la menace du non-droit progresse, à l'image du phénomène Daech. Il y a donc un lien de plus en plus fort entre la défense de l'avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la sécurité de l'arrière, c'est-à-dire la protection de nos concitoyens sur le théâtre national.
Le phénomène du terrorisme international dessine une deuxième ligne de force. Incarné par Al-Qaïda, Daech et leurs affidés, il renvoie à la radicalisation djihadiste et répond à une stratégie délibérée : la recherche de la rupture par une surenchère de terreur. Sa propagande, véhiculée par les réseaux sociaux est offensive et de grande « qualité » technique. Son bilan est efficace et, ne nous leurrons pas, elle exerce une attractivité certaine sur une partie de notre propre population, notamment sur notre jeunesse. En cela, elle menace notre société et elle place la violence au coeur de notre démocratie. La menace est sérieuse. Il suffit de regarder quelques faits pour s'en convaincre : 2 700 comptes Twitter pro-Daech en langue française relaient la propagande djihadiste, et environ 20 % des combattants dits étrangers, présents aujourd'hui même au Levant, sont francophones, parmi lesquels on dénombre environ cinq cents Français.
Une troisième ligne de force peut être observée : l'avance technologique, qui nous donnait d'office l'ascendant, se réduit sous l'effet des modes d'action qui visent à la contourner. Ces modes d'action limitent les avantages liés à la technologie. Il s'agit des cyber-attaques, des engins explosifs improvisés, des snipers, des attaques suicides, des actions dans les champs de l'influence et de la perception. Nous les avons affrontés en Afghanistan, au Mali, et maintenant nous les affrontons au Levant. Qui peut dire qu'ils ne viendront pas demain jusqu'à nous ? La technologie reste indispensable, mais elle n'est pas suffisante. Nous réfléchissons à la façon d'adapter nos équipements à cette tendance.
La contradiction de plus en plus flagrante entre la gestion du temps court et la nécessité d'inscrire l'action dans le temps long constitue une quatrième et dernière ligne de force. Nous en parlions hier au colloque « COP21 et Défense ». Avec l'information instantanée et continue, la pression pour une réponse immédiate s'applique partout et à tous alors que l'histoire nous montre que la résolution d'une crise demande en moyenne une quinzaine d'années d'endurance, de constance et de persévérance. En réagissant sous le coup de l'émotion à un événement circonstanciel, nous courrons le risque de la précipitation et du micro-management, qui peuvent provoquer des réponses inappropriées au regard des enjeux réels et au regard de nos objectifs stratégiques. Plus grave encore, nos perceptions biaisées pourraient conduire à des décisions hâtives quant à nos aptitudes militaires, comme l'abandon de telle ou telle composante sous prétexte qu'elle serait mal adaptée à la menace la plus proche. Nous ne devons pas baisser la garde, ni adapter notre outil de défense aux seuls combats d'aujourd'hui. Gardons le juste recul pour appréhender l'avenir incertain et « penser l'impensable », pour reprendre les termes du stratège et diplomate que fut François de Rose ! L'histoire est parfois cruelle sur ce plan. Les choix du PLF pour 2016 s'inscrivent aussi dans cet esprit d'attention au temps long et à la complétude de notre spectre des capacités, aujourd'hui et demain. C'est en cela que ce texte me semble être un bon projet.
L'addition ou la combinaison de ces quatre lignes de force a pour conséquence de modifier profondément la physionomie des crises dont l'intensité et la simultanéité conduisent déjà à un engagement important de nos armées.
Cet engagement passe d'abord par la dissuasion nucléaire, qui garantit la survie de la Nation en sanctuarisant ses intérêts vitaux. C'est la première de nos missions et notre ultime assurance. Je ne développerai pas ce point aujourd'hui.
Il passe ensuite par nos opérations extérieures dont je tiens à faire devant vous un rapide tour d'horizon.
Au Levant, nous sommes engagés dans l'opération Chammal, au sein de la coalition internationale qui lutte contre Daech. Nous sommes aussi présents au Liban, avec l'opération Daman, au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) où la situation sécuritaire est en lien étroit avec les événements de Syrie et d'Irak.
En Irak, les efforts coordonnés de la coalition et des forces de sécurité ont permis de stopper l'élan initial de Daech ; il ne faut pas l'oublier. Nos actions aériennes ont été efficaces, et elles le sont toujours, mais l'opération Inherent Resolve s'inscrit dans le temps long car la victoire sera celle des troupes locales, au sol. Leur montée en puissance prendra du temps.
Parce que le centre de gravité de Daech se trouve désormais en Syrie, il était important d'étendre nos actions au théâtre syrien, et d'être capable d'effectuer, si nécessaire, des frappes de riposte si notre sol était visé. Les opérations au-dessus de la Syrie ont permis d'améliorer notre connaissance de Daech, en particulier du phénomène des combattants étrangers. Nos frappes du 26 septembre et du 8 octobre derniers ont déjà exploité cette capacité de renseignement.
Après le Levant, où nous intervenons comme équipier au sein de la coalition, je voudrais évoquer le Sahel, où nous agissons en pilote. Je crois que nous pouvons être fiers du rôle que la France y a joué depuis janvier 2013. Par notre intervention, nous avons évité que le Sahel ne devienne « l'état terroriste islamiste » du continent africain car, souvenez-vous en, le but des groupes armés terroristes au Mali était d'y installer un califat. La force Barkhane a obtenu d'indéniables succès en matière de renforcement de la sécurité et de lutte antiterroriste. Elle poursuit résolument son action contre les terroristes et conforte jour après jour son partenariat avec les forces des pays du G5 Sahel qui montent en puissance et prennent déjà à leur compte une partie de la sécurité de la région, notamment dans les zones transfrontalières, zones privilégiées de transit des groupes armés terroristes.
En agissant au Sahel et au Levant, en y combattant les groupes armés terroristes, en y recueillant des renseignements sur les intentions hostiles de nos ennemis, nous luttons contre l'installation et le développement de sanctuaires à partir desquels ces derniers pourraient venir nous frapper. En agissant au Sahel et au Levant, en contribuant à un environnement plus sûr, nous luttons également contre la misère et la terreur qui poussent des millions d'hommes, de femmes et d'enfants à fuir leurs pays dans l'espoir d'une vie meilleure.
Je termine ce rapide tour d'horizon des OPEX, avec l'opération Sangaris, en République centrafricaine (RCA), et avec l'opération EUNAVFOR Med, en Méditerranée.
L'opération Sangaris a évité un véritable génocide, un désastre humanitaire ainsi qu'une probable partition de la RCA. Elle a atteint son but avec la transmission du flambeau à la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA), qui a permis à la force Sangaris d'adopter un format de « force de réaction rapide » qui compte aujourd'hui neuf cents hommes. Cette force est indispensable au soutien de la MINUSCA, car les groupes armés conservent un pouvoir de nuisance important. Dans la phase actuelle de transition, ils cherchent à tester notre détermination : les affrontements de ces dernières semaines en sont une illustration. L'étape suivante sera évidemment la tenue d'élections libres. J'espère qu'elles auront lieu dans les mois à venir.
En Méditerranée, nous sommes présents avec la frégate Courbet dans l'opération EUNAVFOR Med, désormais baptisée « Sophia », qui lutte contre les filières criminelles des passeurs. Nous sommes en effet confrontés à l'augmentation du nombre de réfugiés et de migrants. Une telle situation risque de profiter à certains terroristes qui pourraient utiliser ces mouvements à leurs propres fins. Nous ne pouvons pas l'exclure, c'est l'une de mes craintes.
Sans être exhaustif, je vous ai présenté les éléments qui me semblent les plus importants de cette défense de l'avant que constituent nos opérations extérieures. S'agissant maintenant de la défense territoriale, nos armées protègent les approches maritimes et aériennes. Elles sont « primo intervenantes » dans ce domaine par leur posture permanente de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne : vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des avions de chasse et des hélicoptères se tiennent prêts à décoller en quelques minutes, à partir de nos bases aériennes, pour intercepter tout aéronef suspect survolant notre espace aérien, et cinquante-neuf sémaphores de la marine se répartissent la surveillance des 5 800 kilomètres de côtes de métropole, tandis que des aéronefs et des bâtiments déployés en mer sur chaque façade maritime contribuent à cette surveillance et se tiennent prêts à intervenir en cas de nécessité. Sur ce terrain encore, les armées sont aux avant-postes de la sécurité des Français.
Sur le sol national, les armées viennent en appui et en complément de l'action des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile. Parce qu'elles sont spécialistes de l'urgence et du chaos, elles sont régulièrement sollicitées pour des missions de secours à nos concitoyens touchés par les conséquences des tempêtes ou des intempéries, ou lors d'événements exceptionnels comme le crash de l'A320 de la compagnie Germanwings, en mars dernier. J'évoque ces missions car chacune d'entre elles s'ajoute aux précédentes.
