Intervention de Emmanuel Macron

Séance en hémicycle du 3 novembre 2015 à 15h00
Allocution du président du parlement panafricain et débat sur le plan urgent d'accès à l'électricité et à la lumière pour le continent africain

Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique :

Monsieur le président Roger Nkodo Dang, votre présence dans cet hémicycle témoigne d’un lien fondamental que vous avez très justement rappelé. C’est un lien de peuple à peuple, car nos histoires et nos défis sont pour une bonne part communs. Même si de trop nombreux citoyens et responsables politiques l’ignorent parfois, notre avenir dépend en grande partie du vôtre.

Votre présence dans cet hémicycle et les mots que vous avez employés en témoignent : la question dont nous allons débattre plonge ses racines dans notre histoire, et touche en même temps aux enjeux les plus contemporains. Ces enjeux sont bien connus, mais ils ont trop souvent été opposés : c’est, d’une part, le développement économique du continent africain – dont vous avez parfaitement rappelé les conséquences pour l’Afrique elle-même, pour l’Europe et pour le reste du monde – et, d’autre part, la préservation de la planète – je pense ici aux enjeux environnementaux que la diplomatie française défend, notamment dans le cadre de la COP 21.

Pendant longtemps, on a en quelque sorte opposé ces deux objectifs : on considérait que la réussite du premier dépendait de la modération du second. En d’autres termes, on considérait qu’en luttant pour la préservation de tous, on risquait de ralentir le développement de certains. Or le projet dont nous débattons, votre ambition, c’est précisément de réconcilier ces deux objectifs. Pour cela, vous voulez conjointement répondre à un problème fondamental du continent africain, à savoir l’accès à l’énergie, et contribuer à la conversion progressive de la planète à l’énergie durable.

Vous avez rappelé les chiffres : ils sont cruels, et scandaleux. Une très faible proportion de votre population accède à l’énergie : 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, soit les deux tiers de la population du continent africain. L’enjeu va bien au-delà de l’accès à l’électricité ; il s’agit en réalité de l’accès à l’énergie au sens large. À cause du manque d’accès à l’énergie, dans de trop nombreuses parties de l’Afrique, l’obscurité prévaut, les communications sont absentes, et le développement économique est obéré.

Qui plus est, aujourd’hui encore, l’immense majorité des Africains utilise le bois et le charbon de bois pour cuire les aliments. C’est un vrai drame sanitaire : l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, estime que 4 millions de personnes par an dans le monde meurent prématurément à cause des maladies liées à l’utilisation des énergies fossiles à l’intérieur des habitations. Les personnes touchées sont principalement des femmes et des enfants, pour une grande part africains. C’est aussi une catastrophe écologique, car l’utilisation du bois pour la cuisson est l’une des principales causes de la désertification, notamment au Sahel.

Le manque d’accès à l’énergie est également, dans certains pays, la source de nombreux trafics qui permettent de financer, au détriment des populations et de l’environnement, de trop nombreuses activités illicites. En outre, l’absence d’énergie moderne représente un obstacle quotidien pour l’éducation et la santé. Comment, par exemple, faire fonctionner des appareils médicaux ou conserver certains vaccins sans électricité ?

C’est enfin un handicap majeur pour la croissance durable du continent africain. Sans accès à l’énergie, il n’est pas possible d’atteindre les taux de croissance économique élevés qui sont indispensables pour sortir de la pauvreté. L’Afrique est, à l’heure actuelle, le deuxième pôle de croissance mondial après l’Asie, mais dans le même temps, c’est continent où l’impact de la croissance sur la pauvreté est le plus faible. Il est souvent question de « croissance inclusive », mais cette expression restera théorique tant que l’accès de tous à la croissance n’est pas garanti ; or l’accès à l’énergie est la condition première de la croissance.

Le système actuel n’est pas en mesure de répondre au défi de l’accès à l’énergie en Afrique. Il faut donc faire différemment : c’est tout l’enjeu de notre discussion et de ce beau projet que vous êtes venu défendre ici. Sans accès à l’énergie, il sera impossible de lutter efficacement contre les principales inégalités – inégalités de santé, d’éducation, de transports, de développement économique. Sans accès à l’énergie, il n’y aura donc pas de véritable développement africain.

Or l’Afrique est le continent le plus riche quant au potentiel en énergies renouvelables : c’est bien là tout le paradoxe. Nous n’avons pas, bien sûr, à choisir pour l’Afrique ce que doit être son mix énergétique ; mais nous avons la responsabilité d’être lucides sur les solutions que nous accompagnerons. C’est pourquoi notre engagement ira, en même temps qu’à ce projet, aux priorités que représentent les énergies renouvelables, parce qu’elles ont l’avantage de concilier le développement économique et la préservation de la planète, et qu’elles ont un potentiel en termes d’emplois locaux, donc de formation de métiers d’avenir. Ce sont, je le rappelle, 20 millions de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail en Afrique. La majeure partie des équipements et des infrastructures pour l’énergie solaire et l’éolien peuvent être développés sur le continent : c’est donc bien cette forme de développement que nous appelons de nos voeux.

