Merci, mon général, pour cet exposé remarquable de vérité et de lucidité. En tout cas, il me permet d'être plus lucide. Je suis totalement d'accord avec vous sur le fond d'un débat que nous devons avoir sans nous affronter inutilement : le contexte stratégique a complètement changé, particulièrement au cours des derniers mois, et il nous force à revenir aux fondamentaux de la défense.
Il se trouve que je m'assois souvent ici, à cet endroit de la salle, face à une déclaration du général de Gaulle encadrée sur le mur : « La Défense ! C'est là, en effet, la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. » À notre époque, la réflexion que nous devons conduire au Parlement et dans les sphères de la défense et de la sécurité nationale nous ramène à des fondamentaux qui sont aussi simples que ceux-là : la première vocation de la défense est de protéger le pays et les Français où qu'ils se trouvent, particulièrement quand ils sont sur le sol national.
L'opération Sentinelle consiste à remplir le rôle premier de l'armée. C'est ainsi que je l'analyse ; c'est ce que j'entends dans vos propos. Peut-être avions-nous perdu de vue cette vocation première de la défense, des armées et des militaires, parce que nous n'étions plus en situation de guerre ? Nous y sommes revenus. C'est une guerre nouvelle, hybride, asymétrique, très difficile pour vous et pour nous. Mais vous avez démontré votre capacité à vous adapter pour protéger la France et remplir les missions qui vous sont confiées.
Pour ma part, je me réjouis de la manière dont vous voulez faire évoluer l'opération Sentinelle. Vous avez démontré que l'armée était capable de répondre aux objectifs fixés par le Livre blanc et même de faire mieux : il vous était demandé de déployer de 7 000 à 10 000 hommes sur le sol national en une semaine, vous l'avez fait en trois jours. C'est la preuve de l'excellence et de la force de vos unités. À présent, vous devez vous adapter, être plus efficace, remplir des missions que les forces de sécurité intérieure ne seraient pas en mesure d'assurer. Vous avez parlé de l'utilisation de matériel de vision nocturne, et j'imagine qu'il y aura aussi du contrôle de zone. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus ? Sinon, je patienterai jusqu'à ce que vous ayez rendu votre copie au président de la République et au ministre de la Défense.
En réalité, nous sommes en train d'appliquer un élément conceptuel de la doctrine nationale, à savoir le continuum sécurité-défense. Quand vous l'avez évoqué pour la première fois, il y a quelques années, ce concept n'était pas évident : on pouvait penser alors qu'il s'agissait d'une idée d'intellectuel des armées cherchant à obtenir ou à justifier je ne sais quoi. Et voilà que nous y sommes. Le basculement a eu lieu dans les années 1990 et au début des années 2000. Les armées – françaises, américaines ou autres – ne jouent plus seulement un rôle de gendarme ou de police à l'extérieur de leurs frontières, elles exercent aussi des missions de sécurité intérieure.
Vous avez démontré que les armées étaient capables de s'adapter très rapidement au nouveau contexte. Il reste du chemin à faire pour adapter le dispositif. S'appellera-t-il encore Sentinelle ? Quoi qu'il en soit, je vois très bien où vous voulez en venir avec vos propositions.
De notre côté, nous devons pouvoir répondre aux inquiétudes. Récemment, avec la communauté juive de ma circonscription, j'ai accueilli le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Il s'est inquiété de savoir si le dispositif de protection allait durer. Nous lui en avons donné l'assurance tout en le prévenant que les mesures allaient changer et qu'il ne fallait pas que la communauté ait peur si elle ne voyait plus de soldats en faction devant les synagogues. Les gens, y compris les premiers intéressés, peuvent comprendre que les militaires sont plus efficaces quand ils sont mobiles. Et vous pouvez aussi faire du renseignement. En résumé, je dirais que nous devons réussir ensemble car cette nouvelle chaîne de sécurité protégera mieux les Français. Nous devons débattre en étant lucides sur l'énorme changement de contexte stratégique.
L'attitude de la France évolue aussi à l'extérieur : dans le cadre de l'opération Chammal, nous intervenons désormais en Syrie. Nous étions aveugles, avez-vous dit. Je crois en effet que le renseignement est la denrée la plus utile, celle qui permet ensuite de frapper. Et, si j'ai bien compris, nous avons visé un camp d'entraînement.
J'en viens à ma question. À mes collègues qui s'impatientent, je tiens à signaler que nous sommes aussi là pour échanger, pas seulement pour une séance de questions-réponses comme dans un jeu télévisé. Mon général, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la situation sur le sol syrien ? Que savons-nous de ces frappes de l'armée irakiennes qui auraient touché le convoi d'Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de Daech. Pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information ?