Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’associe à mon tour à l’hommage rendu aux familles, aux enfants touchés par les horreurs du terrorisme dans notre pays. Quel contexte difficile pour parler de l’enfance en danger ! Mais nous devons poursuivre notre travail. Les enfants incarnent l’avenir, l’espoir, notre force.
Protéger l’enfant, alors qu’il ne trouve pas dans sa famille les bonnes conditions de sa sécurité et de son épanouissement, l’accompagner pour lui donner les meilleures chances de réussir sa vie d’adulte, tel est l’enjeu fondamental de ce texte, qui vient renforcer la loi de 2007.
Environ 300 000 jeunes sont concernés par l’aide sociale à l’enfance, compétence assurée par les départements. Merci à notre collègue sénatrice Michelle Meunier, qui, avec Muguette Dini, a été à l’initiative de cette proposition de loi. Merci à vous, madame la secrétaire d’État, d’avoir contribué à faire évoluer ce texte pour répondre aux insuffisances du cadre législatif de 2007. Vous l’avez fait après une large concertation saluée par les professionnels et les personnes directement concernées par l’aide sociale à l’enfance.
Je tiens à saluer le travail qui a été réalisé par le Sénat lors de l’examen, en deuxième lecture, de la présente proposition de loi. Nous avons de grandes divergences mais l’examen du texte s’est passé de manière plutôt constructive.
À l’issue des travaux de la Haute assemblée, huit des cinquante et un articles de la proposition de loi qui restaient en discussion au terme de la première lecture à l’Assemblée nationale ont été adoptés conformes. Un autre, l’article final de gage financier, a fait l’objet d’une suppression conforme. Il restait donc quarante-trois articles en navette ; la commission en a adopté vingt sans leur apporter de modification.
Un certain nombre d’avancées majeures contenues dans la proposition de loi ont été confortées et enrichies par le Sénat, notamment celles prévues à l’article 5, qui tend à préciser le rôle et le contenu du « projet pour l’enfant », ainsi que les modalités de son élaboration. Le projet pour l’enfant est au coeur de ce texte, et ces précisions sont fortement attendues par les professionnels qui oeuvrent chaque jour aux côtés des familles et des enfants en difficulté.
En première lecture, la commission avait adopté, à mon initiative ainsi qu’à celle de Mme Françoise Dumas et des commissaires du groupe socialiste, républicain et citoyen, deux amendements identiques proposant une nouvelle rédaction de l’article 5. Il s’agissait en effet d’élargir son champ d’application à l’ensemble des enfants bénéficiant d’une décision de protection de l’enfance, que celle-ci soit de nature administrative ou de nature judiciaire, hors aides financières.
Cette nouvelle rédaction tend par ailleurs à mieux prendre en compte, dans l’élaboration et la mise en oeuvre du projet, les ressources de l’environnement de l’enfant, en y reconnaissant la place des personnes qui s’impliquent auprès de lui. Elle tend à faire de l’enfant l’acteur central du projet, puisqu’il est précisé que le mineur est associé à son établissement « selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité ».
En séance publique, notre Assemblée a précisé, sur proposition de Mme Chantal Guittet et de plusieurs de nos collègues, que le projet pour l’enfant devait prendre en compte les relations personnelles entre les frères et soeurs, lorsqu’elles existent, afin d’éviter les séparations, sauf, bien sûr, si cela est impossible ou si l’intérêt de l’enfant impose une autre solution.
À l’initiative de M. Joël Aviragnet, notre Assemblée a voulu préciser que l’élaboration du projet pour l’enfant comprendrait une évaluation médicale et psychologique du mineur afin de détecter les besoins de soins qui devraient être intégrés au document. Joël Aviragnet a quitté notre assemblée en septembre mais je le salue et le remercie de s’être engagé et d’avoir contribué à faire progresser la protection de l’enfance grâce à son expérience de professionnel au service de l’enfance et des adolescents.
Le Sénat n’a pas remis en cause ces avancées. Outre des amendements rédactionnels et de coordination, la commission des affaires sociales de la Haute assemblée a adopté deux amendements de sa rapporteure afin de garantir, d’une part, que le projet pour l’enfant soit communicable à chacune des personnes physiques ou morales qu’il identifie, selon les conditions relatives à l’accès aux documents administratifs prévues par la loi du 17 juillet 1978, et, d’autre part, que les autres documents relatifs à la prise en charge de l’enfant, notamment le document individuel de prise en charge et le contrat d’accueil dans un établissement, s’articulent bien avec le projet pour l’enfant.
Par ailleurs, l’introduction dans le code pénal de la qualification d’inceste constitue une avancée essentielle de cette proposition de loi. Elle est très attendue par ceux et celles qui ont été victimes d’agressions sexuelles et à qui l’on doit cette reconnaissance de qualification.
Le Sénat a adopté trois amendements permettant d’améliorer la définition de l’inceste retenue à l’article 22.
Le premier amendement a supprimé la condition d’autorité de droit ou de fait pour les incestes qui seraient commis par le frère, la soeur, l’oncle, la tante, le neveu ou la nièce. Il ne semble, en effet, pas opportun de prévoir cette condition et de qualifier différemment, par exemple, un viol ou une agression sexuelle commis par un grand frère ou une grande soeur, ayant une autorité de droit ou de fait, et ceux commis par un frère ou une soeur plus jeune n’ayant pas cette autorité.
Le deuxième amendement a exclu de la qualification d’inceste les actes commis par le tuteur ou le délégataire de l’autorité parentale. Cette suppression nous paraît nécessaire car un tel ajout aurait permis de qualifier d’inceste une agression sexuelle alors qu’il n’existerait entre l’enfant et l’auteur de l’infraction aucun lien familial ou d’alliance.
