Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 29 octobre 2015 à 15h00
Commission élargie : finances - affaires étrangères

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Je laisserai Matthias Fekl répondre à la question relative au COP de Business France.

S'agissant des modalités de financement du plan « Très haut débit », celui-ci bénéficiera entre 2012 et 2022 de 20 milliards d'euros d'engagements, dont 6 milliards d'euros d'engagements publics portés à égalité par les collectivités et l'État. Les zones considérées comme denses et les zones intermédiaires dites AMII profiteront d'engagements financiers exclusivement privés, les crédits publics étant destinés aux territoires moins favorisés. Les crédits de l'État sont notamment dédiés aux zones rurales, où le déploiement du très haut débit s'avère le moins rentable et où les opérateurs risquent donc de ne pas investir. Le PIA a mis à disposition 900 millions d'euros – qui suffisent pour l'heure – et le programme 343 comporte les lignes budgétaires qui permettront d'aller plus loin. Le défi consiste aujourd'hui à accélérer la mise en oeuvre du plan, notamment l'investissement de la part privée en zones AMII, qui a pris du retard. L'été dernier, nous avons constitué un cahier des charges pour simplifier les règles des réseaux publics et clarifier les modes de financement.

Vous m'interrogez ensuite sur l'articulation entre la Nouvelle France industrielle, les filières et le PIA. Le pilotage de notre politique industrielle doit être cohérent : si l'État n'a pas à définir la stratégie des acteurs économiques, il doit avoir une vision quant aux secteurs clés, à l'organisation des filières et à la focalisation des crédits publics. C'est la tâche qui incombe à la Nouvelle France industrielle. Mon prédécesseur avait mis en place trente-quatre plans ; à l'issue d'une première année de fonctionnement, nous avons arrêté les plans non viables ou arrivés à maturité pour parvenir, grâce aux synergies entre les plans restants, aux fameuses neuf solutions industrielles. En effet, la distinction entre l'industrie et les services se brouille aujourd'hui. Pour réussir dans la compétition internationale, il s'agit non de produire un objet ou une offre industrielle matérielle tout en proposant, par ailleurs, des services, mais d'offrir une solution complexe à un client. C'est ainsi que se réconcilient l'industrie classique, le numérique et les services.

Au coeur de cette évolution se trouve la révolution des objets connectés, qui permet une formidable déconcentration des solutions industrielles. La transformation en cours du modèle productif doit nous faire repenser l'ensemble des chaînes logistiques ; source d'espoir, elle doit devenir l'un des vecteurs de notre renaissance industrielle. Demain, le défi ne sera plus de savoir qui produira des tubes en acier pour les envoyer à l'autre bout du monde – la production est d'ailleurs en train de se relocaliser –, mais qui saura apporter la solution la plus pertinente, combinant un objet industriel ou une entreprise numérisée et robotisée, et les services attachés qui contribueront à la valeur. Notre montée en gamme et notre différenciation passeront par notre capacité à produire des séries plus courtes, plus proches du marché final, en émettant moins de CO2, en recourant davantage au numérique et en proposant des services attachés – qui représentent autant d'opportunités d'emplois à faible qualification. Solution par solution, c'est tout cet ensemble que nous devons repenser, même si cela revient à casser beaucoup de repères et de façons traditionnelles d'organiser la production.

Au coeur de la matrice des Neuf solutions industrielles, l'Alliance pour l'industrie du futur vise précisément cette transformation du modèle productif, que j'ai vue à l'oeuvre dans plusieurs entreprises françaises et nombre d'entreprises allemandes. La diminution de la pollution résulte de la réduction de la chaîne logistique et du recours accru au numérique, mais surtout de la réorganisation complète de la chaîne de production et de la structure de l'offre. Ainsi, cette transformation industrielle promet une vraie réconciliation entre les impératifs productifs et environnementaux, qu'il ne faut plus opposer. J'ai souhaité que ces neuf solutions, comme les trente-quatre plans, soient pilotés par les industriels, avec le soutien des services de l'État et des collectivités, mais également des filières professionnelles et des branches. En effet, notre tissu industriel – comme, à présent, les services – se structure en filières ; pour éviter la déconnexion avec la réalité économique, nous avons choisi de reconstituer ce lien.

