S'agissant de la presse et des médias audiovisuels, je rappelle que ce budget est le premier examiné après l'attentat de Charlie Hebdo et un certain nombre de décisions prises en faveur du pluralisme. Plusieurs évolutions, qui viendront concrétiser les engagements qui ont été pris, montrent bien le souhait du Gouvernement de consolider un secteur très utile pour animer le débat démocratique, mais profondément fragilisé par une crise quasiment existentielle.
Entre ce budget et la loi pour la liberté de création, l'architecture et le patrimoine, dans laquelle ont été affirmés de grands principes sur la liberté de création, une véritable ambition pour le ministère de la culture a été défendue au cours des derniers mois en matière de soutien aux médias. Ce budget traduit une volonté très forte, qui s'incarne dans une autre priorité : l'indépendance de l'audiovisuel public.
Depuis 2012, le Gouvernement a en effet rétabli celle-ci, que ce soit à travers la procédure de nomination des présidents des organismes, qui est désormais la prérogative d'un collège – dont une partie des membres a d'ailleurs été nommée avant 2012 –, ou en rétablissant l'indépendance du financement du secteur, par l'affectation à ce dernier d'une partie du produit de la TOCE, ce qui est inédit.
Si je comprends que certains veuillent aller plus vite et lui affecter l'ensemble de ce produit, il fallait peut-être y penser au moment où a été décidé, très rapidement et sans étude d'impact, l'arrêt total après vingt heures de la publicité sur France Télévisions sans prendre véritablement en compte l'effet que cela aurait sur le modèle économique du groupe, et ne pas critiquer ceux qui procèdent à cette affectation.
Nous avons eu plusieurs échanges avec les services de la Commission européenne : cette affectation ne posera pas de problème juridique de nature à la compromettre. Et la jurisprudence de la Cour européenne et du Conseil constitutionnel montre bien qu'il est possible d'affecter une partie du rendement de la taxe.
Il est important que nous donnions à France Télévisions les moyens de prévoir ses recettes, ce que ne permet pas tout à fait la publicité. Le retour de la publicité après vingt heures ou la suppression de celle-ci telle qu'elle est proposée par deux sénateurs en journée pendant les programmes destinés aux jeunes montrent qu'elle donne lieu à des recettes aléatoires, dans un contexte économique compliqué. J'ai donc préféré garantir des sources de revenus très stables et pérennes pour l'audiovisuel public, ce que permet l'affectation d'une taxe au rendement assez facile à anticiper – à laquelle s'ajoute le produit de la contribution à l'audiovisuel public. Celui-ci ne dépend plus d'une subvention soumise au bon vouloir du pouvoir exécutif et aux régulations de fin de gestion, qui peuvent fragiliser les prévisions d'activité de l'audiovisuel public. Cette réforme correspond à une véritable logique comme à une véritable ambition d'indépendance du service public.
S'agissant des aides au pluralisme de la presse, le décret est prêt et sera publié dans les jours ou semaines à venir. Une quarantaine de titres – que ce soit des hebdomadaires, des mensuels, des bimestriels ou des trimestriels – devrait bénéficier de cette aide étendue, qui ira aux quotidiens à faibles ressources publicitaires – contre sept jusqu'à présent. Les titres condamnés au cours des cinq années précédentes sur la base des articles 24 et 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, relatifs à l'incitation à la violence ou à la haine, ou à l'apologie de crimes contre l'humanité, seront inéligibles à ces aides.
C'est un point auquel je tiens beaucoup, comme vous : les événements de l'an dernier ont montré la nécessité de protéger, y compris physiquement, nos organes de presse. Favoriser la diversité de l'offre, le pluralisme des idées et l'indépendance de la presse est crucial.
Aujourd'hui, plusieurs d'entre vous l'ont dit, nous voyons se dérouler un mouvement de concentration, dans l'audiovisuel comme dans la presse écrite.
Il est important pour nous de disposer d'organes de presse en bonne santé, disposant de moyens financiers, car c'est une condition pour qu'ils trouvent leur public. Mais une trop forte concentration, dans les mains d'actionnaires dont les intérêts économiques sont ailleurs, peut menacer l'indépendance des rédactions. Nous disposons, pour protéger l'indépendance des rédactions et le pluralisme des idées, de divers moyens. Ainsi, afin de traiter notamment de certaines aides indirectes, nous signons des conventions avec les éditeurs : nous pourrions très bien exiger qu'elles comprennent désormais un engagement à signer des chartes relatives, par exemple, à la responsabilité sociale et environnementale. Des discussions sont actuellement en cours, avec des associations de journalistes en particulier, pour que toutes les parties prenantes s'engagent volontairement à garantir l'indépendance des rédactions et le pluralisme des idées.
