Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 21 octobre 2015 à 8h30
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

S'agissant de la COP, je préfère parler de dérèglement climatique plutôt que de réchauffement. Car celui-ci va se traduire dans quelques cas par un refroidissement. Mais il ne faut pas perdre de vue l'essentiel, avéré par les travaux du GIEC, qui sont très prudents : un réchauffement irréversible. Une fois que les gaz à effet de serre sont émis, ils ne disparaissent pas, certains pouvant rester quelques décennies ou quelques siècles. Il faut donc agir vite.

Monsieur Destot, un des apports du texte d'hier par rapport au précédent est d'aborder la question des forêts.

Monsieur Dupré, le rapport de l'OCDE que j'évoquais explique pour la première fois à quoi sont consacrés ces 62 milliards de dollars. Il s'agit d'un travail très précis : les investissements liés à l'utilisation du charbon n'ont par exemple pas été pris en compte.

S'agissant du charbon, il y a plusieurs écoles. En termes de gaz à effet de serre, quand le charbon émet 2, le pétrole émet 1,5 et le gaz 1. Le problème est que c'est la ressource la plus répandue et qu'en Inde, elle représente l'essentiel de la consommation énergétique. Pour certains, le charbon constitue un mal nécessaire, mais ils sont de moins en moins nombreux : certains grands fonds se désengagent d'ailleurs des portefeuilles touchant à cette ressource. Une deuxième école propose qu'on essaie d'avoir un charbon propre – des recherches scientifiques sont en cours sur ce point. Et une troisième préconise de ne pas du tout utiliser le charbon. Aujourd'hui le curseur se situe entre les deux dernières écoles. En Australie, le nouveau premier ministre est beaucoup plus sensible à ces questions que son prédécesseur, de même que la ministre des affaires étrangères.

Il est prévu d'arriver à un texte prenant la forme d'un protocole ou d'un accord international. Se pose ensuite le problème du contrôle de son application, ce qui soulève une difficulté vis-à-vis des États-Unis, le Congrès étant hostile sur ce point. Un accord qui n'aurait pas l'aval de ce pays, qui est un des deux premiers pollueurs, perdrait de son efficacité. En fait, tout dépend de chaque clause. En résumé, chaque fois qu'il y a une obligation de résultat, cela est assimilé à un traité international, et chaque fois qu'il y a une obligation de moyens, cela relève d'un autre sujet.

Certains pays, comme la Bolivie, sont pour un tribunal international, ce qui n'est pas le dispositif prévu actuellement. La pression des pairs, au vu de la comparaison entre les engagements pris et les résultats, sera un moyen de contrôle, d'autant qu'avec les satellites, on pourra déterminer l'émission de gaz à effet de serre de chaque pays. Il faut d'ailleurs faire attention à certains effets pervers, certains États estimant qu'ils ne doivent pas prendre des engagements trop ambitieux dans la mesure où ils seront contrôlés.

Au Bangladesh, où je me suis rendu il y a quelques semaines, un tiers du territoire est soumis à la submersion. Une femme m'a même dit avoir déménagé dix-huit fois pour ce motif. Cela a beaucoup de conséquences sur les logements et l'agriculture, qui est salinisée.

Quant à la question importante des migrations climatiques, elle est traitée dans d'autres enceintes – en particulier l'Initiative Nansen.

S'agissant de la Libye, Bernardino León a produit un nouveau document, qui n'a pas été accepté par les deux parties. Nous avons pris position avec d'autres pays pour qu'il le soit. Des sanctions individuelles pourraient être retenues, car il faut convaincre les récalcitrants.

Si on arrive à avoir un gouvernement commun, se posera la question de la sécurité. La France ne peut être présente partout en première ligne. Nos amis italiens souhaiteraient accroître leur présence et nous sommes ouverts à leur demande.

Concernant Israël, je reçois ce soir le ministre de l'intérieur de ce pays et j'aurai un contact avec les Palestiniens. La situation est en effet très préoccupante. Nous essayons d'aller vers une déclaration présidentielle aux Nations unies, qui a l'accord des membres du Conseil de sécurité et ne peut être acceptée qu'à l'unanimité – il n'est donc pas question que la France se substitue à qui que ce soit. Sur le fond, nous sommes les amis des uns et des autres, nous voulons la paix et la sécurité et que les Palestiniens aient un territoire, que leurs droits soient reconnus. Nous avons obtenu qu'il y ait un groupe international de soutien : il y a eu aux Nations unies une réunion du quartet et, à notre demande, une réunion regroupant le quartet, les pays arabes, les pays européens et quelques autres pays, comme le Japon, qui s'intéressent au sujet. Nous voulons, non pas nous substituer aux parties, ce qui n'aurait aucun sens, mais aider à ce que la négociation reprenne et qu'on trouve une solution.

