Intervention de Bérengère Poletti

Séance en hémicycle du 18 novembre 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, « On est de son enfance comme on est d’un pays », écrivait Antoine de Saint-Exupéry. La France a, aujourd’hui plus que jamais, après les terribles événements qu’elle vient de vivre, revendiqué d’être le pays des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle se doit donc d’être irréprochable dans sa politique de protection de l’enfant. Notre pays doit, justement, encore progresser en la matière, car, en dépit des textes, et notamment de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, les dysfonctionnements persistent aujourd’hui et font régulièrement la une d’actualités morbides.

Cette proposition de loi doit apporter une véritable avancée en matière de sécurité et de protection des enfants : nous voici, pourtant, avec une deuxième lecture aux airs de déjà-vu. Les propositions des sénateurs ont été majoritairement supprimées en commission, et nous retrouvons donc, ici, la version d’une proposition de loi pleine de bonnes intentions, telle qu’issue des travaux de notre assemblée en première lecture.

Certaines mesures sont efficaces, comme la nouvelle version de l’article 22, qui, suite à une véritable coproduction entre le Sénat et l’Assemblée, introduit la notion d’inceste dans le code pénal : notre groupe soutient cette mesure qui représente une avancée importante.

Mais certaines dispositions destinées à protéger les enfants, sans moyens les accompagnant, ne vont malheureusement pas dans le bon sens. Je pense notamment à la création, au sein des départements, des commissions pluridisciplinaires chargées d’examiner tous les ans la situation des enfants confiés à l’ASE, ou tous les six mois s’agissant des enfants de moins de 2 ans.

Aujourd’hui, faute de moyens notamment, 30 % des départements n’ont pas satisfait à l’obligation de définition des projets personnalisés pour l’enfant. Or nous assistons à la création de nouveaux niveaux d’intervention et de décision. Vous le savez, cela implique des contraintes supplémentaires pour les conseils départementaux, qui n’arrivent déjà pas à appliquer celles issues des dispositifs en vigueur, qui se trouvent au bord du dépôt de bilan et qui risquent de subir une double asphyxie au niveau de leurs missions tout autant que de leurs moyens.

Madame la secrétaire d’État, il faudrait que nous ayons l’assurance que cette réorganisation de l’action publique en faveur de l’enfance soit réellement efficace et opérante : dans ce domaine en particulier, il s’agit d’aller vite.

C’est d’ailleurs pourquoi notre groupe doute, également, de la pertinence de l’article 1er bis, qui, de nouveau, met à la charge du conseil départemental la mise en place d’un protocole de coordination des acteurs de la protection de l’enfance. De nouvelles contraintes, un temps d’action plus long, de nouveaux surcoûts, alors que l’intérêt des enfants commande d’agir plus rapidement.

Dans le même esprit, l’article 5 ED, qui consiste à bloquer l’allocation de rentrée scolaire sur un compte d’épargne en faveur des enfants confiés à l’ASE, soulève quelques interrogations.

Une remarque de gestion s’impose : ce sont les départements qui assument les frais scolaires des enfants confiés à l’ASE. Dans le contexte financier difficile qui est le leur, il serait logique de leur reverser l’ARS, même si nous savons bien qu’en l’état actuel des choses, ce sont les familles qui touchent cette allocation.

J’ajouterais une remarque de bon sens : si nous comprenons la volonté du Gouvernement de doter les jeunes gens confiés à l’ASE d’un petit pécule pour démarrer dans la vie, ce n’est pas à l’allocation de rentrée scolaire de l’alimenter. Cette allocation, comme son nom l’indique, vise à couvrir les dépenses de fournitures scolaires des élèves modestes.

Si nous devons faire un geste pour les enfants confiés à l’ASE, il doit faire l’objet d’une autre mesure, mobilisant par exemple une fraction des allocations familiales qui, je le le rappelle, peuvent être, sur décision du juge, versées aux parents ou au conseil départemental, ou, parfois, réparties entre les deux. Un autre argument pourrait être tiré du niveau du pécule pour l’enfant.

Je souhaiterais maintenant évoquer l’article 16 : je soutiens la version du texte votée par notre assemblée en première lecture, qui visait à résoudre une situation d’inégalité flagrante. Il existe en effet des enfants qui, aujourd’hui, paient toujours des dettes fiscales parce qu’ils étaient mineurs lors du décès de leur parent adoptif et qu’ils n’ont pas été correctement pris en charge.

L’enfant adopté simple et mineur lors du décès de son parent est victime d’une discrimination, en raison de son incapacité juridique : il ne peut en effet constituer lui-même le dossier de preuve requis. Dans ce cas, l’enfant est soumis au jugement et à la diligence aléatoire de son tuteur, qui peut parfois, malheureusement, se désintéresser de son sort.

Nous avions adopté en première lecture, à l’initiative de M. Denys Robiliard et de moi-même, un amendement prévoyant la possibilité de demander à l’administration fiscale la remise des droits impayés pour la partie qui excède les droits qui auraient été dus si les dispositions de l’article 16 avaient été en vigueur à la date du fait générateur, c’est-à-dire du décès de l’adoptant. C’était une mesure de justice, et nous nous étions tous retrouvés pour la voter.

La commission des affaires sociales n’a pas souhaité revenir, en deuxième lecture, sur la rédaction adoptée par le Sénat mais a, fort heureusement, donné un avis favorable, au titre de l’article 88, à un amendement proposant de rétablir cette mesure qui permettrait réellement de garantir la sécurité juridique des personnes concernées.

Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, et en l’absence de mauvaises surprises, notre groupe s’abstiendra sur ce texte et pourrait même voter pour, si nos amendements – les plus importants en tout cas – étaient adoptés.

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