Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 12 novembre 2015 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Après l'article 34

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Je comprends bien l’intérêt d’avoir quelque chose sur sa feuille de paie plutôt que d’aller le chercher auprès de la caisse d’allocations familiales. Mais, en toute vérité et en toute sincérité, cet amendement ne donnerait pas en soi du pouvoir d’achat aux Français. C’est la prime d’activité qui offrira du pouvoir d’achat.

Pour continuer d’être sincère, je dois aussi dire que ce texte soulève un certain nombre d’interrogations, tel qu’il est écrit aujourd’hui. La question de sa rédaction est extrêmement complexe, compliquée et subtile de tous points de vue et je comprends qu’elle soit difficile, puisqu’il est parfois difficile pour mon administration elle-même de rédiger parfaitement. Il pose en effet des questions d’ordre constitutionnel. Il ne s’agit pas des interrogations précédentes qui ont mené à l’annulation de la modulation de la CSG sous le gouvernement de Lionel Jospin ou de la modulation des cotisations récemment, puisque, par le biais de la prime d’activité, vous avez tenu compte des revenus du ménage.

Le risque, c’est de créer des situations différentes entre des gens qui ne sont pas réellement dans des situations différentes. Pour prendre l’exemple le plus frappant, vous parlez des travailleurs salariés, et moi-même je parlais de la feuille de paie, mais il y a d’autres moyens de gagner sa vie et des gens qui auraient tout à fait le droit à la prime d’activité et à une diminution de CSG ne sont pas concernés par ce texte. Nous allons créer des différences. Si quelqu’un a des certitudes absolues dans le domaine constitutionnel, qu’il me le dise, mais je m’interroge sérieusement sur la constitutionnalité de cet amendement.

Enfin, il existe des problèmes opérationnels importants. L’exonération, comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, n’est accordée que sous la condition de respecter des critères de ressources et de charges qui doivent être évalués a posteriori, soit après la fin de l’année, lors du calcul de l’impôt sur le revenu. Cette contrainte, à la fois juridique et opérationnelle, pourrait aboutir à ce qu’il faille récupérer un trop-perçu.

Je prends l’exemple d’un couple marié, dans lequel une personne est rémunérée trois fois le SMIC, la femme, et l’autre au niveau du SMIC. Aujourd’hui, ce ménage n’est éligible ni à la prime, ni à l’exonération de CSG. Pourtant, la personne qui est rémunérée au SMIC aura bénéficié, à titre provisoire, d’une exonération qui sera appliquée par son employeur lors du calcul de sa paie. Il faudra donc que ce ménage rembourse, lors du paiement de l’impôt sur le revenu, l’exonération attribuée à tort, soit 1 200 euros dans ce cas.

Je ne dis pas que cela est impossible à faire, ni que cela ne se fait jamais. Il y a des cas de crédits d’impôt où des mécanismes de cette nature existent, mais chacun doit avoir en tête que cette difficulté se posera. Je pourrais aussi donner des exemples relatifs à des jeunes. Les cas en question ne sont pas une broutille. D’après des calculs, qui sont sans doute contestables, parce que nous en sommes réduits aux évaluations dans ces domaines, ce sont entre 10 et 20 % des bénéficiaires de l’exonération qui seraient concernés, soit environ 2 millions de personnes.

Cela pose aussi bien entendu des problèmes par rapport à la mise en place de la prime d’activité cette année : c’est très compliqué de la mettre en place si on sait qu’elle sera modifiée l’année d’après – il est vrai que la date prévue pour la mise en vigueur du dispositif, soit le 1er janvier 2017, pourrait être une réponse.

Je ne cherche pas à plaire ou à déplaire, mais à expliquer le plus sincèrement possible quelles sont les difficultés qui d’ailleurs, je crois, sont reconnues par les auteurs de l’amendement puisque beaucoup d’entre eux disent qu’il faudra continuer à travailler sur le sujet.

En l’état actuel de sa rédaction, même sous-amendée tel qu’il est proposé, en raison des interrogations d’ordre juridique ou opérationnel dont je viens de faire mention, le Gouvernement ne peut donc pas être favorable à cet amendement. Je m’en remets donc au vote de votre assemblée.

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