Intervention de Roger Nkodo Dang

Séance en hémicycle du 3 novembre 2015 à 15h00
Allocution du président du parlement panafricain et débat sur le plan urgent d'accès à l'électricité et à la lumière pour le continent africain

Roger Nkodo Dang, président du Parlement panafricain :

; parce que parmi les leçons que l’on peut tirer de l’histoire, il y a celle qui nous enseigne que les problèmes de la France sont ceux de l’Afrique, et que les problèmes de l’Afrique sont ceux de la France ; parce qu’au-delà de notre histoire commune, notre géographie nous rapproche ; parce que la France est un grand pays d’Europe ; parce que sa voix et sa diplomatie comptent et pèsent plus que sa taille ; parce que la France possède une grande et magnifique tradition des droits de l’homme et des valeurs universelles ; surtout, parce que l’Afrique est à un moment crucial et déterminant de son histoire : une partie de son avenir se joue maintenant – dans quelques jours, dans quelques semaines.

Les 11 et 12 novembre prochains aura lieu le sommet de La Valette, à Malte ; à l’initiative de la France, il réunira l’Europe et l’Afrique afin de tenter de saisir à la racine les enjeux gigantesques des grandes migrations dont nous ne sommes qu’à l’aube. De surcroît, la Conférence des parties des Nations unies, dite « COP 21 », se réunira ici, à Paris, à la fin de ce mois, sous la présidence de la France, ce qui confère à celle-ci un rôle tout particulier et déterminant de leadership.

Il est donc crucial pour les peuples africains que représente le Parlement panafricain de lancer aujourd’hui, par ma voix, cet appel solennel.

L’Afrique connaît un bouillonnement extraordinaire d’initiatives, de talents, de jeunesse ; dans le même temps, l’Afrique s’inquiète et, à certains égards, est en danger.

Sa jeunesse oscille entre espoir et révolte. Aujourd’hui, 75 % des Africains, soit 650 millions d’Africaines et d’Africains, n’ont pas accès à ce droit fondamental qu’est la lumière, l’électricité. Or, le droit à la lumière et à l’électricité pour tous est un nouveau droit de l’homme, un droit universel, car consubstantiel à l’exercice de tous les autres droits fondamentaux, notamment le droit à l’eau, le droit à l’éducation, le droit à la santé, le droit à l’autosuffisance alimentaire, le droit à l’emploi, le droit à la sécurité, le droit à vivre en paix. Ce qui est vrai pour l’Afrique l’est également pour d’autres pays du monde, et c’est pourquoi cet appel est un appel pour le droit à lumière et à l’énergie pour tous dans le monde.

Nos enfants désespérés quittent des lieux sans lumière, sans énergie, sans activité, donc sans avenir, pour marcher vers l’énergie et la lumière, vers l’espoir, vers les grands ports des capitales, en Afrique, mais aussi hors d’Afrique. Avec 800 millions de portables, ce phénomène ne peut que s’accélérer et s’amplifier.

Oui, l’Afrique à 100 % électrifiée connaîtra une croissance à deux chiffres, une croissance soutenue et endogène pendant vingt ans.

Oui, cette croissance sera le relais évident de la vôtre. Un continent qui commence à s’équiper, qui voit se développer des classes moyennes et qui, de plus, connaît un passage de 1 à 2 milliards d’habitants en trente ans, est un dividende démographique qui permettra une croissance de proximité, notamment européenne, et plus particulièrement française. Nous sommes votre relais de croissance : aidez-nous à vous aider !

L’Afrique n’émet presque pas de gaz carbonique et est, de surcroît, un puits de carbone. Pourtant, elle est terriblement touchée, depuis plusieurs années déjà, par les conséquences du dérèglement climatique, que ce soit en région sèche – tel le lac Tchad, passé de 2,5 millions à 2 500 mètres cubes d’eau, phénomène extrêmement dangereux pour l’élevage et pour les peuples avoisinants –, ou en région très humide, comme le bassin du Congo.

Alors, oui, l’Afrique a besoin d’un plan qui touche à la fois à son développement et à sa croissance ! Elle a besoin d’un plan qui réduira ses migrations et qui lui permettra de s’adapter aux conséquences du dérèglement climatique.