Dans le domaine de l'audiovisuel, cette réflexion est relativement neuve : jusqu'à présent, on se méfiait plutôt du contrôle des médias par de grands groupes qui détiennent également d'importants marchés publics. Aujourd'hui, les craintes concernent tous les intérêts économiques des actionnaires, ainsi que la capacité de certains annonceurs à faire pression sur le contenu éditorial.
La situation économique du secteur de la presse amène à poser ces questions démocratiques : il est légitime que le ministère de la culture et de la communication s'y intéresse et fasse des propositions. Nous y reviendrons dans les prochains mois.
S'agissant du Fonds stratégique pour le développement de la presse et du Fonds Google, ils ne sont absolument pas en concurrence. Le Fonds Google est une initiative privée, destinée à soutenir des projets innovants ; mais il ne se substitue en rien à l'État. Le Fonds stratégique pour le développement de la presse a quant à lui été complètement réorienté en 2014 vers l'innovation dans la presse : nous avons notamment fusionné ses différentes sections, ce qui a permis de mettre fin au cloisonnement daté entre aides à la presse imprimée et aides à la presse numérique. Je souligne ici que la très légère baisse des crédits affectés à ce fonds – doté cette année de 29,6 millions d'euros cette année, contre 30,4 millions d'euros l'an dernier – est uniquement due à l'extinction au 1er janvier 2016 des aides à la mutation industrielle portant notamment sur les rotatives.
Le comité d'orientation du Fonds a été élargi à des personnalités extérieures spécialistes de la transition numérique, ce qui permet d'ouvrir la discussion entre l'État et la presse à de nouveaux acteurs, qui ont beaucoup à nous apporter, notamment sur la question de la transition numérique. Désormais, la priorité est accordée aux projets mutualisés et technologiquement innovants. Un club des innovateurs, doté d'une enveloppe spécifique de 2 millions d'euros, a été créé en son sein ; il détermine les sujets technologiques transversaux les plus importants pour la filière. Il a lancé un appel à projets sur le thème de l'éducation aux médias.
Encore une fois, il n'y a donc pas concurrence entre le Fonds stratégique pour le développement de la presse et le Fonds Google.
C'est quoi qu'il en soit un vaste champ qui s'ouvre. Monsieur Rogemont, vous m'interrogez sur les réflexions menées à l'échelle européenne – vous savez comme moi que l'Allemagne et l'Espagne cherchent à mettre en place de nouveaux droits voisins, mais que, pour le moment, ces initiatives n'ont pas donné de résultats probants. À mon sens, il faut réfléchir très largement sur le partage de la valeur entre ceux qui produisent des oeuvres culturelles et les plateformes qui bénéficient de ces créations sans jamais participer à leur financement. Cela ne concerne pas uniquement la presse. À l'échelle européenne et pourquoi pas à l'échelle nationale, nous devons réexaminer le statut de ces intermédiaires qui, aujourd'hui, absorbent une part croissante de la valeur : ils ne doivent plus être traités comme des hébergeurs passifs – leur responsabilité extrêmement limitée empêche aujourd'hui de les assujettir à un certain nombre d'obligations. Je ne suis ni contre l'innovation ni contre les services au public – mais le cadre fiscal et réglementaire doit être le même pour tous les acteurs en concurrence.
Nous étudions cette question du statut des hébergeurs avec le concours de M. Pierre Sirinelli, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Nous ferons prochainement des propositions à la Commission européenne.
En ce qui concerne le portage, monsieur Rogemont, la réforme de 2014 a déjà exclu le portage vers les compagnies aériennes, qui représentait un coût très important. Nous ne prévoyons pas de faire évoluer davantage le système d'aides, mais je note votre suggestion, que j'intégrerai à nos réflexions. Comme l'a souligné M. Françaix, il faut garder à l'esprit que la fragilité actuelle du secteur rend toute réforme extrêmement sensible.
En ce qui concerne la TVA, madame Pompili, vous savez que, depuis le mois de février 2014, le même taux s'applique à la presse en ligne et à la presse imprimée. Vous n'ignorez pas non plus que la Commission considère cette mesure comme contraire aux règles européennes ; une procédure précontentieuse a été ouverte. Le ministère a commandé une étude sur la substituabilité entre la presse en ligne et la presse imprimée, afin d'étayer son argumentaire tant auprès de la Cour de justice de l'Union européenne que des autres États membres. Je vous en transmettrai les conclusions lorsqu'elles nous parviendront.