Aujourd'hui, avec la mission Sentinelle qui se déroule sur le territoire national, nous sommes face à un changement stratégique majeur. Il s'agit d'abord d'un changement en volume. Avec 7 000 soldats engagés chaque jour, et la capacité de monter jusqu'à 10 000 hommes sur court préavis, le « volume » de l'opération Sentinelle est plus de quatre fois supérieur à ce qui existait auparavant. C'est considérable ! Il s'agit ensuite d'un changement en nature : nous faisons face à une menace durable, élevée, protéiforme. Nous devons la prendre en compte et trouver la bonne réponse en complément des forces de sécurité intérieure bien sûr, sans compromettre nos engagements futurs. Une réflexion doctrinale interministérielle est en cours pour répondre à ces changements afin que la mission Sentinelle ne soit pas qu'une excroissance du dispositif Vigipirate, mais une véritable plus-value stratégique en complément des forces de sécurité intérieure.
L'apport de nos armées à la protection des Français à l'intérieur de nos frontières est essentiel. La mission Sentinelle rassure nos concitoyens ; la grande popularité de nos soldats le prouve. De plus, Sentinelle envoie un message fort à nos adversaires et montre la force et la détermination de notre pays : nous ne permettrons pas que des actions de guerre soient commises sur notre sol. La protection de la France et des Français demeure la vocation première des forces armées.
Pour autant, dans les mois à venir, le volume des forces engagées sur le territoire national restera une source de fragilité : tant que les manoeuvres de recrutement et de formation de l'armée de terre ne seront pas terminées, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année 2016 ou au début de l'année 2017, des renoncements perdureront pour garantir les effectifs de Sentinelle.
Mon devoir est de vous dire que nous vivons actuellement sur le capital opérationnel que nous avons construit ces dernières années. Nous pouvons encore nous le permettre, mais sans une force terrestre comptant 77 000 soldats, notre capacité opérationnelle s'effriterait inexorablement. C'est la raison pour laquelle les décisions que vous avez adoptées en juillet dernier en faveur d'une moindre déflation des effectifs – vous avez sauvegardé 18 750 postes – étaient indispensables. Cet effort en effectif, caractéristique forte de l'année 2016, est plus qu'un objectif : c'est un impératif.
Je rappelle que le soldat qui est actuellement engagé dans Sentinelle est le même que celui qui, demain, partira au Sahel combattre au sein de la force Barkhane. Sa préparation opérationnelle, autrement dit son entraînement, n'est donc pas négociable, sauf à le mettre en danger, et il s'agirait d'un danger de mort.
Au quotidien, sur l'ensemble du territoire, dans une discrétion et avec une abnégation qui les honorent, nos soldats veillent sur vous, sur les Français. Ils méritent notre reconnaissance et notre attention ; ils méritent, au minimum, d'avoir les moyens de leurs missions. Le PLF 2016 que nous étudions aujourd'hui les leur donne. Tel est, en tout cas, mon opinion.
Pour conclure sur ce premier point relatif au contexte sécuritaire, je dirais que nous connaissons en la matière une situation qui se dégrade. Si l'on dresse un bilan de la situation, la tendance est toujours à plus de missions pour nos armées, car, aux missions opérationnelles, il faut encore ajouter tout le reste. Je pense à l'environnement de soutien et de gestion, mais aussi au soutien aux exportations, ou encore à nos actions en faveur de la cohésion nationale avec le service militaire volontaire. Soyons clairs : notre modèle d'armée ne pouvait plus subir davantage de réduction !
Cela m'amène au deuxième des trois points que je souhaite aborder : notre modèle d'armée. Quelles réponses le PLF pour 2016 apporte-t-il en la matière ?
Le PLF 2016 est la traduction cohérente des mesures prises dans le cadre de la loi actualisant la LPM. Il donne aux armées, aux directions et aux services, les moyens strictement nécessaires à leurs missions et permet de préserver la cohérence de notre modèle. Cette cohérence est d'abord celle d'un bon équilibre entre les fonctions stratégiques telles qu'elles sont inscrites dans notre Livre blanc. Ces fonctions restent une matrice pour penser la réponse à la violence, réponse qui doit être globale.
S'agissant des effectifs, l'année 2016 sera exceptionnelle puisqu'elle verra, pour la première fois depuis de nombreuses années, un solde net positif avec la création de 2 300 postes, principalement dédiés à la force opérationnelle terrestre, mais aussi aux domaines de la protection, du renseignement et de la cyberdéfense. Cela est nécessaire.
La fonction dissuasion est maintenue à son niveau actuel de juste suffisance. Le budget qui y est consacré garantit la disponibilité et la performance de la dissuasion nucléaire dans ses deux composantes complémentaires : océanique et aérienne.
Pour la fonction protection, le budget propose une consolidation en vue d'adapter la protection de notre personnel et de nos emprises aux nouvelles menaces. La défense opérationnelle du territoire devra être ajustée au nouveau contexte en assurant la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre. Est également prévue l'optimisation, voire le renouvellement dans certains cas, des moyens militaires contribuant à l'action de l'État en mer, à la défense maritime du territoire et à la posture permanente de sûreté aérienne, ainsi qu'à l'organisation territoriale interarmées de défense qui constitue la charpente de notre dispositif.
Pour la fonction connaissance-anticipation, un effort est consenti, avec un plan de recrutement à hauteur de 560 postes supplémentaires en 2016 – renseignement et cyberdéfense –, et la poursuite des grands programmes qui garantiront à la France l'autonomie de sa capacité d'appréciation des situations avec, notamment, le programme de capacité de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) spatiale et d'autres équipements pour le recueil du renseignement tactique et la surveillance de zones à risques. En 2016, le processus d'acquisition des drones MALE se poursuivra également avec la commande d'un troisième système et la livraison du deuxième.
Pour la fonction intervention, nous constatons à la fois une régénération et une adaptation. Elles nous permettront de garantir notre capacité autonome d'intervention et d'assurer notre rôle de nation cadre au sein d'une éventuelle coalition. Un premier axe d'effort concerne l'entretien programmé des matériels et leur régénération pour les plus sollicités d'entre eux en opération. Dans le contexte actuel de fort engagement que je vous ai décrit, il s'agit de reconstituer au plus tôt et durablement le potentiel des matériels les plus affectés. Un second axe est relatif aux acquisitions supplémentaires destinées à adapter notre dispositif aux conditions de nos engagements dans les domaines de la mobilité, de l'initiative, de l'endurance et de l'anticipation. Je ne citerai que l'exemple de quelques matériels qui me tiennent particulièrement à coeur : les quatre avions de transport C-130, les six hélicoptères de transport NH90, les sept hélicoptères de combat Tigre et, pour la marine, le bâtiment de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH) et le bâtiment multi-missions (B2M).
Nous constatons enfin un maintien de la fonction prévention qui est essentielle, car elle permet de prévenir les crises et d'agir au plus tôt. C'est ce que nous faisons, par exemple, avec l'opération Corymbe, dans le golfe de Guinée. Elle contribue à la prévention des actes de piraterie, ainsi qu'à la protection des intérêts commerciaux français. C'est aussi le rôle très important joué par nos forces prépositionnées en Afrique : elles sont un atout majeur pour notre pays, pour sa capacité d'action et parfois de réaction.
Le PLF 2016 donne les moyens pour mettre en oeuvre notre modèle d'armée, dont la cohérence est assurée par cet équilibre entre les fonctions stratégiques. Cependant, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C'est pour cela que les armées, directions et services poursuivent leur transformation portée par notre projet commun, Cap 2020, qui, autour de l'équipe des chefs d'état-major d'armée, est mis en oeuvre résolument. Vous connaissez les trois projets d'armées – dénommés « Au contact » pour l'armée de terre, « Horizon Marine 2025 », et « Unis pour faire face » pour l'armée de l'air – et ceux des directions et services ; ils sont tous synchrones et coordonnés. Ce projet global de transformation opérationnelle et organique constitue une grande avancée. Il nous évitera probablement le syndrome du maillon faible, qui peut conduire à la défaite, car c'est bien toujours cette adéquation entre moyens et missions qui me préoccupe.
J'en viens au troisième volet de mon exposé. Mes préoccupations sont malheureusement nombreuses mais, pour rester synthétique, j'en ai retenu quatre principales : le budget, la protection et la défense de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines, j'allais parler de richesses humaines, et le moral.
Un premier point de vigilance concerne le budget. Quelle que soit la programmation budgétaire initiale, je crains toujours, d'expérience, le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu : je ne ferai preuve d'aucune souplesse sur ce sujet. Elles nous sont indispensables pour la bonne combinaison entre les moyens et les missions que je viens d'évoquer. Trois questions méritent que nous leur portions une attention particulière.
La fin de gestion de 2015, tout d'abord, car elle conditionne la bonne « mise sur les rails » de l'année 2016. L'ensemble des crédits de la mission « Défense » doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015 selon le volume prévu par la loi de finance initiale, soit 31,4 milliards d'euros, dont 2,14 milliards de crédits budgétaires substitués aux ressources exceptionnelles qui devront être inscrits dans la loi de finances rectificative de fin d'année. Au-delà de ces crédits, pour ne pas hypothéquer l'avenir, et pour respecter les décisions prises dans le cadre de l'actualisation, notamment celles relatives aux équipements, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements traditionnels de fin d'année. Cela correspond à environ 950 millions d'euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, au-delà de la provision initiale, Sentinelle, et la révision de la trajectoire de déflation des effectifs avec la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre.