Le troisième amendement a exclu de la qualification d’inceste les actes commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin et l’ancien partenaire lié par un PACS. Cette suppression est elle aussi pertinente, car cette mention rendrait possible la condamnation d’une personne pour inceste à l’encontre de l’enfant d’un ancien compagnon ou d’une ancienne compagne né après leur séparation et avec lequel il n’a aucun lien familial.
Néanmoins, la convergence de vues entre les deux assemblées n’est que partielle et un certain nombre de sujets importants continuent de faire l’objet de désaccords.
Tel est notamment le cas de l’article 5 EA, qui prévoit l’accompagnement des jeunes majeurs au-delà du terme de la mesure de protection dont ils font l’objet. Au stade de l’examen de la proposition de loi en séance publique, le Sénat a supprimé cet article, que la commission a bien sûr rétabli depuis.
Les mineurs pris en charge doivent continuer à être accompagnés après leur majorité. C’est notamment le cas de ceux qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel ou de ceux qui rencontrent des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou service à caractère expérimental. Ces mineurs doivent se voir proposer un accompagnement une fois qu’ils sont devenus majeurs, pour leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée. De la même façon, les majeurs âgés de moins de vingt et un an qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants, et qui sont, pour cette raison, pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance doivent se voir proposer le même accompagnement.
Sans supprimer l’article 5 ED, le Sénat a modifié de façon substantielle le dispositif voté par notre Assemblée en première lecture qui prévoyait que, lorsqu’un enfant est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, l’allocation de rentrée scolaire ou la part d’allocation différentielle qui lui est due doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse des dépôts et consignations en assurera la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. À cette date, le pécule sera attribué et versé à l’enfant.
Contre l’avis de sa rapporteure, Mme Michelle Meunier, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté un amendement prévoyant désormais que, lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, l’allocation de rentrée scolaire due à la famille pour cet enfant serait versée à ce service, soit au département. Jugeant au contraire que doter les jeunes majeurs, à leur sortie de l’ASE, d’un pécule constitué par le versement de l’allocation de rentrée scolaire est une mesure innovante de nature à faciliter leur entrée dans la vie adulte, la commission a rétabli, et précisé, cet article qui avait été retenu par l’Assemblée nationale en première lecture.
Pour nous prononcer sur cette mesure, pensons d’abord à l’enfant et à son avenir. Le témoignage dont vous venez de nous faire part, madame la ministre, relatif à cette famille qui a dû accueillir une jeune fille sortant de l’ASE, démontre combien cette mesure est bonne. Je vous remercie donc de cette initiative particulièrement innovante qui témoigne de notre confiance donnée à ces jeunes majeurs marqués par une enfance perturbée.
Parmi les autres modifications importantes auxquelles le Sénat a procédé et que notre assemblée ne saurait approuver, il faut citer : la suppression des dispositions de l’article 1er qui prévoient la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance ; celle de l’article 2 ter, relatif au suivi des mesures prises pour lutter contre l’absentéisme scolaire et le décrochage, et que la commission a rétabli sur proposition de Mme Sandrine Doucet ; la suppression de l’article 7 – sur laquelle notre commission est également revenue – qui prévoit que le président du conseil départemental devra mettre en place une commission pluridisciplinaire pour examiner les situations d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins – cet examen devant avoir lieu tous les six mois lorsqu’il s’agit d’enfants de moins de 2 ans.
Le retour à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, en première lecture, de l’article 21 ter, relatif à l’encadrement du recours aux tests osseux, me semble nécessaire et adapté pour protéger les mineurs d’une utilisation abusive et arbitraire de ces tests. L’encadrement strict du recours aux tests osseux dans la rédaction que nous avons adoptée en première lecture apporte les garanties nécessaires aux mineurs, sans qu’il soit nécessaire de créer, dans chaque département, un comité d’éthique chargé de statuer sur la minorité ou la majorité des personnes à partir des éléments d’évaluation. Par ailleurs, la codification de cet encadrement strict dans le code civil demeure souhaitable, à savoir que la réalisation de ces tests ne peut se faire qu’à la demande du juge, avec l’accord du mineur, le doute lui bénéficiant.
Enfin, ne saurait être retenue la rédaction adoptée par le Sénat à l’article 22 quater, qui prévoit l’obligation, pour les départements, de transmettre au ministère de la justice les informations dont ils disposent sur le nombre de mineurs isolés étrangers présents sur leur territoire. Cette transmission d’informations permet au ministère de la justice de fixer des objectifs de répartition proportionnés aux capacités d’accueil de ces mineurs dans les différents départements. Nous souhaitons mettre en place un dispositif de solidarité nationale entre les départements : l’article 22 quater ne peut donc prévoir une simple évaluation des capacités d’accueil des départements.
Mes chers collègues, cette proposition de loi comporte des avancées considérables pour mieux garantir une égalité de traitement de l’enfance en danger ou en risque de l’être, sur l’ensemble de notre territoire national ; mieux détecter des situations d’enfants en danger ; mieux protéger des milliers d’enfants qui aspirent à vivre dans un cadre stabilisé leur permettant le meilleur épanouissement ; mieux coordonner l’action des nombreux partenaires qui interviennent au quotidien auprès de nos enfants.
Pour ces raisons, je vous invite à adopter la présente proposition de loi en deuxième lecture, qui a reçu l’avis favorable de notre commission des affaires sociales. Œuvrons ensemble pour que les situations de Marina, de Damien et des autres ne puissent plus se reproduire. Ce texte le permettra.