En ce qui concerne le calendrier des différentes mesures, madame Buffet, le décret sur l'aide au pluralisme sera publié très prochainement – sans doute quelques semaines à peine. Nous publierons à la fin du mois de novembre les arbitrages du Gouvernement sur le transport postal, l'accompagnement de la fin des accords Schwartz et l'année de transition. Les éditeurs concernés auront ainsi une perspective pour les prochaines années. Nous publierons au même moment les grandes lignes de notre plan d'aide aux diffuseurs, récemment annoncé par le Président de la République. Ce plan est indispensable, au regard de la situation très difficile des kiosquiers.
En ce qui concerne la protection du secret des sources, nous avons travaillé avec la Chancellerie, vous le savez, à un projet de loi visant à la renforcer. La loi de 2010 a constitué une avancée, mais la pratique a montré que des clarifications s'imposaient : les journalistes considèrent en particulier que l'atteinte au secret des sources en raison d'un « impératif prépondérant d'intérêt public » peut être appréciée de façon trop large par les tribunaux. Après de nombreux échanges interministériels – car s'il faut garantir la liberté de l'information, il faut également protéger le déroulement de certaines enquêtes sensibles, notamment en cas d'atteinte grave à la sécurité des personnes ou de la nation –, le Premier ministre s'est engagé à inscrire le projet de loi renforçant la protection du secret des sources à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais. Notre travail continue donc.
Je reviens un instant à la question de la concentration pour souligner que l'Autorité de la concurrence a validé les récentes opérations qui ont eu lieu dans le secteur de la presse. Il revient naturellement au Gouvernement de veiller à la bonne application de la législation en la matière, notamment pour garantir le pluralisme de l'information en limitant la domination d'un seul éditeur, soit dans la presse, soit par le contrôle de différents médias. Mais un modèle économique robuste assure la pérennité des titres de presse, et donc le pluralisme. Parallèlement à cette indéniable concentration, nous devons donc continuer à travailler avec les éditeurs et les représentants des journalistes pour renforcer l'indépendance des journalistes et des rédactions.
En ce qui concerne le soutien apporté aux salles de cinéma indépendantes, madame Pompili, j'ai rappelé à l'occasion des vingt-cinquièmes rencontres de L'ARP quelle chance nous avons d'avoir un cinéma admiré dans le monde entier pour sa créativité, son dynamisme et ses succès. Nous avons su, ensemble, construire et faire vivre une politique qui favorise la diversité et le renouveau de la création, l'investissement des entreprises, le développement de savoir-faire de renommée internationale, et enfin, la cinéphilie du public. Cela tient beaucoup à la densité de notre réseau de salles, qui a su se moderniser et entretenir le lien avec le public. C'est exceptionnel : peu de pays ont réussi à combiner multiplexes et salles d'art et essai. Les pouvoirs publics doivent continuer d'apporter leur soutien à ces salles indépendantes, qui sont au coeur du modèle français de diversité culturelle.
Le plan de numérisation des salles, auquel le Parlement a apporté son appui, a été mené à bien. Notre action doit continuer. L'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) étoffera ses dispositifs en faveur de l'exploitation ; le CNC agit en faveur du cinéma d'art et essai ; enfin, des discussions sont en cours entre exploitants et distributeurs afin que les conséquences de l'introduction du numérique sur la diffusion des films soient mieux prises en considération. Vous le voyez, nous sommes très mobilisés, et vous pouvez compter sur nous pour que notre extraordinaire réseau de salles de cinéma continue d'irriguer notre territoire.
En ce qui concerne la chronologie des médias, c'est un pilier de l'exception culturelle : elle constitue la contrepartie du préfinancement, qui est à son tour la condition de la diversité du cinéma, et qui doit donc être protégé. Mais il est également indispensable de favoriser la diffusion des oeuvres. Des discussions pour parvenir à un équilibre satisfaisant sont, là encore, en cours ; j'ai bon espoir qu'elles aboutissent rapidement.
En ce qui concerne enfin l'extension des types d'annonceurs sur Radio France, madame Martinel, la consultation a été prolongée de quelques jours ; il est donc trop tôt pour vous répondre. L'objectif d'une telle modification du régime publicitaire serait de sécuriser – juridiquement et financièrement – la publicité sur Radio France.