À titre d'illustration, la décision de non-remboursement sur la durée de la LPM de l'opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements ainsi qu'une partie de celles dédiées à l'achat d'équipement. Cela ne serait ni raisonnable ni concevable, sauf à remettre en question l'actualisation de la LPM que vous venez de voter, sauf à accepter de dégrader encore le report de charges, sauf à remettre en question nos capacités d'engagement opérationnel.
Ensuite, le projet de loi de finances lui-même mérite évidemment notre attention. L'année 2016 constitue la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l'effort de défense dans un contexte de dégradation du contexte sécuritaire. En termes de ressources, le PLF 2016 est conforme à la LPM actualisée avec un budget de 31,976 milliards d'euros, soit 600 millions supplémentaires par rapport à la LPM initiale pour la période 2014-2019. Il sécurise la ressource de la mission « Défense » en budgétisant les ressources exceptionnelles (REX) tirées de la cession de fréquences hertziennes à hauteur de 1,6 milliard d'euros. Néanmoins, l'annuité 2016 reste soumise à plusieurs risques. À ceux que je viens d'évoquer concernant la fin de gestion de 2015, en particulier ceux relatifs au remboursement de l'opération Sentinelle, s'ajoutent ceux relatifs à la réalisation des 250 millions d'euros de cessions – il s'agit des dernières recettes exceptionnelles provenant, pour 200 millions, de cessions immobilières, et, pour 50 millions, de cessions de matériels – et ceux liés à la réalité des gains attendus de l'évolution du coût des facteurs.
Cette question du coût des facteurs constitue la troisième de mes préoccupations relatives au budget. Sur la durée de la LPM, les gains liés à l'évolution favorable des indices économiques doivent permettre de financer un milliard d'euros d'équipements dont nous avons, je vous l'ai montré, absolument besoin. Toutefois, nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées. Si l'effet « coût des facteurs » est indiscutable, je rappelle que nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes, notamment sur le fonctionnement. Dès lors, nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d'achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités. Par ailleurs, le ministère doit faire face à des dépenses non prévues au moment du vote de la LPM. Ces charges nouvelles liées à l'application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique, réduisent d'autant l'effet positif du coût des facteurs. La différence entre les économies liées à l'évolution du coût des facteurs et ces charges additionnelles constituera le bénéfice net qui, je l'espère, s'élèvera à hauteur d'un milliard d'euros sur la période. Ce sujet fait l'objet actuellement d'une nouvelle mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA), dont les conclusions sont attendues pour la fin de l'année.
Un deuxième point de vigilance porte sur la protection défense : la protection des installations militaires.
La menace terroriste visant notre pays concerne aussi, peut-être même surtout, les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos militaires et de leurs familles. Il s'agit de se protéger sans se renfermer. Nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l'externalisation de certaines fonctions comme le gardiennage. Peut-être sommes-nous parfois allés trop loin depuis vingt ans ? Nous devons impliquer tout le personnel militaire et civil affecté sur chaque emprise dans une défense collective, cohérente et coordonnée. Par ailleurs, la coordination interministérielle, au niveau du renseignement, peut probablement encore progresser, notamment au niveau local. Elle est en effet nécessaire pour accroître le niveau des postures de protection au regard de la réalité de la menace d'aujourd'hui. La protection et la défense de nos emprises militaires contribuent directement à la capacité de résilience de notre pays.
Le troisième point de vigilance que je souhaite évoquer est relatif à notre modèle de ressources humaines (RH).
La qualité humaine est la vraie force de nos armées, j'en suis de plus en plus persuadé. C'est pour cela que le modèle RH constitue une partie intégrante du modèle d'armée, et que sa rénovation s'inscrit dans le cadre de la transformation. C'est un chantier majeur, car je crois en la jeunesse. Je crois en la jeunesse de mon pays et en celle que nous recrutons ; je crois en ses talents, en son enthousiasme. Nous pouvons lui faire confiance, et pour qu'elle puisse exprimer tout son potentiel, nous voulons un modèle RH plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus souple, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées. Nous voulons rétablir l'adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-Nation pour une armée professionnelle, et précieux renfort pour les unités d'active. Le budget des réserves est porté à 88 millions d'euros en 2016 soit 17 millions de plus que dans la LPM initiale. Sur la période 2016-2019, cela correspond à 75 millions d'euros supplémentaires. Nous avons plus que jamais besoin de ces professionnels à temps partiel. Ces éléments sont l'ambition de la refonte de notre modèle RH qui a un seul but : former l'armée de nos besoins, celle dont la France a besoin.
J'en viens à un quatrième et dernier point de vigilance, probablement le plus important : l'état du moral des troupes. Je l'évoque à chacune de mes auditions, car il est une part déterminante de la capacité opérationnelle. « Comment est le moral de nos armées ? » Partout où je me rends, l'on me pose cette même question. Ce moral est aujourd'hui contrasté : excellent en opération, il est plus fragile en garnison et dans les états-majors, notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller, comme le fait tout bon chef.
Oui, les hommes et les femmes de nos armées ont un sens aigu du service ! Face aux dangers qui montent, ils ont pleinement conscience de leurs responsabilités, croyez-moi ! Leur moral est ainsi excellent dès qu'ils sont directement employés pour la défense de notre pays. Je le constate lorsque je leur rends visite en opération extérieure ou intérieure, là où se concrétise le sens de leur engagement. Pour eux, la mission est sacrée : ils l'accomplissent jusqu'au bout, avec fierté et enthousiasme, au besoin au péril de leur propre vie. Au moment où je vous parle, nous venons de rapatrier trois blessés du Mali, l'un d'entre eux se trouvant dans un état grave.
Mais je constate aussi ce que note par ailleurs le Haut comité à l'évaluation de la condition militaire (HCECM) dans son dernier rapport : « Il existe parfois un sentiment d'une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories sociales. » Ce sentiment résulte aussi d'années d'efforts consentis par les militaires. Je rappelle qu'il y a quarante ans, l'armée de terre comptait 210 régiments contre 79 aujourd'hui, la marine nationale alignait 123 bâtiments de premier rang contre 57 aujourd'hui, et l'on dénombrait 68 bases aériennes alors qu'elles sont 25 actuellement. Nous avons aujourd'hui moins de militaires qu'il n'y avait de professionnels avant la professionnalisation !
Nous devons être attentifs à ces femmes et ces hommes qui enchaînent les missions sans se plaindre, qui supportent les dysfonctionnements de Louvois avec courage, qui font passer leur devoir avant leurs droits – ce n'est pas si courant ; ils ont besoin de notre reconnaissance et de notre soutien sans faille. Nos militaires défendent avec foi les valeurs de notre pays. La liberté, ils combattent pour elle ; l'égalité, ils la vivent sous l'uniforme chaque jour ; la fraternité est leur quotidien.
Pour éviter que le moral ne se dégrade, je suis persuadé que l'on gagnerait à prendre en compte dans les mois et les années à venir les préconisations du HCECM en matière de condition du militaire pour l'avenir. C'est un enjeu opérationnel ; c'est, pour moi, un point d'attention majeur !
Mesdames, messieurs les députés, pour conclure, je dirai que la force ne nourrit ni le terrorisme, ni la misère. Au contraire, quand la force avance, la violence recule, comme le montrent nos résultats dans la bande sahélo-saharienne. Madame la présidente, je reprends les mots que vous avez employés lors de la dernière université d'été de la défense : « Depuis vingt-cinq ans, les dividendes de la paix ont été largement touchés. » Alors restons particulièrement attentifs à la situation sécuritaire qui se dégrade sous nos yeux, et vigilants quant aux moyens qui sont donnés à nos armées ! Le contexte sécuritaire actuel renforce la pertinence des choix faits lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire. Ils sont déclinés dans le PLF pour 2016. Ne baissons pas la garde, restons attentifs à l'évolution de la menace, et unis derrière les hommes et les femmes qui risquent leur vie, sous l'uniforme de nos armées, pour défendre la France et les Français ! Vous pouvez compter sur mon engagement sans faille et sur ma totale loyauté.
Au nom des membres de cette commission, qui sont pleinement conscients des enjeux actuels et des besoins de notre défense, je tenais à vous dire l'admiration que nous ressentons pour les hommes et les femmes de nos armées que nous rencontrons sur le territoire national ou en OPEX.
Les parlementaires français sont quasiment les seuls en Europe à se déplacer pour aller au-devant des militaires. Nous le faisons naturellement, et une habitude s'est désormais créée de part et d'autre en la matière. Nous tenons à ce contact qui explique peut-être aussi la très bonne connaissance qu'ont les parlementaires des sujets militaires, et le fait qu'ils comprennent les besoins que vous avez exprimés.
