Je souhaite vous remercier, monsieur le président, d'avoir permis que ces travaux se tiennent dans des délais aussi contraints, qui résultent du caractère exceptionnel de la menace à laquelle le pays fait face et de la nécessité de prendre avec une grande célérité des mesures rigoureuses pour protéger les Français. Je remercie tout particulièrement le président de votre commission, qui a approuvé cette démarche et qui a bien voulu être le rapporteur de ce texte.
La France affronte une situation d'une extrême gravité. Les actes barbares commis vendredi dernier à Paris et à Saint-Denis constituent de véritables actes de guerre et jamais notre pays n'avait connu jusqu'alors d'attaque terroriste d'une telle ampleur. Nous sommes résolus à mener la guerre contre le terrorisme avec toute la force de la République, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. C'est le message que le Président de la République a délivré lundi après-midi au Parlement réuni en Congrès. Nous prenons toutes les décisions qui s'imposent dans le respect des lois de la République pour protéger nos concitoyens et traquer les terroristes où qu'ils se terrent.
La première de nos réponses porte sur la mobilisation exceptionnelle de l'ensemble des forces de sécurité, renforcées par les effectifs de nos armées. Je leur rends un hommage appuyé en raison du professionnalisme et de la bravoure avec laquelle elles sont intervenues vendredi soir pour secourir les Parisiens, et encore ce matin à Saint-Denis pour mettre hors d'état de nuire certains des terroristes fanatisés.
La réponse de la France réside dans les mesures exceptionnelles décidées par le Président de la République dès la nuit de vendredi, en conformité avec nos lois et avec nos engagements internationaux. Nous avons ainsi rétabli les contrôles à nos frontières, comme nous le permet le « code Schengen » en de telles circonstances, et l'état d'urgence a été proclamé sur l'ensemble du territoire afin de donner aux pouvoirs publics des moyens exceptionnels en vue de préserver l'ordre public et de prévenir de nouveaux attentats.
Vous le savez, l'état d'urgence a été décrété à seulement trois reprises sous la Ve République, pour faire face à des événements d'une extrême gravité : en 1961, sur l'ensemble du territoire métropolitain, après le putsch des généraux à Alger ; en 1985, en Nouvelle-Calédonie ; enfin en 2005, dans 26 départements, pour mettre fin aux émeutes dans les banlieues – et dans ce dernier cas, le champ des mesures utilisées a été très restreint.
Les mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 visent à prévenir les attaques portées contre l'ordre et la sécurité publics.
En premier lieu, par disposition expresse, le ministre de l'Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions de jour comme de nuit en tout lieu, notamment au domicile privé d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une grave menace. Les perquisitions peuvent également concerner les parties communes d'immeubles d'habitation, mais aussi des locaux cultuels, associatifs ou commerciaux qui auraient attiré l'attention des services et seraient susceptibles d'abriter des activités liées au terrorisme.
La loi de 1955 étant à certains égards lacunaire, nous avons veillé, en liaison avec la chancellerie, à encadrer dès samedi matin les perquisitions administratives, en diffusant des instructions conjointes aux préfets et aux procureurs de la République. En amont comme en aval, ces perquisitions impliquent ainsi que les préfets travaillent en lien avec les procureurs de la République qui seront informés sans délai de la décision de procéder à une perquisition, comme ils seront ensuite informés sans délai de ses résultats.
Ensuite, le ministre de l'Intérieur peut décider de l'assignation à résidence de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible de passer à l'acte ou bien que son comportement constitue une menace grave.
Par ailleurs, restreignant la liberté de circulation, l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 prévoit des mesures limitant les déplacements de personnes pour contribuer à réduire les risques liés à des rassemblements. Il est notamment possible d'interdire à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics, de séjourner dans tout ou partie du territoire d'un département. La personne concernée ne peut y pénétrer ou bien doit le quitter si elle s'y trouve déjà.
Une autre mesure importante porte sur l'interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté. Les représentants de l'État peuvent ainsi instaurer des couvre-feux dans les parties de leur département qui leur paraissent exposées à des risques importants de troubles à l'ordre public.
L'état d'urgence rend également possible l'instauration, par arrêté, de zones de protection ou de sécurité où le séjour est réglementé, afin d'assurer la sécurité de bâtiments publics ou d'édifices privés susceptibles d'être pris pour cible par des terroristes.