C’est pour ces raisons que nous devons nous mobiliser, et que le travail mené par M. Jean-Louis Borloo – que je veux à mon tour remercier et féliciter – avec la fondation « Énergies pour l’Afrique » est si important. Sur ce point, nous devons être clairs : le développement des énergies renouvelables en Afrique est une clé pour le continent africain lui-même comme pour la planète. Le Gouvernement le soutient donc fortement.

Il le soutient car il s’inscrit dans le cadre même de son action diplomatique et des initiatives prises par Laurent Fabius et Annick Girardin au cours des dernières semaines et des derniers mois. Je pense aussi aux actions que nous avons pu mener, que ce soit dans le cadre du conseil exécutif de l’initiative « Énergie durable pour tous », portée par le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, ou, dans la même optique, avec les chefs d’État de l’Éthiopie, du Sénégal et du Nigeria, rassemblés lors d’un déjeuner consacré à l’industrialisation durable du continent.

La France soutient aussi les énergies renouvelables en Afrique par sa politique de développement, et elle continuera à le faire. L’Agence française de développement – AFD – consacre chaque année environ 350 millions d’euros pour soutenir des projets dévolus aux énergies renouvelables, dans le cadre d’un engagement de 1 milliard d’euros par an au titre de la lutte contre le dérèglement climatique en Afrique ; son rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations permettra d’aller plus loin encore en ce domaine.

Mais nous ne pouvons être seuls ; aussi la mobilisation de Jean-Louis Borloo est-elle précieuse pour entraîner la communauté internationale dans un soutien à l’accès de l’Afrique à l’énergie durable. C’est pourquoi la fondation « Énergies pour l’Afrique » reçoit un soutien financier de nos ministères et du réseau diplomatique français, qui a été mobilisé pour l’accompagner. Mais, vous l’avez rappelé, c’est aussi la raison pour laquelle nous devons aller plus loin.

Plusieurs missions ont permis la mobilisation de nombreux acteurs du quotidien, pour répondre à ce défi qu’est le développement de l’énergie durable sur le continent, et vous avez rappelé, monsieur le président Nkodo Dang, les engagements financiers nécessaires dans la perspective de la conférence de Paris. Ce sont ces engagements qui doivent être collectivement tenus.

Dans ce cadre, vous allez jouer un rôle fondamental. La Banque africaine de développement doit jouer le sien, comme l’ensemble des acteurs du développement africain. Une telle initiative ne peut en effet être un succès que si le continent africain, les partenaires, se l’approprient, la portent et la développent : c’est là une condition essentielle, nous l’avons dit dès le premier jour, et qui correspond d’ailleurs à l’ambition portée par Jean-Louis Borloo. L’initiative consiste à financer 10 gigawatts supplémentaires d’ici à 2020, et jusqu’à 300 gigawatts de plus à l’horizon 2030, via la mobilisation de fonds publics et privés ; elle ne pourra voir le jour que si, sur le terrain, des acteurs légitimes se mobilisent. C’est cette voie, monsieur le président Nkodo Dang, que vous êtes venu défendre avec votre délégation, que je tiens à saluer.

Cette voie, c’est celle d’un engagement démocratique fort, un engagement politique au sens le plus noble de ce terme ; et c’est la voie de la mobilisation de tous les acteurs africains du développement que vous êtes venu porter à Paris, condition même de toute avancée dans le domaine dont nous parlons. Cette demande est ambitieuse, mais elle est cruciale pour la réussite de nos initiatives, pour la conférence de Paris et au-delà.

Il serait simpliste de résumer les attentes de l’Afrique aux seuls enjeux énergétiques. Nous le savons bien, l’Afrique reste une région vulnérable, et elle a besoin de financements pour l’adaptation, qu’il s’agisse des digues ou des mangroves. Elle est en train de formuler une demande précise à cet égard, puisque ce sont entre 30 et 40 % des 100 milliards escomptés qui seront dédiés à cette cause. L’Afrique souhaite également un soutien pour renforcer la protection des forêts, vous l’avez rappelé, dans le bassin du Congo, deuxième forêt tropicale du monde et véritable enjeu d’aménagement.

De même, il serait trop simple de résumer les enjeux de développement aux seules énergies renouvelables. Le défi dont nous parlons est essentiel pour le développement africain, essentiel pour notre ambition collective de préservation de la planète.

Mesdames, messieurs les députés, le plan d’électrification du continent africain « Électricité - Objectif 2025 » s’inscrit pleinement dans l’action de la France en faveur d’une politique de développement en Afrique et de la recherche d’un large soutien africain à l’accord de Paris sur le climat. C’est pourquoi la présente initiative, que nous soutenons, est forte et visionnaire. Votre appel et votre présence avec nous aujourd’hui en témoignent, monsieur le président Nkodo Dang, et notre engagement se doit d’être à la hauteur.

L’Afrique, et je conclurai sur cette conviction personnelle qui fait écho à vos propos si forts, n’a pas besoin de nouvelles promesses, non plus que de faux rêveurs : elle en a déjà connu beaucoup. L’Afrique a besoin d’engagements concrets – cette mobilisation en fait partie –, et elle a besoin de vrais idéalistes. Et les vrais idéalistes sont de grands pragmatiques.

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