Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 26 octobre 2015 à 17h00
Commission élargie : finances - affaires économiques

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Vous voudrez bien me pardonner d'être très bref, et donc moins précis que je n'aurais pu l'être, pour des raisons d'emploi du temps.

Plusieurs questions et observations ont porté sur la francophonie. Monsieur Amirshahi, je suis évidemment tout à fait ouvert à une discussion sur le rapport de la mission d'information parlementaire sur la francophonie. La vocation des rapports n'est évidemment pas d'habiter les tiroirs, mais bien d'alimenter la réflexion.

Monsieur Marsac, vous avez raison, il y a beaucoup de choses à faire dans la direction que vous indiquez – dans le domaine économique, mais pas seulement. Il faut agir en ce sens.

Madame Got, vous revenez sur la question du tourisme, que vous connaissez parfaitement. En ce qui concerne les événements mondiaux, vous avez raison : il faut s'en servir pour développer le tourisme, et se servir du tourisme pour les développer. C'est ce que nous entendons faire, en commençant par l'Euro 2016. De nombreuses initiatives permettront à ceux qui viendront voir des matchs de rester plus longtemps, de profiter de circuits organisés… Cette expérience nourrira utilement notre réflexion méthodologique pour d'autres événements à venir.

S'agissant de la formation, vous savez, madame la députée, car vous êtes spécialiste de ce sujet, qu'il y a énormément à faire. Le Conseil de promotion du tourisme a formulé différentes recommandations.

Quant aux régions, il est vrai que le tourisme ne figure pas à proprement parler dans les contrats État-région, mais l'État veillera à sa prise en considération.

Madame Reynaud, sept de nos ambassades sont aujourd'hui colocalisées ; nous devrions en avoir vingt-cinq en 2025. J'ai, en effet, inauguré, avec mon homologue allemand, les futurs locaux communs des ambassades de France et d'Allemagne au Bangladesh. Cela peut très bien fonctionner si l'on s'y prend suffisamment à l'avance.

Monsieur Chauveau, les questions posées par Mme Gueugneau sont parfaitement pertinentes. La contribution française au Fonds des Nations unies pour la population figure dans le budget de la mission « Aide publique au développement », à hauteur de 600 000 euros environ de contribution générale. Le FNUAP reçoit également une part du financement apporté dans le cadre des engagements de Muskoka : de mémoire, cela représente environ 4 millions d'euros par an.

Vous insistez sur le rôle de la diplomatie économique et je vous en remercie. C'est effectivement quelque chose qui fonctionne bien, qui est apprécié des entreprises et qui est maintenant systématiquement pris en considération par les personnels diplomatiques. Certaines initiatives très importantes prises en ce domaine n'ont pas été évoquées ce soir. Je pense d'abord au rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts, sur lequel vous serez amenés à vous pencher prochainement. Il sera profitable à ces deux organismes. Ensuite, j'entends mettre en application, avant la fin de l'année, une orientation qui figure dans MAEDI 21 : désormais, auprès de chaque préfet de région, un conseiller diplomatique issu de mon ministère, qui sera probablement un agent assez jeune, fera le lien entre le réseau international et les services économiques de la région.

Plusieurs intervenants m'ont interrogé, dans des styles différents, sur l'enseignement français à l'étranger. C'est un sujet qui mériterait un long débat, et l'on pourrait opposer des chiffres à des chiffres : ainsi, en exécution, nous sommes à 96 millions en 2014, à 102 millions en 2015, à 109 millions en 2016. Le nouveau système de bourses a permis d'apporter plus d'équité entre les familles, mais aussi de maîtriser l'augmentation progressive de l'enveloppe, car, et sur ce point M. Mariani a été très honnête, la prise en charge telle qu'elle a été voulue par le précédent Président de la République était tout à fait impraticable. Il a fallu revenir sur cette promesse qui n'était pas financée et trouver un meilleur système.

