La France a toujours manifesté la volonté de jouer un rôle majeur dans le concert des nations. Mais après une décennie d’hémorragie budgétaire, les moyens dévolus ne permettent plus d’atteindre cette ambition. La forte hausse des crédits dans le projet de loi de finances pour 2016 n’est, hélas, qu’un trompe-l’oeil lié aux taux de change et à la COP 21. Nous demeurons dans le cadre des politiques d’austérité et d’un plan triennal qui affaiblit notre action extérieure, avec la baisse de 3 % des crédits et la suppression de 600 équivalents temps plein, dont 115 pour 2016.
L’universalité du réseau est mise à mal par la fermeture d’antennes consulaires et le projet de transformation de vingt-cinq ambassades, qui devraient adopter un format très allégé d’ici 2017. De surcroît, le nécessaire redéploiement vers les pays émergents s’effectue au détriment de pays amis de la France. La culture paie également le prix fort, avec une chute des crédits de 3,9 % et la fermeture de plusieurs antennes culturelles. Une vision marchande de la culture progresse alors que la mondialisation effrénée exigerait que la culture soit érigée au rang d’instrument de dialogue entre les nations. J’observe enfin que la diplomatie économique prend le pas sur les volets les plus fondamentaux de l’action extérieure, afin de défendre les intérêts de quelques sociétés au patriotisme somme toute limité.
Au-delà des questions budgétaires, vous me permettrez quelques mots sur les orientations de notre diplomatie. Après l’alignement de la France sur la bannière états-unienne sous le mandat de Nicolas Sarkozy, nous attendions un rééquilibrage. Je constate au contraire que la France a pris le leadership de l’atlantisme en Europe. Sur le dossier du nucléaire iranien comme sur les conflits syrien ou ukrainien, notre jusqu’au-boutisme dépasse même celui des États-Unis.
De l’avis de tous les observateurs, la France est isolée. Membre permanent du Conseil de sécurité, ancienne puissance mandataire, la France a ainsi été tenue à l’écart des premières discussions sur l’avenir de la Syrie à Vienne. La doctrine du « ni-ni » prônée en Syrie – ni Bachar, ni Daech – nous a conduits à l’impuissance, faute de hiérarchiser nos ennemis. Elle a fait obstacle à une large coalition anti-Daech incluant la Russie, l’Iran et les pays voisins, seule à même d’éradiquer le fléau terroriste et d’enclencher la nécessaire transition politique à Damas, pour permettre aux Syriens de choisir librement leur avenir et décider, en fin de compte, du sort du dictateur Assad.
Alors que la France a vocation à défendre un monde multipolaire, notre diplomatie s’inscrit dans le schéma ancien de l’affrontement entre les blocs. En tenant à l’écart le partenaire russe dans nos efforts diplomatiques au Proche-Orient et en refusant de comprendre son intérêt stratégique à endiguer l’avancée de l’OTAN aux frontières orientales de l’Europe, nous nous aliénons les chances de ramener la stabilité et la paix.
Le principe de réalité si cher au Président de la République impose de voir le monde tel qu’il est : vingt-six ans après la chute du mur de Berlin, nous ne sommes toujours pas à la fin de l’histoire. De nouvelles puissances mondiales émergent en dehors de l’hégémonie américaine et atlantique et réclament un nouvel ordre mondial.
Par ailleurs, je m’interroge sur la cohérence de la position française au Moyen-Orient. En déroulant le tapis rouge aux pétromonarchies d’Arabie Saoudite et du Qatar qui soutiennent en sous-main les mouvements djihadistes, nous prenons un risque majeur.