Je vous l'ai dit, avec la commission des Finances, nous serons particulièrement vigilants concernant la fin de gestion de l'année 2015. Notre commission sera évidemment mobilisée, comme elle l'est toujours, pour ce qui concerne le budget pour 2016. Elle le restera en 2017 et au-delà, car nous savons que la remontée en puissance de nos armées, qui a bel et bien commencé – le budget progresse et la déflation des effectifs régresse même si elle persiste –, ne peut s'opérer que sur le long cours et qu'elle n'a pas de sens sur un temps bref.
En tout état de cause, le budget pour 2016 devra être exécuté. Il sera respecté comme a été respectée la loi de programmation militaire depuis le début de la législature, ce qui constitue, je le dis en toute sérénité, une première depuis très longtemps. Il faudrait certes en faire peut-être encore plus, mais la situation financière du pays étant celle que nous connaissons, les efforts consentis sont bien réels. Ils devront se poursuivre sur le temps long.
Mon général, au-delà de sa franchise, je perçois dans votre intervention beaucoup de volontarisme mais surtout beaucoup d'inquiétude, en particulier lorsque vous évoquez vos préoccupations.
Où en êtes-vous des acquisitions de matériels prévues dans le cadre de l'exercice budgétaire 2015 ? Aujourd'hui, 2,2 milliards d'euros de ressources exceptionnelles (REX) sont « rebudgétisées », auxquelles il faut ajouter le financement des OPEX et des OPINT pour environ 950 millions d'euros supplémentaires. Nous sommes donc proches des trois milliards de mesures nouvelles. Nous craignons tous une transformation intégrale ou partielle en report de charges qui obérerait les efforts théoriques annoncés de 600 millions d'euros de mesures nouvelles, destinées notamment à absorber le coût de l'opération Sentinelle. Où en est par exemple le financement prévu des frégates multi-missions (FREMM) et pour l'A400M, qui devait reposer sur les sociétés de projet ou special purpose vehicle (SPV) ?
M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration, que nous entendions mardi dernier, a évoqué pour la première fois sa part de l'effort du ministère de la Défense consacré aux coûts des facteurs, soit 13 millions d'euros sur les 250 millions prévus pour l'exercice 2016. Quelle part respective revient aux trois armées dans l'effort consenti ? Il serait inquiétant que vous ne le sachiez pas encore car, comme vous disiez vous-même, il s'agit un effort important lié à l'acquisition d'équipements pour nos forces.
Vous évoquez le chiffre de 2 300 personnels nouveaux mais l'effort réel, en particulier en matière de formation initiale, concerne l'intégration de 11 000 hommes. Alors qu'il faut aussi financer les OPINT, les OPEX, et la mission Cuirasse de protection des installations militaires, serez-vous en capacité d'assurer la formation initiale et la préparation de nos troupes pour la fin de l'année 2016 ou pour le début de 2017 ? Seront-elles prêtes pour réaliser deux à trois missions OPINT et une mission OPEX, quelquefois une mission OPEX et demie ?
Mon général, comme Mme la présidente, je tiens à remercier à travers vous l'ensemble de nos forces qui effectuent un travail remarquable avec un engagement exceptionnel, dans les conditions que nous connaissons.
Je m'interroge tout d'abord sur la fin de gestion de l'année 2015. Un financement a été annoncé qui doit permettre de boucher un trou béant ; pour ma part, je n'ai toujours rien vu. On nous promet une loi de finances rectificative : comme Saint Thomas, je croirai quand je verrai ! Je prends néanmoins acte des bonnes intentions de notre présidente ; je sais qu'elle s'est personnellement engagée sur le sujet et je ne mets en aucun cas en cause son honnêteté.
Comme d'autres collègues, je me pose aussi des questions sur le bien-fondé doctrinal de l'utilisation de l'armée dans des missions qui, à mon sens, ne relèvent pas d'elle. Ce que je la vois faire au quotidien en tant qu'élu de Paris dans le cadre de l'opération Sentinelle, mon général, ce n'est pas un travail de militaires – et encore moins un travail de militaires qui doivent s'entraîner pour intervenir en OPEX durant la même année. Cela n'est bon, à mon avis, ni pour le moral, ni pour l'entraînement, ni pour les finances de l'armée. Dans un pays durablement engagé dans une guerre contre le terrorisme – car telle est notre réalité pour des années, que nous aimions cela ou pas –, il faut que nous disposions de moyens dimensionnés pour ce combat, qui ne soient pas ceux de l'armée de terre. Il serait bon que le Parlement soit associé à la « réflexion doctrinale interministérielle » que vous évoquiez.
Je m'interroge ensuite sur le bien-fondé dans la durée d'opérations extrêmement lourdes et complexes dans lesquelles notre pays est engagé comme Barkhane ou Chammal. À votre avis, est-il raisonnable de s'embarquer dans des opérations telles que Barkhane sans vision précise de la façon dont on peut en sortir ? S'agit-il d'une d'opération de gardiennage de la zone sahélienne pour les deux prochaines décennies ? Cela changerait tout, y compris pour l'organisation de nos forces. Les questions sont multiples également concernant l'opération Chammal, notamment en matière de coordination, alors que se croisent dans le même ciel des avions américains, turcs et russes. Comment éviter l'incident ?
Quid enfin du fondement juridique de cette opération ? L'article 51 de la Charte des Nations unies suffit-il à justifier une intervention ? Jusqu'à ce jour la France n'intervenait que si elle disposait d'un mandat de l'ONU, ou si elle y avait été invitée par un État étranger – ce qui n'est, de toute évidence, pas le cas. Le traitement de nos concitoyens qui ont la mauvaise idée de combattre nos soldats pose également un problème juridique. En France, nous les gardons en prison et nous continuons à payer leurs droits sociaux ; sur le terrain, manifestement, nous les tuons. Inévitablement, mon général, vous serez en première ligne pour régler ce problème de droit, même si vous n'êtes pas concerné puisque vous appliquez les ordres.
Mon général, je vous prie de bien vouloir excuser mon départ prématuré : retenu par d'autres obligations, je ne puis malheureusement assister à la suite de cette audition, mais je lirai avec attention le compte rendu des réponses que vous voudrez bien m'apporter.
Lorsque nous vous avons entendu, au mois de mai dernier, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, vous vous réjouissiez de la montée en puissance de la réserve que vous comptiez réorganiser dans les territoires. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Lors de cette audition, vous aviez également insisté sur l'importance des menaces nouvelles dont la menace cyber. Qu'en est-il aujourd'hui de la réorganisation de nos services de renseignement d'intérêt militaire – je sais qu'une éventuelle mutualisation avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avait été évoquée ainsi que la création d'un centre d'analyse de la menace cyber ?
MM. Lamour et Lellouche ont évoqué la fin de gestion de l'année 2015. J'ai rangé ce sujet parmi mes préoccupations, mais je vous ai surtout dit qu'il faisait l'objet d'une vigilance particulière de ma part. Des engagements ont été pris et je n'ai aucune raison de ne pas avoir confiance.
Aujourd'hui deux programmes sur douze sont engagés et il en sera ainsi jusqu'à la deuxième quinzaine de décembre lorsque tomberont les 2,2 milliards d'euros de la loi de finances rectificative. Nous prenons évidemment toutes les dispositions avec la DGA pour que soient ensuite immédiatement engagés l'ensemble des programmes, ce qui est désormais techniquement possible grâce aux systèmes actuels. Je fais confiance, et je ne suis pas plus inquiet que cela. Une promesse claire a été faite, il n'y a pas de raison qu'elle ne soit pas tenue. Et puis 2,2 milliards, cela se voit un peu. (Sourires.) Cela dit, la confiance n'excluant pas le contrôle, je ferai les additions à la fin de l'année, et je verrai bien si j'ai mon contenu physique et mon contenu financier.
Il n'y a aucune raison pour que nous constations un glissement physico-financier de fin de gestion sur les programmes. S'il me manquait les 950 millions d'euros, cela se traduirait mécaniquement soit par un glissement physique soit par un glissement financier, autrement dit par un accroissement du report de charges. Aujourd'hui, le report de charges est de 3,45 milliards d'euros. Nous avons pour ambition de le réduire le plus rapidement possible car la situation l'exige.
Nous n'avons pas de raison d'imaginer le pire. Certes, dans une situation difficile, nous ne sommes pas à l'abri d'un amendement qui réduirait nos crédits, mais il reste qu'à ce stade, nous disposons d'un maximum de garanties.
En l'état actuel des prévisions, la part du coût des facteurs pour les armées s'élève, durant la période 2016-2019, à 300 millions d'euros sur un total d'un milliard. J'attends avec intérêt le rapport commun de l'IGF et du CGA modifié afin de prendre en compte les économies du coût des facteurs versus les charges additionnelles. Il faudra voir le solde net réparti annuellement. Je resterai également vigilant. Je ne conteste pas les notions de coût des facteurs et d'économies ; je demande simplement que l'exercice s'effectue honnêtement et de façon transparente.
