Intervention de Alain Chrétien

Séance en hémicycle du 18 décembre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2012 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Chrétien :

Ce crédit d'impôt reste donc une très maigre réponse au regard du fameux rapport Gallois, dont vous vous félicitiez systématiquement et qui préconisait, quant à lui, un vrai choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales – jusqu'à trois SMIC et demi, soit 30 milliards d'euros – vers la réduction de la dépense publique et le relèvement de certains taux intermédiaires de TVA. Il n'est donc pas certain que ce crédit d'impôt, dont la facture sera payée par les ménages, permette de faire baisser les coûts de l'industrie ; pour ce faire, il aurait fallu cibler des salaires plus élevés que deux fois et demi le SMIC.

De même, votre crédit d'impôt ne répond pas à l'urgence de notre situation économique et à ce qu'attendent les entrepreneurs. Alors qu'il devrait s'appliquer dès le 1er janvier 2013, comme il était prévu pour la TVA anti-délocalisation, il n'entrera pas en vigueur avant 2014. Pourtant, vous partagez, du moins je l'espère, notre constat concernant la situation d'urgence dans laquelle se trouve l'économie française. C'est d'autant plus préoccupant que le maintien de l'objectif de la France de ramener son déficit public à 4,5 % du produit intérieur brut n'est plus garanti, puisque la recapitalisation de Dexia alourdira sensiblement le déficit budgétaire de l'État, qui atteindra plus de 86 milliards fin décembre, contre 83 milliards attendus jusqu'ici. Pour atteindre l'objectif de 4,5 %, vous allez, une fois de plus, faire appel à la hausse de la fiscalité applicable aux entreprises. J'y vois l'occasion de souligner l'étouffement croissant des entreprises par les prélèvements fiscaux. Dès lors, nous ne pouvons que nous interroger sur une politique budgétaire qui consiste à donner aux entreprises d'un côté, pour leur reprendre de l'autre, avec un ensemble de mesures qui vont considérablement alourdir leurs charges.

Depuis le mois de juillet, il faut constater que votre politique budgétaire ne pose pas la bonne question : celle du nécessaire rééquilibrage entre hausse des recettes et baisse des dépenses. En faisant porter les deux tiers de l'effort de redressement des finances publiques sur les ménages et sur les entreprises sans réduire le train de vie de l'État, vous proposez 20 milliards de hausses d'impôts, élevant ainsi le niveau des prélèvements obligatoires au taux record de 46,3 %. Ce n'est pas le crédit d'impôt compétitivité-emploi proposé dans ce collectif, et dont on nous dit que l'attribution sera conditionnée dans trois mois, qui risque d'inverser la donne, après le matraquage fiscal que le budget pour 2013 va leur faire subir. Nous citerons, entre autres, la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunts à 75 % en 2013, le mécanisme de report des déficits des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, la modification de l'assiette de la quote-part pour les frais et charges sur les plus-values de cession de titres de participation, la modification du régime des acomptes d'impôts pour les entreprises et, enfin, l'imposition au barème progressif de l'impôt sur le revenu des gains de cession de valeurs mobilières, les conditions pour en être exonéré étant tellement éloignées de la réalité qu'il sera très difficile pour les entreprises de les réunir toutes. Autant de mesures à charge contre les entrepreneurs qui investissent, prennent des risques et créent de l'emploi ! À ce propos, il serait intéressant d'analyser de manière exhaustive les départs de Français vers l'étranger, qui ont fait l'actualité récente. Je pense non seulement aux artistes, mais aussi et surtout aux entrepreneurs, comme l'a si justement souligné à plusieurs reprises le président de la commission des finances, Gilles Carrez.

Une telle analyse est d'autant plus urgente que le matraquage fiscal auquel vous vous livrez dans le projet de budget pour 2013 va poser avec encore plus d'acuité la question de l'harmonisation fiscale dans la zone euro. La France va ainsi compter 153 taxes et prélèvements pesant directement ou indirectement sur l'entreprise, alors que l'Allemagne n'en compte que cinquante-cinq. Il en résulte que, hors impôt sur les sociétés, ce sont près de 72 milliards d'euros de taxes qui vont peser directement sur les entreprises. Le Conseil des prélèvements obligatoires a d'ailleurs indiqué que « les prélèvements sur les entreprises représentent 39 % des prélèvements obligatoires du pays, soit dix points de plus que la moyenne de l'Union européenne ». Ainsi, la France va devenir le pays le plus taxé d'Europe, avec un taux de prélèvement de 46,3 %, plus élevé qu'en Suède, où il est de 44,2 %. Seul le Danemark nous dépasse, avec 48,2 %.

Enfin, vous avez d'abord tenté de faire croire aux ménages que les hausses d'impôts ne concerneraient que les riches. Mais personne n'est dupe, surtout pas les Français ! En vérité, vous avez inventé la révolution fiscale permanente, et ce sont au moins six Français sur dix qui vont subir votre matraquage fiscal. Le gel du barème de l'impôt sur le revenu, que vous auriez pu remettre en cause, va, à lui seul toucher, l'essentiel de la classe moyenne en augmentant la pression fiscale de 2 %. Cette hausse, associée à la hausse programmée des contributions sociales à hauteur de 15,5 %, à la suppression du prélèvement libératoire ainsi qu'à la nouvelle tranche d'imposition à 45 %, élèvera le taux d'imposition à plus de 100 % pour certains contribuables.

En somme, ce collectif ne répond pas aux questions les plus urgentes. Il n'apporte pas de réponse à la nécessaire diminution de la dépense publique, puisqu'on ne sait toujours pas où vous irez chercher les 10 milliards. Il confirme surtout la mise en oeuvre d'une politique fiscale incohérente, qui abroge la TVA compétitivité en juillet pour l'adopter à nouveau en décembre. Enfin, il n'apporte pas de réponse sur les nécessaires réformes en matière de compétitivité, alors que le rapport Gallois lui en fournissait la matière. Sa réponse au défi de la compétitivité se résume à redonner d'une main aux entreprises ce qu'il leur aura pris de l'autre, ni plus ni moins. Les Français et les entreprises ne comprennent pas une telle politique budgétaire.

Pour toutes ces raisons, le projet de loi de finances rectificative ne saurait être examiné en l'état en séance publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

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