Le Conseil national de l'industrie (CNI) est un autre instrument qui permet, à travers les filières industrielles, d'organiser le rapport entre donneurs d'ordre et sous-traitants, ainsi que les politiques d'investissement et la politique de formation. Cette dernière apparaît fondamentale ; il y a plusieurs mois, j'ai demandé au CNI de faire un rapport sur le sujet, qui a été remis il y a quinze jours à Myriam El Khomri, à Najat Vallaud-Belkacem et à moi-même. En effet, pour réussir ce grand changement, il faut former les salariés et les accompagner dans la transformation du tissu industriel. Le PIA permet de financer les trente-quatre plans, devenus neuf solutions, à hauteur de 3,5 milliards d'euros. D'autres programmes bénéficient d'appels d'offres complémentaires ; mais les filières du CNI, au-delà de leurs frais de fonctionnement – pris en charge par la direction générale des entreprises –, ne mobilisent pas le PIA. Cette instance réunit les partenaires sociaux et les organisations professionnelles et patronales pour mener une discussion stratégique qui se décline branche par branche ; les crédits du PIA sont pour leur part focalisés sur la Nouvelle France industrielle.

Dès le début de la mise en place du plan « Très haut débit », nous avons pris contact avec la Commission européenne ; des discussions ont été engagées début 2013. Nos interactions se déroulent normalement, au rythme de la Commission : celle-ci n'a pas ouvert de procédure sur le sujet de la montée en débit, la longueur des discussions découlant de l'ampleur du plan. Actuellement, nous sommes en train de répondre aux questions qui nous sont adressées par les services de la Commission. Nous entretenons d'excellentes relations avec la commissaire Margrethe Vestager ; nos échanges sont dépassionnés et professionnels. À la mi-novembre, je me rendrai à Bruxelles pour la rencontrer car les dernières interactions nous donnent bon espoir pour que le régime-cadre qui évite à chaque collectivité de devoir notifier son projet soit autorisé très prochainement, peut-être avant la fin de l'année. S'il faut rester prudent – claironner un message rassurant risque de crisper les travaux techniques en cours –, la décision devrait nous être favorable. Toutefois, elle ne devrait pas ralentir le plan, comme le montre l'accord de principe donné cette semaine dans la région Nord-Pas-de-Calais pour 180 millions d'euros. Il nous faut continuer à simplifier les règles pour parvenir à des réponses qui s'articulent au niveau régional et se déclinent sur les bons territoires, pour avancer au plus vite.

Pour ce qui est du FCTVA, j'ai conscience de la difficulté que cette question représente pour les collectivités territoriales. Je continue à en débattre avec mes collègues chargés du budget et espère que nous arriverons à une réponse constructive sinon en loi de finances, du moins en loi de finances rectificative. Ces investissements d'avenir correspondent à l'architecture que nous avions envisagée ; je suis donc tout à fait en phase avec vous.

Hier, s'est tenu un conseil d'administration de STMicroelectronics, où Bpifrance est présente en tant qu'actionnaire de l'entreprise. Nous avons réaffirmé que la clarification du plan stratégique représentait un préalable à toute décision. Aucune annonce de plan de licenciement ou de restructuration n'a été faite lors de ce conseil. Je regrette que le dirigeant de l'entreprise, sans aucune validation du conseil d'administration ni de ses actionnaires français et italiens, ait pris la liberté d'annoncer un plan anxiogène et injustifié. Nous travaillons sur ce sujet en étroite collaboration avec nos amis italiens. Cette entreprise est compétitive et stratégique pour la filière française ; ses compétences sont internationalement reconnues. Produisant des composantes sensibles, en particulier en matière de communication, elle représente un instrument de souveraineté. En accord avec nos partenaires italiens, nous souhaitons aujourd'hui redéfinir un plan stratégique offensif qui seul permettra d'envisager des mesures opérationnelles, en parfaite transparence vis-à-vis de toutes les parties prenantes. Aucune annonce ne sera faite avant la finalisation de ce plan. Nous dépensons beaucoup d'argent pour soutenir cette filière, notamment au travers du PIA ; il est donc normal que nous formulions beaucoup d'exigences.

Monsieur le président Chassaigne, vous avez eu l'élégance d'ouvrir votre propos en citant René Char et de le conclure par les mots du poète préféré de ce dernier, Arthur Rimbaud. Mais après la Commune, Rimbaud a vieilli ; je ne sais s'il s'est assagi, mais il s'est épaissi. Dans « Adieu », un poème d'Une saison en enfer, il s'exclamait ainsi : « Je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! » Rimbaud a montré, si besoin était, que le vrai idéaliste était un pragmatique ; or le pragmatique regarde la réalité en face. Si l'on décide que la stratégie industrielle se mesure aux crédits budgétaires, celle de nos prédécesseurs – qui ont dépensé bien plus que nous – ne peut qu'être saluée ; mais l'on ne peut pas tout juger à l'aune de ce critère. Or vous n'avez parlé que de chiffres et de plafonds d'emplois, et je le regrette car il faut également mener une discussion stratégique sur la vision et les priorités de l'État – sur lesquelles nous pouvons nous retrouver. Considérer que c'est en dépensant toujours plus, sans repenser notre organisation, que nous étreindrons cette réalité rugueuse si chère à Rimbaud, c'est prendre le risque que Vialatte avait pris avec la langue anglaise. Cet auteur, que j'affectionne comme vous, notait chaque jour dans son journal, pour s'en souvenir, qu'il convenait d'apprendre l'anglais le lendemain... L'infortuné est mort sans parler beaucoup de mots de cette langue !

