Intervention de Alain Tourret

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Lundi, je me suis rendu à l'école de Moult, dans une classe de CM2. Les trente enfants présents, âgés de dix ans, m'ont tous dit qu'ils ne parvenaient plus à dormir, qu'ils avaient peur. Tous m'ont posé les mêmes questions : « Monsieur le maire, est-ce la Troisième Guerre mondiale ? Que faites-vous ? » Eh bien, je pourrai bientôt retourner les voir et leur dire : « Voilà ce que nous faisons, ce que la République peut faire et les réponses qu'elle apporte ! » Aussi tout ce qui a été dit par notre rapporteur mérite-t-il d'être approuvé.

Qu'est-ce que l'état de nécessité en démocratie ? Alors que j'enseignais encore à l'université, Mme Geneviève Camus avait soutenu, sous la direction du professeur Morange, une thèse sur ce sujet. Pour ce qui est de la France, il convient de distinguer plusieurs types de situations exceptionnelles. L'article 16 de la Constitution prévoit une dictature romaine : au bout de six mois, Cincinnatus retourne à sa charrue – je ne sais pas si le Président Hollande fera de même. Quant à l'article 36, il concerne l'état de siège, c'est-à-dire le transfert de toutes les activités civiles aux responsables militaires.

Sur l'état d'urgence, en revanche, rien : un trou béant dans la Constitution ! Rien, sinon la loi rédigée par l'excellent président Edgar Faure, un grand radical qui savait écrire puisqu'il était professeur de droit romain. J'ai du reste la faiblesse de penser – personne n'y verra une méchanceté de ma part – que cette loi est mieux écrite que le texte qui nous est proposé aujourd'hui. La loi de 1955 relative à l'état d'urgence est, il faut le rappeler, conforme à la Constitution, comme en a décidé le Conseil constitutionnel le 25 janvier 1985 à propos de la situation en Nouvelle-Calédonie.

Le texte qui nous est proposé aujourd'hui doit cependant être amendé sur un certain nombre de points. Nous aurions pu décider, dans le cadre d'une espèce de consensus, de ne pas le modifier, mais c'eût été une erreur, car le bloc républicain passe par le droit d'amendement ; on ne peut pas y renoncer.

Une première difficulté est soulevée par l'article 4, dans lequel il est fait référence à un « comportement » qui « constitue une menace ». En effet, le comportement n'est pas une catégorie juridique, contrairement à l'activité. Un comportement peut sembler inadmissible mais, en aucun cas, il ne peut répondre aux critères de l'activité terroriste.

Deuxièmement, la dissolution des organisations de fait est assortie d'une double condition. C'est une erreur, et le Conseil d'État ne s'est pas privé de vous le faire remarquer. Il serait en effet bienvenu, monsieur le rapporteur, de supprimer la seconde condition, c'est-à-dire le fait, pour ces groupements ou associations de fait, de comprendre en leur sein un individu faisant l'objet d'une assignation à résidence. Soit elle est trop importante, soit elle est insuffisante. En tout cas, elle est inutile.

Troisièmement : la sanction et le contrôle. La loi de 1955 prévoit, de manière invraisemblable, en référence aux contraventions de cinquième classe, des sanctions qui peuvent n'être que de onze euros. Il faut donc des sanctions fortes, mais j'ai du mal à comprendre que l'on puisse en prévoir trois différentes selon que l'infraction porte sur tel ou tel article de la loi. Si infraction il y a, il doit y avoir sanction, et celle-ci doit être la même dans tous les cas ; il y va de la compréhension du texte. S'agissant du contrôle, je pense que nous avons manqué une occasion – je m'en suis déjà ouvert au président Urvoas. La référence à la Première Guerre mondiale me paraît toujours intéressante. J'aurais donc souhaité qu'un pouvoir de contrôle soit confié aux présidents des deux commissions des lois, afin qu'ils puissent connaître constamment l'évolution de l'application de la loi et nous en informer. Actuellement, ce contrôle est exercé par la juridiction administrative. Le référé-liberté, qui n'existait pas en 1955, est, du reste, en soi un progrès.

Par ailleurs, si la presse doit rester libre, quoi qu'il nous en coûte, les communications en ligne, en revanche, qui sont le principal moyen de diffusion de la pensée des djihadistes, doivent pouvoir être interdites par le ministre de l'Intérieur.

Reste une interrogation sur la garde à vue. C'est un problème que nous connaissons bien en tant qu'avocats, monsieur le président. La garde à vue est l'élément essentiel de la proportionnalité entre, d'une part, les libertés que la personne gardée à vue doit avoir dans le cadre de l'instruction pénale ou criminelle en cours, et d'autre part, les contrôles auxquels elle est soumise, avec bien sûr la possibilité d'obtenir des moyens. Faut-il ou pas allonger la durée de la garde à vue au-delà de six jours ? Cela m'apparaît nécessaire pour les affaires de terrorisme dans le cadre de l'état d'urgence, et c'est un problème fondamental en termes de libertés.

Pour finir, je saluerai à mon tour le travail de tous ceux qui ont permis la mise au point de ce texte fondateur, dans un délai très rapide, qui respecte les lois de la République.

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