Je partage, bien sûr, toutes les observations qui ont été faites sur la nécessité de disposer d'un système d'enseignement français d'excellence. Imagine-t-on, d'ailleurs, un instant un ministre des affaires étrangères qui souhaiterait le contraire ? Simplement, la contrainte financière est réelle. J'ai rencontré Mme Hélène Farnaud-Defromont, remarquable directrice de l'AEFE, pour voir avec elle comment arriver à l'objectif que nous nous fixons tous, par des mutualisations d'actions et des réformes, parfois modestes d'ailleurs, sans altérer la qualité de l'enseignement ni augmenter les frais de scolarité de manière déraisonnable.

Monsieur Mariani, vous m'interrogez sur les actes notariés. La seule réforme que nous menons aujourd'hui est la dématérialisation des envois d'actes d'état-civil. Faut-il continuer de transcrire les actes notariés dans les consulats de l'Union européenne ? C'est une question qui se pose ; nos partenaires n'apportent pas ce service. Je n'ai pas pris de décision sur ce point. En revanche, le tarif de la transcription des actes notariés augmente, car il était extrêmement bas. Voilà où nous en sommes. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas d'autres évolutions, mais je pense que les décisions prises sont raisonnables. Je vous tiendrai au courant d'éventuelles décisions ultérieures.

Monsieur Gomes, merci de votre propos : vous avez raison d'insister sur la diplomatie culturelle, comme sur la COP21. D'une manière ou d'une autre, il faut associer tous nos partenaires à cet événement.

Madame Hobert, vous parlez de l'attractivité de notre pays ; je vous rejoins bien sûr. S'agissant des disparités de statut, une harmonisation n'est pas possible, car cela nous entraînerait trop loin.

Monsieur Coronado, nous allons examiner votre proposition de rattachement concernant la Jamaïque ; nous ne sommes pas du tout fermés sur cette question. Il est tout à fait possible d'envisager la nomination d'un consul honoraire, de préférence un qui n'aide pas des réfugiés à franchir la Méditerranée sur des embarcations de fortune qui chavirent… Les consuls honoraires jouent un rôle très important, ils font un travail remarquable, et j'aimerais qu'il y en ait davantage.

Vous évoquez le licenciement des agents locaux : il faut, en effet, veiller de près à la dimension sociale et humaine.

Monsieur Asensi, vous m'interrogez sur la cohérence de la position française. Il faudrait évidemment une longue discussion. En tout cas, avant de dire que la France est écartée de telle ou telle conférence, je vous suggère d'attendre la fin de la semaine. Il nous arrive de travailler, et de travailler avec tout le monde, bien sûr ! Quel pays travaille avec les Américains, avec l'ensemble des pays arabes, avec les Iraniens, et avec les Russes ? La France !

Notre position, notamment sur M. Bachar Al-Assad, n'est pas suivie par tous, mais ce n'est pas une raison pour en changer. Observant votre propre pratique, cher ami, je n'ai pas le sentiment que n'être pas systématiquement suivi par la masse de la population française vous ait fait changer d'avis. Il en va de même pour notre diplomatie. Nous sommes indépendants, mais pas du bon sens ni de la justice et de l'efficacité.

Vous dites avoir du mal à comprendre la cohérence de notre position ; c'est une manière subtile et aimable de dire que notre position n'est pas cohérente. Ce n'est pas exact. Notre objectif, qu'il faut garder en vue sans se perdre dans les détails, même si c'est extraordinairement difficile, c'est de voir un jour une Syrie dont l'intégrité géographique soit préservée, qui soit en paix et dont les différentes composantes vivent côte à côte.

Pour en arriver là, il faut, bien sûr, lutter contre le terrorisme. Et je vous réponds tout de suite qu'il n'est pas question que nous armions des groupes terroristes. Cela n'aurait aucun sens, et la France ne mange pas de ce pain-là.

Les Russes disent lutter contre le terrorisme mais, jusqu'à présent, les évaluations de l'armée française – qui ne sont pas contestables – indiquent que 80 % de leurs frappes visent ceux que l'on appelle les modérés, et 20 % seulement Daech. Nous disons donc à nos partenaires russes que les actes doivent être conformes aux paroles ; nous leur disons que puisqu'ils disposent de forces importantes, d'avions en nombre, ils doivent frapper les objectifs terroristes et éviter de taper sur ceux qui ne le sont pas. Il y a d'ailleurs une contradiction effective dans le discours de ceux qui disent, d'une part, que tous ceux qui s'opposent à Bachar sont des terroristes, et, d'autre part, qu'ils sont prêts à discuter avec tout le monde en Syrie ! Il faut donc lutter contre le terrorisme, et nous le faisons.