Nous risquons, pour notre part, de ne pas réussir à relever le défi qui nous est lancé : à la fois nous doter d'un modèle compétitif en participant à la renaissance industrielle, et tenir nos engagements financiers afin de ne pas transmettre aux générations suivantes une dette insoutenable. Nous laisser la capacité de choisir exige d'être sérieux – mais non excessifs – en matière budgétaire, tout en suivant une stratégie et donc en définissant des priorités. C'est tout le sens de la ligne budgétaire adoptée par le Gouvernement. Je suis, comme vous, attaché aux grands opérateurs publics et à une stratégie en matière de télécommunications, de nucléaire et de filières industrielles ; les moyens offerts par ce budget, à travers le PIA et la Nouvelle France industrielle, permettent de les sécuriser. Je m'engage à faire tout ce qui est possible pour aller dans votre sens, en particulier dans le domaine des télécommunications ; mais nous devons mener un débat sur le fond et non seulement sur les moyens.

En ce sens, monsieur Grellier, le travail mené avec le CNI, que nous avons pérennisé, apparaît très structurant. Des comités de filière importants se tiendront dans les prochains mois ; le comité de filière nucléaire qui se réunira en début d'année prochaine fera notamment suite aux engagements que nous avons demandés à l'opérateur EDF en matière de clarification des investissements de court terme. En effet, au-delà des nouvelles centrales – la loi sur la transition énergétique prévoit que ce débat soit validé par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) –, une quinzaine de milliards d'euros d'investissements de ce type sont attendus de l'opérateur. Le Conseil de politique nucléaire a demandé à EDF de faire la lumière sur cette question, qui passera en conseil d'administration dans les prochains jours. Cela permettra de donner de la visibilité à la filière et de tenir le comité de filière en début d'année prochaine, après les interactions normales avec les organisations syndicales. J'attends beaucoup de ce comité : cette filière stratégique souffre, tout comme ses sous-traitants dans les territoires.

Plus généralement, je rejoins les propos de M. le président Chassaigne, de M. le rapporteur Laurent et de M. Grellier : plusieurs filières sont dans une situation difficile à cause des conditions macroéconomiques. Le nucléaire pâtit notamment de l'effondrement des marchés d'export et de nos propres difficultés ; la filière pétrolière et parapétrolière est au plus mal en raison du rétrécissement des débouchés. Or à chaque fois, ce sont des emplois industriels qui sont en danger. Dans ce domaine, la stratégie de l'État consiste à donner de la visibilité à la filière et de défendre les sous-traitants les plus fragiles, puis d'investir dans l'ensemble des acteurs menacés. En effet, la spécificité de l'État actionnaire est d'avoir une vision de long terme, donc de ne pas lâcher une entreprise lorsqu'elle traverse des difficultés conjoncturelles.

Madame Grosskost, Martine Pinville répondra à votre question sur le fichier positif. Au fond, tout le travail sur les données d'intérêt général dans le secteur financier, qui sera mené dans le cadre de la loi sur les nouvelles opportunités économiques, répond à la vocation de ce fichier. Aujourd'hui, les banques disposent de fichiers positifs captifs, mais il faudrait clarifier le statut de ces informations, en particulier lorsqu'elles sont d'intérêt général.

Monsieur Serville, je voudrais vous rassurer quant à l'engagement du Gouvernement derrière le territoire guyanais et la stratégie de croissance. Le Premier ministre a répondu hier à une question d'actualité sur le plan d'avenir. Je me félicite que le contrat de plan État-région ait pu être signé. Nous avons pu avancer sur la question du numérique grâce aux clarifications faites à la suite de mon déplacement. Je voudrais enfin vous rassurer pleinement sur le programme 120 : il n'y aura aucune remise en cause de la capacité de l'État, et en particulier de ses services statistiques, de se déployer sur le territoire guyanais.

Madame Rabin, je laisse Martine Pinville répondre à la question relative aux CCI ; Matthias Fekl répondra pour sa part aux questions finales de M. Said.

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