Monsieur Lamour, vous me demandez ce qu'il en est de la capacité de l'armée à recruter, à former et à fidéliser les 11 000 militaires qui feront passer les effectifs de la FOT de 66 000 à 77 000 personnels. Avec le général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre, nous avions annoncé que tout serait bouclé à la fin de l'année 2016. Nous y parviendrons plutôt au mois de janvier ou de février 2017, mais nous y parviendrons. Nous avons déjà recruté plus de 5 000 jeunes supplémentaires, et vous seriez surpris, comme je le suis moi-même, de la qualité de ces recrutements, toutes catégories confondues. La crise économique et le chômage constituent sans doute une explication, mais ce n'est pas celle que nous donnent les jeunes que nous interrogeons. Avec leurs mots, ils nous répondent systématiquement qu'ils ont choisi l'armée parce qu'ils cherchent des valeurs, une institution qui fournisse un cadre, une famille, la fraternité… Ils ne disent pas en premier : « Je cherchais un emploi, j'étais au chômage. »
En termes de formation, il s'agit d'un vrai challenge pour l'armée de terre. Ce n'est pas facile, mais elle réussira. Et elle ne dispense pas une formation au rabais : après les six mois de formation initiale, je rappelle que ces personnels sont considérés comme projetables à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur. Aujourd'hui, nous relevons ce défi avec une jeunesse d'une grande qualité. Cela marche remarquablement bien ! La partie n'est pas aisée pour ce qui concerne la formation – nos centres tournent à plein régime –, mais nous avions tout de même réfléchi à tout cela avant de lancer des chiffres.
Pourquoi une partie de la jeunesse de France s'engage-t-elle chez nous et une autre chez Daech ? Comme j'ai la chance de me trouver ici, devant la représentation nationale, je voulais soulever cette question de fond à laquelle nous devons réfléchir. À mon avis, tous cherchent un cadre et des valeurs qu'ils ne trouvent plus dans la société. Les uns vont dans une direction morbide, chez Daech, croyant se rassurer, espérant trouver un sens à leur vie. Les autres choisissent l'armée pour défendre et servir la France. Ils nous le disent comme ça, quels que soient leur niveau d'études et leur catégorie socioprofessionnelle. C'est assez exceptionnel.
Je tenais à vous en faire part, alors que je suis frappé par le pessimisme ambiant, par la morosité générale. Tout n'est pas parfait dans la jeunesse, certes, mais il y a des signes d'espérance. Les jeunes dont je vous parle ne comprennent pas ce pessimisme, ils sont d'un enthousiasme incroyable ! Pensez-vous que les trois jeunes que nous avons rapatriés cette nuit du Mali se posent ces questions ? Ils sont allés jusqu'au bout de leur mission au service de la France, pour leur chef de section, pour leur capitaine, pour leur colonel. C'est ainsi qu'ils voient les choses. Vous avez raison : il n'était absolument pas évident d'incorporer et de former 11 000 jeunes en dix-huit mois. Nous y réussissons pourtant, grâce à cet état d'esprit que je viens de vous décrire.
Je remercie M. Lellouche de m'interroger sur Sentinelle. Je m'étais préparé à cette question et j'aurais été très déçu que personne ne me la pose (Sourires.) Elle me donne l'occasion de dire tout le bien que je pense de cette opération.
Au passage, je signale que je ne me contente pas d'exécuter des ordres. Ce n'est heureusement pas ainsi que les choses se passent. En tant que conseiller militaire du Gouvernement, j'ai la faiblesse de penser que le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense m'écoutent. Au sein d'un conseil de défense, je ne suis pas un simple fonctionnaire qui prend des notes. Je suis l'un des premiers à qui l'on demande de proposer des mesures. Ensuite, c'est le président de la République, chef des armées, qui décide. C'est ainsi qu'avec Jean-Yves Le Drian nous avons proposé l'intervention aérienne en Syrie. Nous ne pouvions pas continuer à être aveugles si nous voulions garder une appréciation autonome. Ces décisions sont le fruit d'une réflexion globale et nous y participons pleinement
Ce fut le cas s'agissant de Sentinelle. Quel est le rôle des forces armées sur le territoire national ? La question est légitime. Pour ma part, je considère que la mission des armées, en temps de crise comme en temps de paix, est de protéger tous les Français où qu'ils se trouvent, à l'étranger, outre-mer ou en métropole. Je ne vois pas ce que le président de la République aurait pu faire d'autre pour protéger les Français et les rassurer.
Vous pouvez légitimement considérer que l'opération dure un peu trop longtemps sous la forme actuelle. C'est pour cette raison que, dans mon propos liminaire, je vous ai dit que Sentinelle ne devait pas être une excroissance durable de Vigipirate. On ne peut pas faire à 7 000 ce que l'on faisait à 1 000 ou 1 500. On ne peut pas demander durablement aux soldats français d'aider, de remplacer, de suppléer des forces de sécurité intérieure qui ne seraient pas assez nombreuses.
Mais l'opération Sentinelle, ce n'est pas cela. Peut-être ne l'a-t-on pas suffisamment expliqué ? Loin d'être une sorte de Vigipirate bis, Sentinelle répond à une rupture stratégique : nous considérons que la situation n'est plus la même qu'il y a un an et que le niveau de menace est tel en France que les forces de sécurité intérieure ont besoin du renfort substantiel et durable des forces armées. Mais plutôt que de suppléer les forces de sécurité, les armées doivent apporter des savoir-faire complémentaires.
Nous réfléchissons à cette rupture stratégique, sous le pilotage du SGDSN. La réponse implique une synergie interministérielle, car la relation à l'autorité civile est une dimension particulière de la sécurité intérieure, et nous devons rendre notre copie au président de la République avant la fin de l'année. Vous pouvez considérer que le dispositif actuel dure un peu trop longtemps, que ce n'est pas aux soldats français de garder par exemple un lieu de culte. Pour notre part, nous cherchons à créer un dispositif cohérent, dans lequel nous apporterons nos compétences car nous avons affaire à un adversaire qui utilise des mêmes modes d'action que nous affrontons en opérations extérieures. Voilà le phénomène nouveau qu'il faut comprendre.
Le dispositif Sentinelle serait donc critiquable si nous étions dans la même situation qu'il y a un an : un soldat n'est pas formé pour rester en garde fixe au pied d'un lieu jugé – à juste titre – sensible. Mais nous allons faire autre chose, autrement. Nous pouvons être plus mobiles, opérer de nuit, utiliser des équipements et des techniques que nous sommes les seuls à avoir, faire appel aux réservistes. Les différentes armées y réfléchissent, sachant que Sentinelle n'est que l'un des aspects de la défense du territoire et que, dans ce contexte très mouvant, divers autres sujets émergent : flux de migrants, survols de drones, cyberattaques, etc. Nous ne devons pas céder à une tendance naturelle qui est de raisonner sur la situation d'aujourd'hui à partir du contexte d'hier. Pour conseiller le Gouvernement, je m'efforce d'anticiper et j'en viens à cette analyse : puisque nous avons affaire aux mêmes terroristes, nous devons pouvoir recourir, le cas échéant, à des modes d'action à l'intérieur qui s'inspirent de ceux utilisés à l'extérieur du territoire national. Le dispositif Sentinelle va donc évoluer.
Les personnels des armées, singulièrement ceux de l'armée de terre, n'ont pas toujours bien vécu la suppression de leur entraînement et de leurs activités. Mais ce que vit le plus mal un soldat professionnel, c'est de rester dans sa caserne à ne rien faire. À cet égard, il n'y a rien à craindre : 30 000 soldats sont actuellement déployés, dans les forces de présence, les forces de souveraineté, en OPEX, en OPINT. Un soldat professionnel est satisfait de remplir une mission, quelle qu'elle soit, avec honneur et fidélité.
Certains ont pu critiquer un dispositif dont l'organisation est perfectible. Les choses évoluent. Sentinelle va ainsi être commandée comme n'importe quelle autre opération. À Paris, en janvier, 4 000 soldats avaient été déployés dans l'urgence, sous un commandement Vigipirate doté pour l'occasion d'une sorte d'excroissance avec une dizaine d'états-majors tactiques (EMT). À partir de fin octobre, il y aura trois EMT, commandés par trois chefs de corps.
Qu'est-ce qu'un soldat professionnel aujourd'hui ? Quelle est la mission des armées sur le territoire national ? Il est très sain et très important de débattre de ces questions fondamentales. Les menaces nouvelles, on les voit venir. Malgré la qualité remarquable de nos services de renseignement, nous devons nous attendre à de nouveaux attentats, comme l'a dit le Premier ministre à plusieurs reprises. Dans ce contexte, quelle autorité politique pourrait décider d'enlever les 7 000 hommes déployés sur le territoire national ? Je ne le conseillerais à personne.
Venons-en à Barkhane. J'ai toujours dit que cette opération allait durer, je ne m'en suis jamais caché. D'une part, nous n'allons pas éradiquer le terrorisme en trois ans. D'autre part, nous sommes engagés dans une opération transfrontalière de partenariat élargi avec les pays du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – dont la montée en puissance va prendre du temps.
