La prorogation de l’état d’urgence pour trois mois que vous nous proposez s’inscrit dans cette logique qui devrait se conclure par une révision constitutionnelle aussi floue que dangereuse pour nos droits fondamentaux.
Outre les risques qu’il fait prendre quant à nos libertés, fondatrices de notre pacte démocratique, le pacte de sécurité n’est qu’une habile triangulation visant à enfermer la droite dans ses propres contradictions. Cette surenchère sécuritaire n’est pas à la hauteur de la situation.
Banaliser le tout-sécuritaire n’est pas à la hauteur de la situation et ne fait que contribuer à instaurer un climat de peur et de surveillance généralisée alors que la priorité est au renforcement des moyens consacrés au renseignement et au contre-terrorisme, ainsi que des moyens de la justice et de la police sur le terrain.
La rapidité avec laquelle nous sommes convoqués pour proroger cet état d’urgence et en renforcer notablement les dispositions est significatif de la dérive, que nous connaissons depuis déjà quelques années dans cette assemblée, et qui conduit à voter des dispositions dans l’émotion, au risque bien souvent de transformer l’exception en ordinaire.
Vous nous demandez, monsieur le Premier ministre, une sorte de blanc-seing pour trois mois qui nous interdit tout contrôle réel de la mise en oeuvre de cet état d’exception, et reléguez au second plan le pouvoir judiciaire, pourtant protecteur de nos libertés fondamentales. Or l’absence de contrôle de pouvoir judiciaire est la porte ouverte à l’arbitraire.
L’arsenal pénal prévoit déjà des mesures d’exception pour lutter contre le terrorisme depuis les lois dites antiterroristes que vous avez fait voter ici même. De nombreuses modalités de poursuites, d’instruction et de jugement sont déjà exorbitantes du droit commun : gardes à vue, perquisitions de nuit, visites domiciliaires et saisies, contrôles d’identité et fouilles des véhicules, jugement des accusés et délais de prescription.
La priorité n’est donc pas à la prorogation de l’état d’urgence mais au renforcement des services judiciaires qui doivent pouvoir mener leurs investigations dans des conditions décentes pour assurer la sécurité de nos compatriotes. Or nous manquons d’enquêteurs de police judiciaire, de procureurs, de juges pour pouvoir agir dans le respect de nos principes.
Monsieur le Premier ministre, vous avez sans doute, comme nous, lu les messages déposés place de la République, rue de Charonne, au Bataclan, ou encore rue Bichat. Tous disent une seule et même chose : « Nous n’avons pas peur ; vous avez cru nous enterrer, mais nous étions des graines ».
Ce message de résilience et d’espoir, nous ne l’entendrons pas si nous prorogeons trop longtemps de telles mesures d’exception. Pis, nous envoyons un message de résignation à l’État islamique qui veut apporter la preuve que notre État de droit est faible. Nous devons lui opposer notre détermination, notre détermination commune à défendre une société ouverte, sûre d’elle-même et de ses libertés. Ne lui donnons pas raison !
Outre aux libertés individuelles, la prorogation de l’état d’urgence portera atteinte aux libertés collectives. Elle pèsera sur la COP21. En interdisant, au nom de la sécurité, toute manifestation citoyenne pendant cette réunion qui engage l’avenir de l’humanité, vous écartez purement et simplement la société civile d’un débat dans lequel elle est pourtant indispensable, car rien ne se fera sans elle.
La France a tout à perdre avec l’extension à trois mois de cette suspension de l’État de droit. La lutte contre le fanatisme de ces islamo-fascistes durera bien plus longtemps, nous le savons. Devons-nous pour autant accepter de vivre dans un état d’exception permanent ? Ce n’est pas notre avis. Nous devons plutôt prouver que nous sommes capables de réagir à ces infamies par des dispositifs respectueux des libertés fondamentales, dans un État de droit fort qui ne distribue pas à la police et à l’exécutif des pouvoirs normalement dévolus à la justice.
Les arguments que je viens de développer ont fait l’objet de débats avec une partie des membres du groupe écologiste, qui ont finalement choisi d’approuver, avec la vigilance qui s’impose, votre projet de loi. Mais Isabelle Attard, Sergio Coronado et moi-même, absolument convaincus de l’efficacité de nos droits fondamentaux, avons décidé de voter contre.
Le 20/11/2015 à 12:06, laïc a dit :
"La France a tout à perdre avec l’extension à trois mois de cette suspension de l’État de droit. La lutte contre le fanatisme de ces islamo-fascistes durera bien plus longtemps, nous le savons."
D'abord ce n'est pas une suspension de l'Etat de droit, puisque l'état d'urgence est une mesure prévue par la loi. D'autre part pendant toute la durée de l'état d'urgence, les autres droits restent valides. D'ailleurs la loi de 1955 dit, en son article 7 :
"Article 7
Modifié par LOI n°2013-403
du 17 mai 2013 - art. 1 (V)
Toute personne ayant fait l'objet d'une des mesures prises en application de l'article 5 (3°), ou de l'article 6 peut demander le retrait de cette mesure. Sa demande est soumise à une commission consultative comprenant des délégués du conseil départemental désignés par ce dernier.
La composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnement de la commission seront fixés par un décret en Conseil d'Etat.
Les mêmes personnes peuvent former un recours pour excès de pouvoir contre la décision visée à l'alinéa 1er ci-dessus devant le tribunal administratif compétent. Celui-ci devra statuer dans le mois du recours. En cas d'appel, la décision du Conseil d'Etat devra, intervenir dans les trois mois de l'appel.
Faute par les juridictions ci-dessus d'avoir statué dans les délais fixés par l'alinéa précédent, les mesures prises en application de l'article 5 (3°) ou de l'article 6 cesseront de recevoir exécution."
Sans cet état d'urgence, la lutte contre les islamistes durerait beaucoup plus longtemps que prévue. Cette mesure est salutaire, on peut juste déplorer qu'elle n'ait pas été décidée plus tôt, après les attentats contre Charlie Hebdo et l'hyper cacher.
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