Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 21 octobre 2015 à 8h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Dans le cadre de la conférence de Paris, il y a, depuis le début de cette semaine, une réunion du groupe dit ADP à Bonn. Comme vous le savez, ce ne sont pas les ministres qui élaborent les textes, mais les négociateurs.

Les textes précédents étaient très longs, confus. Les deux coprésidents, l'un américain, l'autre algérien, avaient remis début octobre un texte court, bien structuré, mais il a été récusé lundi par le groupe des 77, qui comporte 134 pays, en développement pour l'essentiel – qui l'ont jugé trop favorable aux pays riches. Ils ont donc déposé une soixantaine d'amendements, avec pour porte-parole du groupe la représentante de l'Afrique du Sud. Après discussions entre ce groupe et les deux coprésidents, ces derniers ont proposé un nouveau texte. Celui-ci, qui comporte la même structure que le précédent, est actuellement examiné par les délégués. Tout cela s'est passé de façon vive, mais assez rapide.

J'ai rendu visite hier après-midi aux délégués, en tant que futur président de la COP, pour m'adresser à eux et entendre ce qu'ils avaient à dire. Je suis arrivé dans une atmosphère assez sereine. Ils se sont répartis en groupes de travail et le texte, qui comporte un prologue, est beaucoup plus précis sur la différenciation, l'adaptation et les finances. Ces groupes doivent aboutir à une version finale et à la levée d'un certain nombre d'options d'ici la fin de la semaine, à la suite de quoi s'ouvrira la conférence elle-même. Celle-ci commencera par une réunion des négociateurs, pendant deux ou trois jours, et sera suivie par celle des ministres.

L'ensemble des délégués s'est approprié le texte actuel. S'il peut poser quelques problèmes à certains pays, comme les États-Unis, il est beaucoup plus en ligne avec ce qu'on peut espérer d'une conférence sur le climat.

Hier, 154 contributions avaient été publiées, représentant 86 % des émissions de gaz à effet de serre, contre 15 % lors de la conférence de Kyoto. Deux grands pays pétroliers n'ont pas encore publié la leur, mais ils vont le faire – j'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en discuter avec l'Arabie saoudite, qui est un peu leur chef de file. L'Iran devrait aussi remettre sa contribution. Quant au Venezuela, ayant ses élections le 6 décembre, je ne suis pas sûr qu'il soit concentré essentiellement sur la COP.

S'agissant des évaluations sur le réchauffement, il faudra s'en tenir à celle élaborée par l'instance chargée de cette mission. Il devrait probablement être évalué à trois degrés à l'horizon 2100 – ce qui est mieux que les quatre, cinq ou six degrés prévus par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), mais moins bien que l'objectif de deux degrés. Il est donc important que soit incluse dans l'accord de Paris une clause de révision, probablement tous les cinq ans, qui permettra de passer d'une tendance de trois degrés à une tendance de deux.

Concernant les finances, nous avons eu à Lima il y a quelques jours une réunion en présence des représentants des ministres des finances, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, que nous avions demandée, mon collègue péruvien et moi-même. Un point important pour le succès de la COP de Paris est que les pays riches honorent leur engagement, pris à Copenhague en 2009, de fournir 100 milliards de dollars par an en 2020 pour le climat aux pays pauvres. Lorsque je me suis saisi du dossier, j'ai constaté qu'on ne savait pas où on en était aujourd'hui. Nous avons donc demandé à l'OCDE de réaliser une étude détaillée pour voir ce que les gouvernements, les banques multilatérales et le secteur privé font dans ce domaine. Cette étude montre qu'en 2014, 62 milliards de dollars ont été consacrés par les pays du nord aux pays du sud pour le climat. Par ailleurs, l'essentiel de ce montant est dévolu à diminuer la hausse des températures – l'atténuation –, mais peu, contrairement à la demande des pays pauvres, à adapter les pays lorsque le taux de trois degrés est atteint – l'adaptation.

Un certain nombre de pays ont saisi cette occasion pour annoncer des contributions supplémentaires et les banques multilatérales ont déclaré qu'elles feraient un effort complémentaire de 15 milliards de dollars. Il est donc probable que nous pourrons tendre vers les 100 milliards de dollars, ce qui lève une hypothèque importante pour le succès de la conférence, même si la méthodologie de l'étude est contestée par certains.

Par ailleurs, le changement de majorité qui vient de se produire au Canada, qui est membre du G7 comme du G20, n'est pas sans importance : le nouveau premier ministre, M. Trudeau, est beaucoup plus ouvert sur la lutte contre le changement climatique que son prédécesseur.

Pour le moment, nous avons réussi à éviter qu'on mélange les crises qui traversent le monde et le sujet de cette conférence – et nous veillons qu'il continue à en être ainsi. Mais nous ne sommes pas totalement maîtres du jeu, puisqu'il faut décider par consensus.

Si le texte est incontestablement meilleur, des arbitrages devront être faits, qui seront compliqués. Si l'organisation de la COP se présente bien et le climat à Bonn est positif, c'est en fin de parcours qu'on pourra juger des résultats.

Nous avons choisi de multiplier les réunions. J'ai ainsi invité 80 ministres à une pré-COP de quelques jours, où nous allons remettre sur le métier le même ouvrage – pour éviter qu'une délégation puisse dire qu'elle n'a pas été consultée. Nous avons aussi invité les chefs d'État et de gouvernement le premier jour de la conférence, d'une part, parce que beaucoup l'ont souhaité et, d'autre part, car ils ne voulaient pas venir à la fin du processus, pour éviter l'échec de la conférence de Copenhague. Parallèlement à la discussion des ministres, il y aura l'agenda pour l'action, qui comportera des réunions thématiques sur l'énergie ou les transports par exemple, qui seront évidemment plus spectaculaires. Il y aura ainsi une partie publique et une partie moins publique.

Il faudra enfin faire très attention aux questions de sécurité, non seulement vis-à-vis du terrorisme, mais aussi de la sécurité publique en général.

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