Pour ce qui est de l'opération Chammal, la coalition coordonne l'espace aérien. C'est très complexe, je ne le nie pas. Sur ce plan, l'arrivée de la Russie dans l'espace aérien au Levant ne simplifie pas les choses. Une coordination est nécessaire pour éviter que les avions ne se télescopent.
S'agissant de l'article 51 de la Charte de l'ONU, je ne souhaite pas entrer dans ce débat politique et juridique.
Vous m'avez aussi interrogé sur des Français tués en Syrie sous les frappes de Rafale. Entre nous, je vais vous le dire franchement : ces frappes visent des terroristes. On tire sur des gens qui s'entraînent dans des camps, quelle que soit leur nationalité. On ne leur demande pas leur passeport. Quand nous préparons un dossier d'objectifs – ce n'est pas simple, croyez-moi ! – nous prenons toutes les précautions, notamment pour éviter les pertes civiles. Nous le faisons de façon extrêmement professionnelle. Ces gens n'étaient pas par hasard dans ce camp ; ils ne faisaient pas leurs courses. J'essaie de répondre sans langue de bois et avec sincérité pour que vous compreniez bien mon état d'esprit. Moi, je suis un soldat français, responsable, et je vous réponds comme tel.
La dernière question porte sur les réserves, sujet qui m'est très cher. Nous avons une feuille de route claire. Depuis la professionnalisation des armées en 1996, les tentatives de réforme ne sont pas allées à leur terme. Il va falloir du temps pour mener jusqu'au bout cette réforme qui va se dérouler entre 2016 et 2019. Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation extrêmement importante du budget, donc des effectifs. Reste à les organiser. Avec le ministre de la Défense, nous avons une idée : la territorialisation des réserves. C'est très important. Qui connaît mieux son territoire, son canton, son village, son pays que le réserviste ? Il faut poser le débat de cette manière.
Actuellement, nous avons quelque 2 000 réservistes citoyens qui offrent gratuitement leurs services aux armées, dans différentes spécialités. Ils nous sont très précieux depuis la disparition de la conscription.
Il nous faut par ailleurs agrandir le vivier des personnes ayant souscrit un engagement à servir au sein de la réserve opérationnelle : notre ambition est d'en recruter un peu plus de 10 000 pour atteindre un effectif de 40 000. Si nous disposons d'un budget suffisant, nous pourrons le faire car les armées bénéficient d'un grand élan de popularité. Je rencontre beaucoup de gens intéressés.
En revanche, pour la réserve de disponibilité, la durée de cinq ans, pendant laquelle le personnel ayant quitté le service actif est rappelable, est trop longue : les gens bougent beaucoup ; il est difficile de les retrouver ; ils ne sont plus véritablement mobilisables. Dans la LPM actualisée, nous allons plutôt vers une durée de deux ans. En cas de crise majeure, on pourrait faire appel à cette réserve. Cette réforme me semble aussi bonne qu'indispensable et j'ai bon espoir de la voir aboutir : les réserves, comme les armées, incarnent la Nation.
Merci, général. Au sein de cette commission, nous avons beaucoup travaillé sur la question des réserves et nous approuvons totalement vos propos. Lors du colloque auquel nous avons tous deux participé hier, nous avons rencontré un secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense du Royaume-Uni, général de réserve et spécialiste du sujet. Je pense que nous aurions intérêt à nous rapprocher des Britanniques et à envisager certaines actions communes, entre Européens.
Mon général, je souhaite vous interroger sur les relations entre la France et le Liban. Vous avez cité deux fois ce pays où vous vous êtes rendu récemment.
Premier volet : les militaires français y sont déployés dans le cadre de l'opération Daman, nom de la participation française à la FINUL. J'ai eu le plaisir de rencontrer récemment le général Grintchenko et l'excellent colonel Augustin. Nous avons fait un point assez précis. Par ailleurs, je suis allé sur la base de Dayr Kifa, un sujet en soi. On en parle moins ici, mais il y est fait un travail remarquable, a fortiori sur la ligne bleue. Comment voyez-vous l'avenir de cette collaboration au sein de la FINUL ?
Deuxième volet dont on parle encore moins : la coopération entre nos deux armées. Le contrat Donation Arabie Saoudite (DONAS) est censé insuffler une nouvelle dynamique, ou au moins conforter celle qui existe, mais on en voit bien les difficultés. Pour ma part, j'en vois surtout les atouts puisque, plus que jamais, l'armée libanaise est la colonne vertébrale du pays. Comment voyez-vous l'avenir de cette coopération ?
Mon général, je partage complètement votre point de vue sur Sentinelle. La responsabilité majeure d'une armée, sa mission fondamentale, est de défendre la population. À partir de là, nous pouvons toujours débattre des formes que peut prendre cette défense, mais les Français ne comprendraient pas qu'on les laisse à la merci de n'importe quel terroriste venant commettre des attentats sur notre sol pendant que nos forces armées se battent au Mali, en Syrie ou ailleurs. Il est même aberrant qu'on puisse remettre en cause cette mission fondamentale qui figure dans tous les textes régissant le code de la défense. À cet égard, l'opération n'a rien de novateur.
Vous avez évoqué nos trois soldats blessés et rapatriés. Pourriez-vous nous donner le bilan humain de nos opérations depuis le début de l'année ? Il est important que nous sachions combien de nos soldats ont été tués ou blessés et dans quelles circonstances, notamment pour montrer l'intérêt que nous leur portons. La troisième dimension aéroterrestre ayant pris une importance majeure, pourriez-vous nous dire aussi combien d'hélicoptères ou d'aéronefs nous avons perdus dans le cadre de l'opération Barkhane ?
Dans le monde politique, certains nous expliquent qu'il est absolument indispensable que nous allions faire la guerre en Syrie. Nous y allons de façon prudente, si je puis dire, avec les vols de reconnaissance et les bombardements. C'est autre chose d'imaginer une participation à une opération terrestre. Dans l'état actuel de nos engagements et de nos capacités, est-il raisonnable d'imaginer que nous puissions nous lancer dans une telle aventure ? J'emploie à dessein le terme d'aventure parce que, de mon point de vue, il ne faut pas le faire. À votre avis, est-ce que nous en aurions seulement les moyens ?
Enfin, que pensez-vous de l'arrivée des Américains au Cameroun, annoncée par la presse ?
Mon homologue américain a cherché à me joindre…
J'imagine que c'était pour me prévenir, mais comme je suis venu vous voir, il n'a pas pu me joindre.
Je vous en remercie. Je pensais bien que tel était l'objet de son appel, mais je n'en étais pas sûr.
Je n'ai fait que le lire dans la presse et je n'en sais pas plus, mais c'est tout de même un signe fort sur lequel j'aimerais avoir votre avis.
Mon général, vous avez abordé la politique étrangère de la France à travers les bombardements de notre armée sur les positions de Daech en Syrie. Nous étions un certain nombre à ne pas comprendre pourquoi la France bombardait Daech en Irak mais pas de l'autre côté de la frontière en Syrie, sous prétexte de ne pas renforcer le pouvoir de Bachar el-Assad. Nous nous réjouissons de ce changement de position.
Deuxième point : Les Républicains n'ont pas voté pour la LPM actualisée car l'augmentation du budget intervient à partir de 2017, et même principalement en 2019, c'est-à-dire dans le cadre de la prochaine législature.
Mon troisième point a trait à cette LPM actualisée : en 2015 le budget n'a pas été augmenté alors que nos armées sont sur tous les fronts puisque nous intervenons en Irak et en Afrique. Quelles pertes de capital de nos armées ont occasionné ces opérations massives ? Comme l'augmentation du budget n'interviendra qu'en fin de cette législature et surtout au cours de la prochaine, dans quel état nos armées vont-elles se trouver dans un an ou deux ?
Enfin, le ministre de la Défense s'est réjoui de l'accord de paix signé en juin dernier entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés du nord du Mali. Or vous nous apprenez que des militaires français viennent d'être blessés et que l'opération Barkhane est loin d'être terminée. L'opération Sangaris, qui tire son nom d'un papillon éphémère, est toujours d'actualité alors qu'elle ne devait durer que quelques semaines ou quelques mois. Nous avons encore des centaines d'hommes en Centrafrique. Quelle est votre analyse de la situation militaire et sécuritaire dans ces deux secteurs d'intervention ?
En ce qui concerne les victimes françaises de nos frappes aériennes, je tiens à rappeler que c'est le Premier ministre qui en a parlé le premier et non pas Pierre Lellouche. C'est une question soulevée par le Premier ministre dans les médias.
Pour ma part, je rappelle que tous les membres du groupe Les Républicains n'ont pas voté contre l'actualisation de la LPM.
Merci, mon général, pour cet exposé remarquable de vérité et de lucidité. En tout cas, il me permet d'être plus lucide. Je suis totalement d'accord avec vous sur le fond d'un débat que nous devons avoir sans nous affronter inutilement : le contexte stratégique a complètement changé, particulièrement au cours des derniers mois, et il nous force à revenir aux fondamentaux de la défense.
