Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, pour ma première prise de parole devant l’hémicycle depuis les attentats, je voudrais m’incliner devant la mémoire des victimes, m’associer à la douleur des familles et des proches et saluer le courage des forces de l’ordre, des pompiers et des équipes de santé qui sont intervenus de manière admirable tout au long de la nuit et encore ce matin en Seine-Saint-Denis.
En ces temps troubles, permettez-moi, chers collègues, d’introduire mes propos en citant quelques vers de Gérard de Nerval :
« Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin,
je coulai ma douce existence,
Sans songer au lendemain. »
Ces lignes extraites du poème L’Enfance offrent un écho tout particulier à la proposition de loi que nous examinons à nouveau aujourd’hui. On pourrait estimer que la solidité de notre cohésion sociale se mesure à l’aune de notre capacité à protéger les plus faibles et, parmi eux, nos enfants. Ne dit-on pas que la capacité de protection des plus faibles est la définition même de la civilisation – comme ce mot résonne encore plus singulièrement depuis cette terrible nuit de vendredi !
S’investir pour les jeunes, en particulier pour les mineurs en danger ou qui risquent de l’être, est sans aucun doute une lourde responsabilité. Permettre à des enfants abandonnés, maltraités et traumatisés de grandir afin d’entrevoir un avenir d’adulte serein et confiant est une tâche éminemment difficile. La protection de l’enfance est une politique essentielle qui concerne près de 300 000 jeunes pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Elle poursuit un objectif de cohésion sociale, en protégeant les enfants issus de familles que la vie a fragilisées, abîmées, parfois détruites.
Huit ans après la promulgation de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, force est de constater que, malgré des avancées importantes, son application se caractérise encore par des carences, des retards et des inégalités territoriales. Il n’est pas ici question de mettre en cause l’équilibre de cette loi qui a constitué, depuis la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements, la première réforme d’ampleur de la protection de l’enfance, mais il nous faut faire évoluer la loi et les pratiques des professionnels sur certains points précisément identifiés.
À titre d’exemple, chacun conviendra que la législation actuelle n’apporte pas de réponses satisfaisantes au problème majeur de l’instabilité des parcours des mineurs pris en charge. Il est nécessaire de renforcer l’action des départements, chefs de file de l’aide sociale à l’enfance. S’ils sont animés d’une réelle volonté de faire évoluer leurs pratiques, ils se heurtent souvent à différentes difficultés : une augmentation du nombre de placements ; une augmentation de la durée moyenne des placements ; des situations très complexes ; l’arrivée, de plus en plus, de jeunes étrangers isolés ; et cela dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.
Face à des dépenses sociales en progression continue et menacés – le terme est faible – par une inadéquation des concours de l’État pour compenser leurs charges, les conseils départementaux sont confrontés à une véritable impasse budgétaire. Pourtant, malgré les contraintes financières, le travail accompli par l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs est à saluer. Chaque jour, ils sont confrontés à la vulnérabilité et à la fragilité de ces enfants et ils travaillent avec détermination, dévouement et courage pour les aider. Je souhaite leur rendre ici solennellement hommage.
Cette proposition de loi doit permettre de stabiliser le parcours de l’enfant, de lui donner les moyens de construire un projet stable, de se construire, alors que la vie l’a profondément bouleversé. Si chacun s’accorde sur les principes qui sous-tendent le vote d’une nouvelle loi relative à la protection de l’enfance, les débats sont vifs entre le Sénat et l’Assemblée.
Je pense notamment à l’article 1er de la proposition de loi qui prévoit la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance. Cet organisme serait chargé de proposer au Gouvernement les grandes orientations nationales de la protection de l’enfance, de formuler des avis et d’évaluer la mise en oeuvre des orientations retenues. Il apparaît ici indispensable de conférer à la protection de l’enfance une impulsion nationale, compte tenu – cela a été dit et répété – du manque de coopération et de la persistance d’un cloisonnement entre les différents secteurs d’intervention. Aussi, dans cette perspective, selon l’UDI, la création d’un tel organisme va dans le bon sens.
L’article 4 prévoit la désignation, dans chaque service départemental, d’un médecin référent pour la protection de l’enfance, chargé d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, la cellule de recueil des informations préoccupantes, les médecins exerçant dans le département et, bien sûr, les médecins scolaires. Ce dispositif devrait permettre de repérer les situations de négligence, de maltraitance ou de danger avec plus d’efficacité qu’aujourd’hui. Il est inacceptable de rester passifs quand des enfants continuent de mourir sous les coups de parents violents, et ce alors même que les situations familiales sont connues des services. J’espère sincèrement et profondément que ce nouveau dispositif mettra fin à cette souffrance indicible et parfois invisible.
Par ailleurs, le groupe UDI, qui avait porté et défendu une proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur les mineurs, soutient tout particulièrement l’inscription de l’inceste dans le code pénal. En effet, l’introduire dans notre droit en tant qu’infraction à part entière participera à reconnaître enfin la spécificité des violences et des traumatismes endurés par les enfants qui en sont victimes. Il n’en était que temps. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre 2015 pour qu’une telle modification soit enfin introduite dans notre législation ?
À travers cette proposition de loi, qui s’inscrit dans le prolongement de la mission d’information qui avait été confiée à Mmes Dini et Meunier, des dispositions utiles sont proposées. Elles ont été complétées et enrichies par les travaux du Sénat et de l’Assemblée, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Notre seule crainte bien sûr, et je crois qu’elle est partagée sur tous les bancs, porte sur la capacité du département à assumer financièrement ces mesures dans un contexte budgétaire que chacun sait particulièrement contraint. Pour mémoire, les départements consacrent chaque année déjà 7 milliards d’euros à l’aide sociale à l’enfance, soit environ 20 % de leurs dépenses d’action sociale, et les dispositifs sont saturés. Malgré cette réserve, cette proposition de loi allant dans le bon sens, le groupe UDI la soutiendra.