Nous considérons également que si nous acceptions que Bachar Al-Assad soit l'avenir de la Syrie, nous pousserions dans les bras de Jabhat Al-Nosra ou de Daech la moitié au moins de la population syrienne qui a été victime des exactions de ce personnage ! Nous ne voulons donc ni des uns ni des autres – pour des raisons objectives, et absolument pas personnelles. J'ajoute que la dramatique expérience irakienne nous pousse à refuser un démantèlement de l'appareil d'État. Mais M. Bachar Al-Assad pose un problème spécifique. Nous discutons donc avec tous pour arriver à une solution, et pour qu'il cède la place.

Il n'y a là aucune incohérence : il faut lutter contre le terrorisme, et précisément pour ne pas alimenter celui-ci, il faut rechercher une solution politique, car évidemment la solution ne peut être militaire. Un mécanisme de transition doit aboutir, mais pas dans quinze ans, au départ de M. Al-Assad.

Vous m'interrogez également sur la stratégie russe. Elle est ambivalente. Au minimum, les Russes veulent conserver leur fief de Lataquié, qui n'était d'ailleurs pas en cause ; si possible, et c'est là que commence l'ambiguïté, ils souhaitent que M. Bachar Al-Assad reste au pouvoir. Laissons de côté, pour l'instant, la question morale – même si M. Bachar Al-Assad est évidemment un criminel contre l'humanité – et cherchons l'efficacité : nous devons arriver à faire évoluer la position russe sur ce dernier point. Or les Russes évolueront si nous réussissons à établir, sinon un rapport de forces, du moins un rapport d'opinions. Il faut pour cela qu'il y ait des pays dans le monde, des pays qui comptent, pour élever la voix et refuser que M. Bachar Al-Assad demeure durablement au pouvoir. Parmi ces pays, il y a la France.

Les Russes sont, je le répète, dans une situation – disons-le aimablement – ambivalente. Pour que la pièce finisse par tomber du bon côté, il faut que des pays, dont la France, qui n'ont ni agenda caché ni intérêts particuliers en Syrie, qui ne visent que l'intérêt général et la paix au Moyen-Orient, refusent que M. Bachar Al-Assad soit là pour l'éternité. Car, s'il devait se maintenir, il n'y aurait pas de paix en Syrie. Voilà la cohérence de notre position. Et, encore une fois, qu'elle ne soit pas partagée par tous n'est pas une raison pour la modifier.

J'ajoute, et vous devriez y être sensible, que c'est la position que nous avons constamment défendue. On peut changer d'avis, commettre des erreurs, mais si cette position avait été partagée dès le début, par les Russes peut-être, par les Américains à coup sûr, alors l'histoire en eût été changée.

Lorsque l'on écrira l'histoire, il faudra prêter une grande attention aux événements qui se sont déroulés en août 2013. Vous savez les armes chimiques, vous savez la « ligne rouge ». La France était prête, mais rien ne s'est fait parce que le président des États-Unis et nos amis britanniques ont refusé d'agir. Les historiens se demanderont si ce n'était pas là le point de basculement pour de nombreux événements ultérieurs. L'arme chimique avait été utilisée pour la première fois depuis des décennies ; elle avait provoqué des centaines de morts. Et alors que la principale puissance mondiale s'était engagée à intervenir, cet engagement n'a pas été tenu ! Les gouvernements arabes, mais aussi le dirigeant russe, observant cela, se sont dit qu'ils pouvaient peut-être se permettre d'autres interventions, sur d'autres continents. Bref, vous le comprenez, la Crimée et l'Ukraine sont en Syrie !

Nous en tirons les conséquences, non pas pour changer notre position, mais pour être ceux qui, dans le monde, affirment l'exigence de la liberté des peuples, et de la lutte contre les terroristes, mais aussi contre les dictateurs !

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