Il se trouve que je m'assois souvent ici, à cet endroit de la salle, face à une déclaration du général de Gaulle encadrée sur le mur : « La Défense ! C'est là, en effet, la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. » À notre époque, la réflexion que nous devons conduire au Parlement et dans les sphères de la défense et de la sécurité nationale nous ramène à des fondamentaux qui sont aussi simples que ceux-là : la première vocation de la défense est de protéger le pays et les Français où qu'ils se trouvent, particulièrement quand ils sont sur le sol national.
L'opération Sentinelle consiste à remplir le rôle premier de l'armée. C'est ainsi que je l'analyse ; c'est ce que j'entends dans vos propos. Peut-être avions-nous perdu de vue cette vocation première de la défense, des armées et des militaires, parce que nous n'étions plus en situation de guerre ? Nous y sommes revenus. C'est une guerre nouvelle, hybride, asymétrique, très difficile pour vous et pour nous. Mais vous avez démontré votre capacité à vous adapter pour protéger la France et remplir les missions qui vous sont confiées.
Pour ma part, je me réjouis de la manière dont vous voulez faire évoluer l'opération Sentinelle. Vous avez démontré que l'armée était capable de répondre aux objectifs fixés par le Livre blanc et même de faire mieux : il vous était demandé de déployer de 7 000 à 10 000 hommes sur le sol national en une semaine, vous l'avez fait en trois jours. C'est la preuve de l'excellence et de la force de vos unités. À présent, vous devez vous adapter, être plus efficace, remplir des missions que les forces de sécurité intérieure ne seraient pas en mesure d'assurer. Vous avez parlé de l'utilisation de matériel de vision nocturne, et j'imagine qu'il y aura aussi du contrôle de zone. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus ? Sinon, je patienterai jusqu'à ce que vous ayez rendu votre copie au président de la République et au ministre de la Défense.
En réalité, nous sommes en train d'appliquer un élément conceptuel de la doctrine nationale, à savoir le continuum sécurité-défense. Quand vous l'avez évoqué pour la première fois, il y a quelques années, ce concept n'était pas évident : on pouvait penser alors qu'il s'agissait d'une idée d'intellectuel des armées cherchant à obtenir ou à justifier je ne sais quoi. Et voilà que nous y sommes. Le basculement a eu lieu dans les années 1990 et au début des années 2000. Les armées – françaises, américaines ou autres – ne jouent plus seulement un rôle de gendarme ou de police à l'extérieur de leurs frontières, elles exercent aussi des missions de sécurité intérieure.
Vous avez démontré que les armées étaient capables de s'adapter très rapidement au nouveau contexte. Il reste du chemin à faire pour adapter le dispositif. S'appellera-t-il encore Sentinelle ? Quoi qu'il en soit, je vois très bien où vous voulez en venir avec vos propositions.
De notre côté, nous devons pouvoir répondre aux inquiétudes. Récemment, avec la communauté juive de ma circonscription, j'ai accueilli le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Il s'est inquiété de savoir si le dispositif de protection allait durer. Nous lui en avons donné l'assurance tout en le prévenant que les mesures allaient changer et qu'il ne fallait pas que la communauté ait peur si elle ne voyait plus de soldats en faction devant les synagogues. Les gens, y compris les premiers intéressés, peuvent comprendre que les militaires sont plus efficaces quand ils sont mobiles. Et vous pouvez aussi faire du renseignement. En résumé, je dirais que nous devons réussir ensemble car cette nouvelle chaîne de sécurité protégera mieux les Français. Nous devons débattre en étant lucides sur l'énorme changement de contexte stratégique.
L'attitude de la France évolue aussi à l'extérieur : dans le cadre de l'opération Chammal, nous intervenons désormais en Syrie. Nous étions aveugles, avez-vous dit. Je crois en effet que le renseignement est la denrée la plus utile, celle qui permet ensuite de frapper. Et, si j'ai bien compris, nous avons visé un camp d'entraînement.
J'en viens à ma question. À mes collègues qui s'impatientent, je tiens à signaler que nous sommes aussi là pour échanger, pas seulement pour une séance de questions-réponses comme dans un jeu télévisé. Mon général, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la situation sur le sol syrien ? Que savons-nous de ces frappes de l'armée irakiennes qui auraient touché le convoi d'Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech. Pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information ?
Mon général, je voulais vous remercier d'avoir préféré échanger avec nous plutôt qu'avec le chef d'état-major de l'armée américaine.
Vous vous rendez compte ! (Sourires.)
Nous en sommes flattés. J'aurais été absolument frustré si je n'avais pas pu vous questionner.
Pour continuer sur Daech, j'estime que ce sont les islamistes radicaux qui ont déclaré la guerre à notre civilisation et qui nous ont désignés comme ennemis, et non l'inverse. C'est une armée illégale, insaisissable, infiltrée partout et en particulier en France. Sur le plan de la doctrine, il est tout à fait normal que l'armée française soit présente dans le cadre d'opérations intérieures pour défendre les Français contre cette armée. Nous avons affaire à des soldats illégaux qui nous menacent et non pas à des délinquants. Je partage totalement le point de vue de mon collègue Fromion : la légitimité de l'opération Sentinelle est incontestable.
Compte tenu de l'intensification de cette guerre contre Daech, nous avons accordé plus de moyens à la défense lorsque nous avons révisé la LPM. Cependant, l'arrivée de ces moyens supplémentaires a été étalée dans le temps. Ne faudra-t-il pas revisiter une nouvelle fois ces dispositions pour faire face aux urgences qui se présentent ?
Ma question trouve une application directe en Syrie. En 2013, il n'était pas question que nous nous engagions contre Daech. En 2014, nous avons fait des frappes en Irak. En 2015, nous bombardons en Irak et en Syrie. Jusqu'à présent, il n'a jamais été question de s'investir sur le terrain. Or nous discutons, nous recevons les Russes, et l'idée semble faire son chemin. S'imposera-t-elle ou non ? Quoi qu'il en soit, je voulais vous poser cette question : si, dans le cadre d'une coalition internationale, il fallait que la France s'engage sur le terrain irako-syrien, en aurions-nous les moyens ?
Monsieur Rouillard, vous m'avez interrogé sur le Liban. Comme vous, je pense que nous avons adopté la bonne stratégie en aidant les Forces armées libanaises (FAL) qui sont le principal pilier stable du pays. Notre coopération avec les Libanais est très ancienne et elle s'est renforcée au cours des derniers mois. Nous avons plus d'une dizaine de détachements d'instruction opérationnelle (DIO) dont ils sont très satisfaits. Après avoir eu une réunion avec eux, je peux témoigner que la capacité opérationnelle des FAL n'a rien à voir avec ce qu'elle était il y a cinq ans. Ils sont en guerre contre le terrorisme au quotidien puisqu'ils sont confrontés à Daech et à Jabhat al-Nosra (JAN) qui est l'incarnation d'Al-Qaïda, tous ces groupes ayant à peu près les mêmes modes d'action.
Pour l'avenir du pays, je crois qu'il faut aider au maximum les FAL, et surmonter les lenteurs administratives ou politiques actuelles pour que le contrat DONAS soit mis en oeuvre le plus vite possible. C'est ce qui nous permettra de maintenir le Liban dans l'état le plus stable possible. Rappelons que les réfugiés représentent un tiers de la population libanaise. C'est colossal, imaginez la même proportion de réfugiés en France ! Plus que jamais, il faut rester en contact avec ce pays et c'est pour cela que j'y suis allé. 850 soldats français y sont déployés, principalement dans la FINUL qui remplit sa mission de fort belle manière. Comme j'ai pu le constater avec le général Grintchenko, nous arrivons à contrôler la zone concernée sans qu'il y ait, pour le moment, des tensions supplémentaires.
Monsieur Fromion, nous n'avons jamais communiqué sur le nombre de blessés et de morts mais les citoyens français doivent avoir conscience que nous sommes en guerre. Je puis vous dire que les armées françaises sont organisées de manière assez exceptionnelle pour suivre chaque famille concernée. Leur style de commandement est axé sur les valeurs humaines. La réussite de nos armées tient notamment à cette caractéristique.
J'en profite pour saluer la performance de notre chaîne santé : la France et les États-Unis sont les deux seuls pays au monde à disposer d'une telle capacité d'intervention sanitaire. Les trois blessés au Nord-Mali ont été soignés par un infirmier, puis par un médecin – il y en a toujours un quand une force est engagée au contact – avant d'être évacués par hélicoptère jusqu'à Tessalit puis Gao et rapatriés à Paris. Le tout en moins de vingt-quatre heures. On peut le faire sur chaque théâtre d'opération. Tous nos soldats savent qu'ils peuvent bénéficier de ce système dès lors qu'ils sont engagés et que leur vie en dépend.