S'agissant de la Syrie, 80 % des frappes ne touchent pas Daech, mais d'autres groupes, y compris des modérés. Le but de M. Poutine est aujourd'hui de conforter M. Bachar al-Assad. À certains moments, les Russes ont dit qu'ils n'étaient pas mariés avec Bachar al-Assad, à d'autres, qu'il fallait qu'il soit là pour la transition, à d'autres encore, que le peuple syrien décidera et qu'il faut organiser des élections. Nous entendons avoir une position indépendante, consistant à dire que la Syrie devrait retrouver son intégrité et que ses différentes composantes devraient pouvoir vivre en paix. Pour cela, on a besoin d'une solution politique. Or, dire que l'avenir du pays passe par Bachar al-Assad est s'interdire d'avoir une unité en Syrie, la moitié de sa population ayant été pourchassée par lui.

Deuxièmement, nous voulons que les Russes frappent Daech et les autres groupes terroristes, non l'opposition modérée – ce qui empêcherait une solution politique. Troisièmement, nous voulons – je vais prendre des dispositions pour qu'on dépose une résolution en ce sens – qu'on arrête les « barrel bombings » – barils de TNT remplis de morceaux de métal –, qui font beaucoup de dégâts dans la population civile.

On a raison de ne pas oublier les Iraniens, qui sont fortement engagés.

Quant à l'accord signé avec l'Iran, il revient à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de nous dire au mois de décembre s'il est respecté. Elle fait des vérifications, notamment dans le site de Parchin.

S'agissant de l'extraterritorialité, vous avez raison. L'enjeu pour nous est européen : il est indispensable, pour protéger nos entreprises des effets extraterritoriaux des lois américaines, de développer une alternative au dollar. Avant notre signature du traité avec l'Iran, il y a eu une discussion serrée, avec, d'un côté, la France, appuyée par la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Iran, et, de l'autre, les États-Unis. Nous avons plaidé que s'il y a un accord, il y aura levée des sanctions, et s'il y a levée des sanctions, il faut que l'ensemble des entreprises puisse commercer avec l'Iran. J'ai obtenu de mon collègue John Kerry une lettre en ce sens. Mais les Américains sont beaucoup moins allants aujourd'hui. Nous avons envoyé, avec nos collègues anglais et allemands, une mission du Trésor auprès de l'administration américaine pour qu'elle respecte ses engagements, mais elle traîne à répondre. Madame Duflot, il est essentiel d'obtenir une clause de révision à la conférence de Paris. La question ensuite est de savoir quand elle intervient : attend-on 2020, 2025 ou 2030, ou le prévoit-on avant ? S'agissant de la périodicité, je pense qu'on obtiendra une durée de cinq ans. Troisièmement, qui révisera et y aura-t-il un juge de paix ? Les États, notamment les pays en développement, disent que le dispositif ne doit pas être intrusif ; certains font une différenciation entre les pays riches – pour lesquels il doit être obligatoire – et les pays pauvres – pour lesquels il doit être optionnel. L'Europe est très allante sur ce sujet, en réclamant une clause de révision rapide, fréquente, obligatoire et positive.

Le Président de la République va d'ailleurs en Chine début novembre : celle-ci a fait des déclarations communes avec une série de pays, dont les États-Unis, le Brésil ou l'Inde, et la dernière d'entre elles sera avec la France, sur la COP. La Chine a en effet une influence déterminante sur ce sujet, étant à la fois du côté du groupe des 77 et en discussion avec les États-Unis.

Monsieur Baumel, au sujet de l'aide publique au développement, le « bleu » budgétaire présentait des annulations de crédits alors que nous avions décidé de les rétablir. Comme vous le savez, ils l'ont finalement été. Sur la question de savoir s'il faut aller plus loin, je serai solidaire de la position du Premier ministre.

Au Yémen, il n'y aura pas de victoire militaire : il suffit de regarder son histoire ; les Égyptiens y ont d'ailleurs perdu 20 000 personnes. Mes interlocuteurs semblent partager ce point de vue. Notre position est de favoriser une discussion avec l'ensemble des parties prenantes. Nous avons de très bonnes relations avec le roi et le vice-prince héritier, et le prince héritier vient dans quelques jours à Paris.

S'agissant du Congo-Brazzaville, je reçois ce soir son ministre des affaires étrangères. Il y a eu des violences hier à Brazzaville et à Pointe-Noire, qui ont fait cinq morts et plusieurs blessés. Nous avons lancé un appel au calme et donné des consignes en ce sens à la communauté française.

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