Intervention de Jacques Bompard

Séance en hémicycle du 17 novembre 2015 à 15h00
Prévention des risques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, je vous épargnerai un nouvel exposé sur le travers de la transposition de dispositions européennes en droit français. Le parcours de ce texte montre assez combien la fabrique législative bruxelloise va contre les intérêts de notre peuple et contre notre conception du droit et de la nation.

Entre nous soit dit, il est assez évident que ce processus est inconvenant, inefficace et dangereux. Il est complètement à regretter que le Gouvernement propose la procédure accélérée sur ce genre de textes. Nous devons aller vers toujours plus de contrôle de la marchandisation de la terre, des semences et de la culture que le cosmopolitisme essaie de nous imposer. À ce titre, faire passer ce genre de textes et négocier en même temps dans le dos des peuples le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis, autrement dénommé TAFTA, relève de la mauvaise foi législative. Il n’est jamais fait référence à ces négociations dans nos débats et dans les explications des textes qui nous sont présentés.

Qu’est le TAFTA ? Concrètement, il vise à mettre en place une gigantesque zone de libre-échange correspondant à un marché de plus de 800 millions de consommateurs. Comment pouvez-vous nous laisser croire que cela n’aura aucun impact sur la protection du vivant ? Quand on voit que l’article L. 533-6 du code de l’environnement revient à laisser une institution supranationale décider des mises en vente dans notre pays, on mesure à quel point la santé des Français n’est que peu défendue.

Si l’on reste d’ailleurs sur l’article 18 du texte, se pose la question de l’autorité sur notre territoire. Est-ce à des technocrates parisiens ou bruxellois de décider de la mise en culture d’une partie de la France ou bien au pays réel, au peuple qui, lui, connaît ses paysages et sa nature ? Nous en revenons aux mêmes questions politiques qui provoquèrent par exemple la crise des bonnets rouges et d’autres problématiques prouvant que la France est une nation forte de ses provinces et des organes indépendants de sa nation.

En des temps moins obscurs que les nôtres, aucune puissance décisionnaire n’aurait pu imposer depuis la capitale des bouleversements agricoles ou culturels sans convocation des parlements locaux. Le cosmopolitisme gagne cependant toujours à s’allier au jacobinisme.

À l’inverse, il faudrait aujourd’hui communiquer nos décisions pour avis à la Commission européenne. C’est de la politique hors-sol contre les parties charnelles. C’est la victoire des experts sur les paysans, l’apothéose des marchands contre les producteurs. Et ce n’est pas un référendum électronique qui viendra améliorer cette situation. La politique n’est pas soluble dans les consultations informatiques.

Nous touchons donc bien là à un affrontement politique qui marquera le vingt et unième siècle : l’affrontement entre, d’un côté, les tenants du capitalisme néolibéral, prêts à supprimer l’ensemble des médiations qui constituent le cadre de vie des sociétés humaines et, de l’autre, la nation, la famille, la terre, la parcelle, la tradition, les passionnés de l’enracinement, qui ne cesseront de rappeler que les principes ne sont pas des valeurs éternellement négociables ou modifiables.

Je regrette que le Gouvernement n’en profite pas pour aborder la question essentielle des semences, lesquelles sont aujourd’hui mises en danger par des appétits financiers privés qui voudraient breveter l’ensemble du vivant. Or, les semenciers français sont représentés par le même organisme selon qu’ils fassent de la culture biologique ou qu’ils travaillent pour Monsanto ; c’est inconcevable !

Permettez-moi de dire quelques mots sur la culture des OGM. Il est indiqué dans de nombreux rapports que le maïs MON 810, seul OGM actuellement autorisé dans l’Union européenne, est cultivé dans trois États : 110 000 hectares en Espagne, 9 000 au Portugal et 3 000 en République Tchèque. Or, le Haut conseil des biotechnologies indique clairement dans son avis du 23 juin 2015 qu’une série de risques est avérée au sujet de cet OGM. J’entends bien que votre projet dispose d’éléments permettant d’éviter certaines pollutions de notre espace agricole, mais comment la France peut-elle laisser se développer ce type de risques majeurs dans une Europe dont elle voudrait être pionnière ?

Il est important que les dirigeants politiques acceptent cette écologie concrète, locale, qui ne s’embarrasse pas de consortiums internationaux pour reconnaître les bienfaits d’un retour au respect des cycles de la nature et du savoir-faire des paysans.

Je ne résiste pas à l’envie de vous citer mon compatriote provençal Jean Giono dans sa Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix : « La monnaie donne à l’État la force des droits sur votre vie. Mais c’est vous qui donnez la force à la monnaie ; en acceptant de vous en servir. Or, vous êtes humainement libres de ne pas vous en servir : votre travail produit tout ce qui est directement nécessaire à la vie. Vous pouvez manger sans monnaie, être à l’abri sans monnaie, assurer tous les avenirs sans monnaie, continuer la civilisation de l’homme sans monnaie. » Ce que Giono nous dit là, c’est l’exact inverse de ce que proposent les gouvernements successifs au monde agricole. En France, on entend : « Soumettez-vous aux normes internationales, aux accords de Doha ou de Dubaï », « Soyez convaincus que Bruxelles connaît mieux vos vignes que vous, que les commissaires savent entretenir vos haies ». Il faudra que l’État et la loi déguerpissent un jour de ces sphères qu’ils n’entendent pas, qu’ils ne comprennent pas, et qu’au final ils détruisent. On n’a jamais vu un énarque produire un bon Châteauneuf ; on en a vu en revanche ne pas savoir les déguster.

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