Enfin, pour atteindre des objectifs de maintien ou de rétablissement de l'ordre public, il est possible de procéder à des réquisitions de personnes ou de biens – comme le prévoit l'article 10 de la loi de 1955.
J'insiste sur le fait que les pouvoirs confiés aux représentants de l'État dans ce cadre-là sont des pouvoirs exceptionnels. L'état d'urgence n'est pas le contraire de l'État de droit ; il en est, quand la situation l'exige, le bouclier.
C'est la raison pour laquelle les mesures prises en application de la loi du 3 avril 1955 sont soumises au contrôle du juge administratif qui est chargé d'en apprécier, le cas échéant, la légalité. Si les attributions des représentants de l'État sont étendues, il n'en reste pas moins que leurs arrêtés doivent respecter les principes constants qui encadrent l'exercice du pouvoir de police administrative. À cet égard, il importe en particulier que les mesures prises soient nécessaires et proportionnées à l'importance des troubles ou de la menace qu'il s'agit de prévenir.
La loi de 1955 prévoit que la prolongation de l'état d'urgence au-delà de douze jours soit autorisée par une loi. Le Gouvernement propose donc, dans l'article 1er du présent projet de loi, de proroger l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015, date à laquelle le décret pris le 14 novembre 2015 cessera de produire ses effets.
Chacun conçoit en effet que la situation de menace très élevée à laquelle la France doit faire face va durer au-delà de la période de douze jours pendant laquelle l'état d'urgence peut être déclaré par décret. Il est donc nécessaire, pour approfondir la lutte contre le terrorisme, que les autorités administratives puissent recourir aux mesures que je viens de rappeler pendant une période, certes limitée dans le temps, mais suffisamment longue pour qu'elles puissent s'assurer que les auteurs des attentats, leurs complices et éventuellement ceux qui profiteraient de cette période pour commettre à leur tour des attentats, soient mis hors d'état de nuire.
La prorogation de l'état d'urgence apparaît d'autant plus nécessaire que nous pouvons constater l'efficacité des mesures qu'il prévoit. Depuis dimanche, elles ont permis en effet d'obtenir des résultats très importants : 63 interpellations – 28 au cours de la nuit dernière – et pas moins de 413 perquisitions – 117 au cours de la nuit dernière –, que j'ai décidées et qui ont été réalisées sur l'ensemble du territoire. Ces perquisitions ont permis la saisie de 72 armes au cours des trois derniers jours, parmi lesquelles 30 armes longues et 11 armes de guerre. Parallèlement, à ce jour, 118 assignations à résidence ont été prononcées dans toute la France à l'encontre d'individus présumés dangereux. Grâce aux possibilités que nous offre le régime de l'état d'urgence, nous portons donc les coups les plus durs aux individus et aux filières qui nourrissent le risque terroriste.
J'en viens aux modifications que le Gouvernement propose d'apporter au texte d'origine de la loi du 3 avril 1955, en vue de moderniser certaines de ses dispositions et de les rendre plus efficaces, tout en apportant des garanties supplémentaires aux personnes concernées. Elles portent sur cinq points principaux : le dispositif d'assignation à résidence ; les conditions des perquisitions administratives ; la dissolution d'association ou de groupements de fait ; les mesures assurant le contrôle des médias ; les sanctions pénales applicables en cas de violation de la loi.
L'assignation à résidence prévue à l'article 6 de la loi de 1955 est complétée au terme de plusieurs dispositions nouvelles. Ces mesures visent à s'assurer que la personne assignée à résidence respecte l'obligation qui lui est faite sans mobiliser à l'excès les forces de l'ordre dans un contexte de forte activité de ces dernières. Elles s'inspirent du régime déjà applicable aux étrangers représentant une menace pour l'ordre public, assignés à résidence dans l'attente de leur éloignement du territoire.
Ainsi, la personne faisant l'objet de l'assignation peut être contrainte à demeurer dans des lieux d'habitation pendant une plage horaire fixée par le ministre de l'Intérieur dans la limite de huit heures par vingt-quatre heures. Elle peut également être tenue de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie, dans la limite de trois présentations par jour, et de remettre son passeport ou toute autre pièce d'identité. Elle peut se voir interdire d'entrer en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles constituent une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics.