C'est la force de l'armée française. Depuis dix ans, je me suis beaucoup battu pour garder cette spécificité, menacée par la révision générale des politiques publiques (RGPP) parce que, évidemment, pour un comptable, des médecins qui n'interviennent qu'une fois de temps en temps ne sont pas « rentables ». Mais ce service de santé exceptionnel, doté d'une compétence incroyable, sauve la vie de nos soldats. Au Nord-Mali, nos soldats combattent parfois les yeux dans les yeux avec les terroristes. Il y a quelques semaines à Percy, un adjudant-chef remarquable m'a dit : j'ai vu le regard du terroriste à un mètre cinquante.
Serait-il raisonnable d'envisager une intervention au sol en Syrie ? Non. En tout cas, je ne le conseillerai pas. En Syrie, il y a 1 500 groupes terroristes, les katibats, et la situation est extraordinairement complexe. Comment envoyer une force internationale au sol et pour y faire quoi ? Seul le temps permettra à la diplomatie et à la politique de faire leur oeuvre, pour qu'une solution raisonnable soit trouvée avec l'ensemble des protagonistes. Intervenir au sol aujourd'hui en Syrie me paraît à la fois inopportun et infaisable. Il ne faut pas tout confondre : se contenter de bombarder ne suffit pas, mais l'intervention sur le terrain doit être réalisée par des forces locales et régionales.
C'est dommage qu'on ne vous entende pas le dire publiquement : ça calmerait quelques esprits échauffés !
C'est mon avis et j'ai l'habitude de dire ce que je pense. Combien avons-nous perdu d'hélicoptères ? Cette année, nous en avons perdu un à Ouagadougou. Il n'a pas été abattu mais il s'est écrasé au cours d'une manoeuvre dite de posé poussière. L'enquête de commandement est en cours et nous en tirerons les meilleurs enseignements.
Pour ce qui est des Américains déployés au Cameroun, je me réjouis de voir qu'ils s'engagent dans la lutte contre ce fléau qu'est Boko Haram. Au cours des trois dernières semaines, ce groupe a perpétré de nombreux attentats qui ont fait plus de 150 morts. L'implication des Américains est une bonne nouvelle dont nous ne pouvons que nous réjouir. Pour notre part, nous faisons le job, comme ils disent, dans la bande sahélo-saharienne, avec le concours des alliés. Nous ne pouvons pas être partout.
Monsieur Meunier, pour ma part j'ai défendu la LPM actualisée. Si vous proposez d'augmenter le budget de la Défense, vous avez mon total soutien ! Vous m'avez aussi interrogé sur la perte de capital des armées, due à ces engagements à répétition.
C'est effectivement une vraie question. La problématique est connue : quand on s'engage, on use le potentiel ; quand on ne s'engage pas, on manque de courage. Un chef d'état-major d'armée a dit un jour : « Je suis en surchauffe et j'use mon capital. » C'est tout de même un peu le but : nos armées sont faites pour être employées.
Évidemment, je fais très attention : nous avons augmenté de 8 % les crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) dans le PLF pour 2016 parce qu'il faut régénérer les équipements et augmenter le taux de disponibilité technique opérationnelle. Ce n'est pas un problème, à condition que nous ayons les crédits promis dans la LPM actualisée. Je serais surpris que, dans cette commission, quelqu'un se lève pour dire qu'il s'oppose à ce que nous ayons ces crédits. Nous allons nous battre pour les avoir. Certes nous usons le capital mais il est régénéré et remplacé.
Je lis çà et là des déclarations fracassantes sur ce plan. Il faut faire attention. Si nous obtenons les crédits et si la LPM actualisée est respectée, non seulement nous ne consommons pas notre capital mais nous accumulons de l'expérience, ce qui n'a pas de prix. Monsieur Rihan Cypel, je souscris à vos propos sur les fondamentaux de la défense. Si on se met à considérer que la défense et la protection des Français relèvent uniquement des forces de sécurité intérieures, auxquelles serait transférée une partie des effectifs des militaires, alors on revient sur les présupposés fondateurs de la défense de la France.
C'est bon de le rappeler car nous avons complètement changé de contexte stratégique.
Vous m'interrogez aussi, monsieur Rihan Cypel, sur la situation en Syrie que j'ai déjà abordée. Avec l'arrivée des Russes qui, pour l'essentiel, appuient Bachar al-Assad, la situation évolue. Dans quel sens ? Je ne suis pas capable de vous dire quelles seront les conséquences finales de cette intervention. Il est clair que Daech a fait une percée là où il était absent et que les Forces armées syriennes regagnent du terrain là où elles étaient bloquées. L'opposition syrienne modérée porte bien son nom : sa présence est très modérée. La situation au sol est extrêmement compliquée. La solution est d'abord politique et diplomatique.
Monsieur Lamblin, vous me demandez s'il ne faudrait pas déjà réactualiser le budget, compte tenu de l'intensification de la guerre contre Daech et de la multiplication de nos engagements. Non, à condition que je dispose des crédits déjà prévus. Sans ces 950 millions d'euros supplémentaires, il faudra effectivement revoir la copie. Elle a été bien faite, croyez-moi ! J'ai été major général des armées pendant quatre ans et nous avons construit une méthode, sur la base d'un modèle d'armée comprenant tous les ingrédients : les hommes, les équipements, la logistique, etc. Nous nous sommes assurés de la cohérence totale entre les facteurs physiques et les données financières.
Nous avons les trois projets des chefs d'état-major, les cinq projets des directions et services, plus celui de la direction du renseignement militaire (DRM). Tout ceci est cohérent. Grâce à l'expérience acquise de nos prédécesseurs, aux techniques modernes et à notre pratique opérationnelle, nous sommes parvenus à un résultat que nous n'avions jamais atteint auparavant.
Nous pouvons donc faire face à l'emploi actuel des forces. L'intervention en Syrie ne représente pas un emploi supplémentaire car nous bombardons et nous faisons nos opérations de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR) avec des avions qui, de toute façon, volaient en Irak. À la limite, il est même plus court d'aller survoler Raqqa que Mossoul. Pour le reste, nous sommes à effectif à peu près constant dans la bande sahélo-saharienne. En République centrafricaine, l'effectif ne descendra pas en dessous de 900 en l'état actuel des choses.
Pour résumer, je pense qu'il n'y a pas lieu d'invoquer exagérément l'usure des équipements – même si la vigilance s'impose – ou le manque de moyens par rapport aux besoins supplémentaires qui se profilent. En revanche, il est vrai que c'est la première fois depuis la fin de la guerre d'Algérie que la courbe marque un arrêt dans sa chute : le budget de la Défense se stabilise à environ 1,7 % du PIB et, selon la LPM actualisée, il sera encore à ce niveau en 2019.
Après les élections de 2017, il y aura probablement un nouveau Livre blanc et une nouvelle LPM. Il faudra réfléchir à nouveau à l'adéquation entre le niveau des menaces et celui des moyens. C'est souhaitable. À mon avis, le niveau de menace aura augmenté et il ne sera plus en adéquation avec celui des moyens. Il fut une époque où, dans le Livre blanc, il était dit que le budget de la Défense devait atteindre 2 % du PIB. Je connais quelqu'un qui l'a répété récemment. (Sourires.)
Honnêtement, je pense que les dépenses sont couvertes jusqu'en 2017. Ensuite, le niveau du budget devra s'adapter à celui des menaces. C'est du simple bon sens : il faut une cohérence entre les missions et les moyens. Et il ne s'agit pas de faire croire que des gains de productivité permettront d'encaisser des missions supplémentaires. C'est fini !
Mais vous incluez tout de même les coûts des facteurs, c'est-à-dire les gains liés à l'évolution favorable des indices économiques. Ce sont des gains de productivité, que vous le vouliez ou non, que vous avez évalués à 300 millions d'euros sur le reste de la LPM.
Pour la partie qui me revient.
Si je comprends bien, ces coûts existaient sur les précédents exercices. Les industriels eux-mêmes nous ont dit qu'ils calculaient déjà le prix de vente des équipements en tenant compte de certains de ces coûts.
Non, les gains sont liés au changement de conjoncture économique et à la variation d'indices notamment dans le secteur de la construction ou de l'énergie.
En fait, ce phénomène est conjoncturel. Va-t-il durer jusqu'en 2019 et représenter un milliard d'euros comme prévu ? C'est toute la question. Quoi qu'il en soit, les discours sur le thème « plus petit et plus musclé », je ne veux plus les entendre. Les armées poursuivent les trente et un chantiers en cours sur les gains de productivité, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, contrairement à ce qu'espèrent certains experts. Nous sommes exemplaires : nous « déflatons » les effectifs et réduisons nos coûts de fonctionnement jusqu'en 2019 pour renforcer les dépenses liées aux opérations. Nous le faisons depuis vingt ans. Pas plus que les autres, nous ne voulons être la variable d'ajustement du budget de l'État. En tant que chef d'état-major des armées, je suis avant tout responsable de la vie de mes soldats, envers lesquels j'ai un engagement moral.
Monsieur Lamour, vous revenez régulièrement sur cette question du coût des facteurs. Au sein de la commission des Finances, vous avez des moyens dont nous ne disposons pas pour effectuer un travail sur le sujet.
La séance est levée à dix-sept heures quinze.