Nous avons besoin de la France, nous avons besoin de l’Europe pour que l’Afrique soit électrifiée à 100 % – comme l’ont fait, à leur époque, les Amériques, l’Europe, la Chine et le Japon, et comme l’Inde est en train de réussir à le faire.

Nous sommes face à un paradoxe : l’Afrique a le plus gros potentiel du monde en énergies renouvelables, alors qu’elle a le plus grand retard en électricité. Des projets existent pourtant dans tous les pays d’Afrique, qu’ils soient solaires, éoliens, d’hydroélectricité, de biomasse ou de géothermie. Les raisons de cet état des choses ont été parfaitement étudiées et les réponses sont totalement claires. Je vous renvoie aux travaux de la fondation « Énergies pour l’Afrique ». L’énergie et la lumière pour tous est un défi vital pour vous comme pour nous, que nous vous demandons de nous aider à relever.

C’est un projet pour les Africains, fait par les Africains, et qui ne pourra se faire sans votre aide et votre coopération. Des projets d’électrification existent partout sur le continent ; il y a aussi les liquidités internationales pour les financer ; mais il manquait une organisation méthodique et unifiée pour les implanter. Eh bien, lors du sommet de Johannesburg, le 15 juin 2015, les chefs d’États et de gouvernements africains ont décidé, à l’unanimité, la création de cet instrument !

Il ne manque donc plus que les fonds propres. Ces jeunes nations – qui ont connu une multiplication par cinq de leur population depuis 1950 – n’ont pas les fonds propres nécessaires et sollicitent votre aide. C’est un peu la même chose qu’en 1947, lorsque les Américains ont apporté leur aide à l’Europe. Ce besoin de fonds propres s’élève à 5 milliards de dollars par an pendant dix ans pour toute la communauté internationale des pays développés, au profit d’un continent qui représentera – faut-il encore le rappeler – un quart de l’humanité dans trente ans.

Cinq milliards, c’est un chiffre dérisoire au regard de l’enjeu, au regard des enjeux. C’est un chiffre dérisoire au regard des éventuels et hypothétiques 100 milliards, confus, publics ou privés, qui sont toujours évoqués dans les conventions sur le climat et qui, en fin de compte, n’ont ni réalité ni affectation.

Cinq milliards, c’est un chiffre dérisoire mais qui doit être maintenant une réalité, avec des subventions annuellement garanties, automatiques, fermes, prévisibles et traçables.

Cinq milliards, c’est un chiffre dérisoire par rapport à l’immensité du défi et à ses conséquences : stabilité des pays et sécurité, réduction des migrations massives, contribution à la croissance européenne et mondiale, aide à l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique – qui sont déjà une réalité chez nous –, réalité d’un vivre-ensemble et d’un destin partagé. Certes, c’est dérisoire ; encore faut-il le faire !

Il faut, à Paris, un accord simple, robuste, automatique, garanti et rapide avec une mise en oeuvre dès 2016 et une clé de répartition claire. Il faut évidemment que l’Afrique organise un instrument dédié et mette en place les systèmes d’évaluation et de contrôle adéquats. Nous sommes prêts !

Mais nous voulons aussi que cette contribution financière se réduise au fur et à mesure de la diminution des émissions de CO2 des pays contributeurs, sur la base d’un bonus-malus : les pays développés réduiront leurs contributions en fonction de la réduction de leurs émissions. Un tel plan, véritable plan de paix, permettra à l’Afrique d’être le premier continent soutenable de l’humanité. C’est parfaitement faisable, il n’y a plus de problème technique !

Pour y parvenir, il nous faut un accord clair, un accord objectif, un chef et les moyens adéquats. Grâce à un tel accord, l’Afrique pourra passer de 25 % à 100 % d’électricité en dix ans ; au vu des projets existants, on sait qu’une grande partie du chemin pourra être faite en trois ou quatre ans. C’est un projet aux efforts modestes et aux effets considérables !

Un bon accord à Paris tiendrait en deux pages. La première porterait sur les engagements de réduction des émissions des pays émetteurs de CO2 par an, au cours des vingt années à venir. La deuxième porterait sur la contribution et la clé de répartition, au profit des pays pauvres et victimes du dérèglement climatique, selon un processus vertueux de bonus-malus.

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