Monsieur le président Jacques Delors, à vous entendre, m'est venue à l'esprit la phrase de Hegel : « Et la chouette ne prend son envol que le soir… », tant est grande la sagesse de vos propos.
Il y a quelques mois, vous aviez déclaré ne pas croire à l'Europe-puissance, ce que vous venez de redire en peu de mots. Il est évident qu'il n'y aura jamais de politique européenne extérieure commune.
Il faut aujourd'hui choisir entre une idéologie intégriste et la souplesse. Une Europe à vingt-sept, mais c'était déjà le cas d'une Europe à six, est nécessairement très diverse. Je ne crois pas à l'intégrisme idéologique de l'union économique et monétaire car une loi d'airain veut que l'union monétaire entre des pays à l'économie divergente ne puisse aboutir qu'à une union de transfert. Dans une excellente note, l'économiste Patrick Artus écrit que pour maintenir le système, l'Allemagne devrait chaque année transférer 12% de son produit intérieur brut. Le 20ème siècle a vu disparaître 59 monnaies, dont bon nombre de monnaies uniques. L'Europe a péché par utopie. La dette n'est pas la cause de notre perte de compétitivité, mais sa conséquence. Toutes les études montrent que nous devrions dévaluer d'au moins 30% à 40% par rapport à l'Allemagne, et ne parlons pas de la Grèce qui devrait dévaluer de 70%.
La souplesse que je prône n'exclut pas que l'on s'entende par exemple en matière de politique commerciale – à condition que nous ne nous voilions pas la face sur la réciprocité ou la politique industrielle –, ou d'économie durable car ce sont là des besoins. Mais de grâce, sortons de l'utopie.