Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, les moyens de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2016 s’élèvent à 1,25 milliard d’euros, en progression de près de 5 % par rapport à 2015. Le programme 204, consacré aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et à l’offre de soins représente 44 % de ces crédits, tandis que 744 millions d’euros vont à l’aide médicale d’État, dans le cadre du programme 183.
S’agissant du programme 204, je veux dire ici ma satisfaction de voir la France enfin dotée d’une grande agence de santé publique. Ce sera un centre de référence indépendant qui aura pour mission d’éclairer la décision publique, à l’instar des agences d’autres pays qui font autorité en la matière – aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention, au Royaume-Uni le National Institute for Health and Care Excellence, ou encore, au Québec, le célèbre Institut national de santé publique.
Cette nouvelle structure reprendra les missions auparavant assurées par trois agences – Mme la secrétaire d’État l’a indiqué –, mais aussi par la plate-forme « Addictions drogues alcool info service », ou ADALIS, qui sera internalisée ; elle disposera d’un budget de 220 millions d’euros et emploiera plus de 600 personnes. Il est à remarquer qu’en commission élargie, sa création a été saluée conjointement par Claude Goasguen, rapporteur spécial de la commission des finances, et par Bernadette Laclais, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales : c’était un bel instant d’unanimité, avant que la majorité et l’opposition ne se séparent, sans surprise, sur le programme 183 qui traite de l’aide médicale d’État.
Membre de très fraîche date du CEC, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, j’ai pu prendre connaissance du rapport d’information rédigé, à la demande du groupe Les Républicains, par nos collègues Claude Goasguen et Christophe Sirugue sur la mise en oeuvre des conclusions de leur rapport de 2011. Ce rapport, tout comme le rapport initial, est extrêmement riche en informations ; il nous apprend beaucoup sur la réalité de l’AME, en tordant le cou à certaines approximations. J’en reprendrai quelques éléments.
Fin 2014, on comptait 294 300 personnes enregistrées à l’AME – rappelons, ce n’est jamais inutile, que ce dispositif de prise en charge est ouvert aux étrangers en situation irrégulière résidant depuis plus de trois mois de façon ininterrompue sur notre territoire et dont les ressources sont inférieures au plafond identique à celui fixé pour bénéficier de la couverture maladie universelle complémentaire. Les bénéficiaires sont le plus souvent – dans 56 % des cas – des hommes isolés âgés de 20 à 45 ans ; deux tiers d’entre eux sont du ressort des huit caisses de la région parisienne et 40 % relèvent des caisses primaires de Paris et de Seine-Saint-Denis. En province, ils sont les plus nombreux à Marseille, à Nice, dans le Rhône et l’Hérault et, hors métropole, en Guyane, qui accueille 6 % du total des bénéficiaires.
Le rapport cite une étude de Médecins du monde portant sur 28 000 patients précaires accueillis en 2010 dans une trentaine de villes françaises, qui nous apprend que 92 % d’entre eux sont de nationalité étrangère et que 50 % sont en situation irrégulière, donc éligibles à l’AME – selon les critères rappelés. Globalement, ils souffrent de retard dans le recours aux soins, avec une couverture vaccinale plus faible ; des risques élevés de tuberculose ont été diagnostiqués chez plus de 1 % des patients dépistés. À la caisse primaire d’assurance maladie de Paris, la tuberculose coûte en moyenne 18 000 euros, en raison de souches multirésistantes plus fréquentes ; or une tuberculose multirésistante coûte cent fois plus cher à soigner qu’une tuberculose ordinaire – d’où l’intérêt du dépistage. L’étude de Médecins du monde note aussi que parmi ces personnes les sérologies positives au VIH et aux hépatites B et C sont en moyenne dix fois plus élevées que dans la population générale et qu’une femme enceinte sur deux a un retard de suivi de sa grossesse.
La dépense moyenne annuelle pour un bénéficiaire de l’AME s’élevait à 2 823 euros en 2014, soit l’équivalent de ce qu’elle était en 2007 – 2 846 euros – et en 2008 – 2 829 euros. Cette stabilité, après une augmentation significative en 2011, est le fruit de la réforme de la tarification des séjours hospitaliers engagée dès 2012, avec un rendement attendu de 60 millions d’euros en 2016. Notons que la prise en charge de certains patients porteurs du VIH qui pourraient bénéficier de la procédure dite « étranger malade » grève indûment le budget de l’AME.
Selon le rapport, la fraude est très marginale depuis la sécurisation des titres en 2010, et les contrôles opérés a priori et a posteriori par les agents de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés n’en ont relevé que cinquante-quatre cas en 2014, pour un préjudice de 130 000 euros.
Je termine en disant ma conviction que l’on peut parler ici de l’AME de façon apaisée. La conclusion des deux rapporteurs s’accorde sur des pistes d’amélioration, mais diverge fondamentalement sur le fond : l’un, le rapporteur spécial de la commission des finances, considère que le système de l’AME est caduc et qu’il faut impérativement limiter la prise en charge ; l’autre estime à l’inverse que le désengagement de l’État se traduirait par un retard dans l’accès aux soins, avec in fine un renchérissement de la dépense et un probable basculement, pour des raisons humanitaires, de la charge financière sur les associations et les collectivités.
Mes chers collègues, la commission élargie a voté les crédits de la mission « Santé ». Cela ne vous étonnera pas que le groupe SRC, conforté par le rapport du CEC sur l’AME, émette également un vote favorable.