Par ailleurs, dans la mesure où le lieu de l'assignation à résidence, fixé par le ministre de l'Intérieur, peut être différent du lieu de résidence habituel de la personne concernée, il est prévu que le ministre puisse la faire conduire sur place par les services de police ou de gendarmerie.
Ce régime vise donc à répondre avec efficacité aux nécessités immédiates de la lutte contre la menace terroriste ; mais les garanties qui sont octroyées aux personnes concernées sont parallèlement renforcées. Les recours qu'elles peuvent former, autrefois examinés a posteriori par une commission consultative ad hoc, sont désormais soumis au juge administratif dans le cadre bien plus protecteur des procédures de référé-suspension et de référé-liberté – dans lequel, vous le savez, le juge doit statuer en quarante-huit heures.
De même, les perquisitions administratives, que la loi de 1955 autorise de jour comme de nuit, et qui ne faisaient l'objet d'aucune restriction, feront désormais l'objet d'une information obligatoire du procureur de la République. Elles devront en outre être conduites en présence d'un officier de police judiciaire, de façon à assurer la meilleure articulation entre l'action administrative et l'action judiciaire. L'usage des perquisitions, qui n'était pas précisé, est limité aux circonstances où il existe des raisons sérieuses de penser que le lieu concerné est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics.
Cependant, dans un souci d'efficacité, le champ des perquisitions est étendu à tous les lieux, sans s'arrêter aux domiciles des personnes privées, à l'exception du lieu d'exercice des professions protégées – avocats, parlementaires, journalistes. L'accès aux données informatiques, ainsi que leur copie, que ne pouvait évidemment pas prévoir la loi de 1955, sont désormais explicitement autorisés.
Le présent texte introduit ensuite une disposition nouvelle en prévoyant la possibilité de dissoudre, pendant l'état d'urgence, les associations ou groupements de fait portant une atteinte grave à l'ordre public, compte tenu notamment du rôle de soutien logistique et de recrutement qu'ils peuvent jouer au bénéfice de groupes terroristes. Cette disposition pourra notamment trouver à s'appliquer à des associations cultuelles, lorsque les lieux de culte servent en réalité à abriter des projets contre l'ordre public, aussi bien qu'à des associations politiques, qu'elles soient ou non formellement constituées, qui poursuivent le même but. En l'état actuel du droit, les procédures de dissolution existent, mais elles exigent des délais d'une durée incompatible avec les situations d'urgence dans lesquelles, par définition, s'applique cette loi. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité se donner les moyens d'agir avec célérité, parce que la situation l'exige.
De façon symétrique, ce projet prévoit la suppression de l'une des dispositions de la loi de 1955 : la possibilité de prendre des mesures pour contrôler la presse et les publications de toute nature, ainsi que les émissions radiophoniques, les projections cinématographiques et les représentations théâtrales. Chacun comprend que ce contrôle n'a plus de pertinence dans le monde d'abondance médiatique qui est le nôtre, dès lors que l'information circule en permanence sur internet, les réseaux sociaux et les chaînes de télévision satellitaires. Illusoire, il apparaîtrait en outre choquant et contraire aux valeurs républicaines dans les secteurs où il demeure matériellement possible, comme celui des représentations théâtrales.
Enfin, il est prévu de réévaluer les sanctions pénales applicables en cas de violation de la loi relative à l'état d'urgence. Il s'agit simplement d'adapter les peines encourues aux différentes infractions, de sorte que ces peines soient proportionnées à la gravité des infractions commises. La violation de l'assignation à résidence, mesure essentielle pour prévenir les menaces pour la sécurité et l'ordre public, sera sanctionnée de la façon la plus sévère : trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.
Le présent projet de loi, équilibré, a pour objet de nous permettre, en prorogeant l'état d'urgence pour une durée de trois mois et en modernisant certaines de ses dispositions, de livrer de façon plus efficace le combat résolu que nous menons contre le terrorisme. Je ne doute pas que nous saurons triompher de nos ennemis car, comme l'a déclaré le Président de la République hier, le terrorisme ne détruira pas la République, c'est la République qui le détruira.