Permettez-moi de préciser à quel public s'adresse le dispositif. Ce sont des personnes qui ont disparu des radars de notre société : elles ne sont prises en charge ni par les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) ni par les CSAPA, et elles n'ont pas de médecin traitant. Elles sont dans la rue. Pour les avoir accompagnées pendant plusieurs années, je connais leurs pratiques. Elles vivent dans des squats, se piquent au pied des immeubles et le seul professionnel de santé qu'elles voient – quand elles en voient un – est le pharmacien chez qui elles viennent chercher un Stéribox. Voilà la réalité du terrain !
Vous dites que ces personnes doivent venir s'injecter leurs produits dans une salle dédiée et être accompagnées. Trouvez-vous préférable, que faute de tels lieux, elles se piquent à l'entrée d'un parking souterrain ? S'il faut saluer les sénateurs pour avoir maintenu, contre toute attente, le principe du dispositif, les modifications qu'ils ont adoptées, auxquelles vous êtes favorables, témoignent d'une certaine méconnaissance de ces populations. Elles s'injectent là où elles achètent le produit. Vous vous faites plaisir intellectuellement en proposant d'adosser ces salles à des établissements de santé mais, dans la pratique, ces personnes ne prendront jamais un bus pour se rendre à l'hôpital. Elles continueront à se piquer dans la rue.
L'expérimentation que nous souhaitons mettre en place vise un public précis, une population que personne ne voit – ni médecin référent ni éducateur de rue –, qui ne fréquente pas les CSAPA ni les membres de l'association AIDES, et qui se pique comme elle peut au bas des immeubles ou dans les parkings souterrains. Une population non identifiée qui choque tout un chacun quand elle se pique à la vue de tous dans la rue. Ce diagnostic visuel, je vous invite à aller le faire dans les grandes villes.
Pour autant, ces gens ne sont pas partout, ils se rassemblent dans les lieux où se vendent les produits, notamment l'héroïne. Les centres ne seront pas des zones de non-droit, bien au contraire, puisqu'ils y rencontreront des personnes qu'ils ne voient pas d'habitude. Je ne comprends donc pas où est le blocage sanitaire ou psychologique, à moins qu'il ne soit purement idéologique.
Évidemment, cela a un coût, mais la vie humaine a un coût. Si c'est ce qui vous gêne, emmenons-les sur un bateau et noyons-les dans l'Atlantique ! Cela ne coûtera rien et on ne les verra plus se piquer dans la rue. Moi, je pense que notre République, si elle croit encore en la dignité, doit leur tendre la main pour un très long chemin. Pour bien connaître le sujet, je puis vous dire que les parcours de ces personnes sont très longs et parsemés de rechutes. Pour une marche franchie, elles en redescendent deux puis en regagnent trois. Elles ne s'arrêtent pas de se droguer juste parce qu'on le leur demande. C'est ainsi.
Quelle autre solution avez-vous à proposer, chers collègues de l'opposition ? Vous n'allez tout de même pas prendre ces gens de force pour les placer dans des centres et les sevrer. Que suggérez-vous pour les raccrocher un tant soit peu à notre société et faire en sorte qu'elles commencent à regagner en dignité et à s'en sortir ?